L’Esma durcit l’agrément MiCA : un coup fatal pour la crypto en Europe ?

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Arnaud Touati (Hashtag Avocats)

L'Autorité européenne des marchés financiers (Esma) a récemment diffusé une directive qui révolutionne l'accès au marché européen pour les prestataires de services sur crypto-actifs dans le cadre du règlement MiCA. En exigeant une gouvernance plus stricte, une présence locale et un contrôle accru des risques, le régulateur pourrait potentiellement freiner les acteurs en pleine croissance tout en renforçant la domination des institutions financières conventionnelles. Chronique juridique d'Arnaud Touati, associé chez Hashtag Avocats et Mathilde Enouf, juriste.

L'Europe persiste à renforcer le contrôle sur la régulation des crypto-actifs. Le 31 janvier 2025, l'Autorité européenne des marchés financiers (Esma) a diffusé une note d'orientation explicative qui détaille les critères d'autorisation pour les prestataires de services sur crypto-actifs (CASP), en vertu du règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets). Bien que cet article soit resté relativement discret, il a pourtant provoqué un véritable tremblement de terre au sein de l'écosystème crypto européen.

Le document détaille les exigences des autorités nationales responsables de la délivrance des licences MiCA et impose un cadre particulièrement rigoureux aux intervenants du domaine. Cette approche innovante se distingue par trois mesures clés : l'abandon de la notion de « CASP à faible risque », l'exigence d'une présence locale importante et une supervision accrue des délégations et sous-traitances.

Un risque systématique pour tous les CASP

Un des axes principaux de l'Esma est l'élimination de la notion de CASP à faible risque. Désormais, tous les prestataires, indépendamment de leur taille ou de leur secteur d'activité, seront classés comme présentant un risque important. D'après l'Esma, les traits intrinsèques du secteur – sa structure technologique et son ampleur transfrontalière – nécessitent une surveillance renforcée.

Cette méthode entraîne un effet immédiat : un renforcement généralisé des contrôles. Les prestataires devront prouver leur compétence à contrôler rigoureusement les risques liés au blanchiment d'argent et au financement du terrorisme, deux enjeux majeurs pour les autorités de régulation en Europe. Par conséquent, les critères de conformité sont harmonisés avec ceux des établissements bancaires, rendant l'autorisation encore plus difficile à obtenir pour les nouveaux acteurs.

Cette évolution pourrait affecter particulièrement les petites entreprises et les startups, qui manquent de ressources humaines et financières pour se conformer aux demandes de plus en plus strictes des régulateurs. L'incapacité d'accéder à un régime simplifié basé sur le véritable niveau de risque de leur activité pourrait donc entraver l'innovation et encourager une concentration du marché autour des acteurs déjà en place.

Une présence locale désormais incontournable

Le second pilier de cette note d'orientation porte sur l'établissement physique des CASP. Jusqu'à maintenant, il était envisageable d'obtenir un agrément MiCA tout en travaillant principalement à distance. Cette souplesse n'est plus d'actualité.

L'Esma impose la nécessité d'une réelle présence locale, avec des dirigeants qui sont physiquement installés dans le pays où l'autorisation est requise. Les CASP devront également démontrer que leurs équipes opérationnelles sont correctement établies sur le territoire en question et que leur gouvernance est effectivement dirigée depuis l'Union européenne (UE). Cette initiative a pour objectif d'éradiquer les stratagèmes juridiques où les sociétés se limitent à un enregistrement administratif tout en menant leurs activités à distance, généralement depuis des juridictions plus avantageuses sur le plan fiscal ou réglementaire.

Si le but déclaré est d'accroître la surveillance et la responsabilité des intervenants du domaine, une conséquence potentielle pourrait être l'élimination des petites entités qui ne peuvent pas assumer le coût d'une mise en place locale intégrale.

Une externalisation sous surveillance

Enfin, l’Esma s’attaque frontalement à la question de l’externalisation. Les CASP ne pourront plus déléguer certaines fonctions stratégiques à des tiers sans un contrôle strict.

Trois domaines sont particulièrement visés :

  • L’infrastructure IT, qui devra être gérée sous des règles encadrées et ne pourra pas être confiée sans supervision à des entreprises hors de l’Union européenne.
  • La conformité aux obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT), qui devra rester sous le contrôle direct du CASP.
  • Les responsabilités opérationnelles, qui ne pourront pas être évacuées par un jeu de sous-traitance en cascade.

L'Esma met en garde : un fournisseur qui aurait seulement une présence symbolique dans l'UE tout en déléguant la plus grande partie de ses activités pourrait se voir refuser sa licorne.

Cette intensification représente un obstacle considérable pour un grand nombre d'intervenants dans le domaine. La pratique courante d'externalisation, surtout dans les secteurs technologique et réglementaire, aide les entreprises à maintenir leur compétitivité tout en rationalisant leurs dépenses. Dorénavant, elles seront tenues d'allouer des fonds considérables à des équipes internes ou de démontrer l'existence de systèmes de contrôle très stricts pour attester qu'elles maintiennent une véritable indépendance sur ces rôles cruciaux.

En restreignant les options de délégation, l'Esma vise principalement à prévenir l'établissement de structures « boîte aux lettres », où la majorité des activités sont dirigées depuis des pays tiers tandis que seules quelques tâches symboliques sont conservées au sein de l'UE. Toutefois, cette demande croissante pourrait aussi engendrer un effet contre-productif : beaucoup de CASP, en particulier les plus modestes, pourraient ne pas être en mesure de supporter le coût supplémentaire d'une internalisation complète de leurs fonctions essentielles et ils risquent d'être obligés de fusionner avec des entités plus importantes, diminuant par là même la diversité du marché.

Un coup de grâce pour l’écosystème crypto européen ?

Face à ces nouvelles normes, l'Esma adresse un message explicite : seuls les intervenants qui répondent aux critères les plus rigoureux auront la possibilité d'opérer dans le cadre du règlement MiCA.

En réalité, ce cadre pourrait écarter une grande majorité des startups et PME du secteur, qui n'auront ni les moyens ni l'organisation exigée pour respecter ces obligations. En revanche, les grandes institutions financières, déjà habituées à manipuler des réglementations compliquées, pourraient tirer le meilleur parti de cette évolution.

Selon certains commentateurs, cela pourrait masquer une intention secrète d'écarter les acteurs crypto indépendants en faveur des banques et des institutions financières traditionnelles. Certains soutiennent que l'Europe risque de se brûler les ailes en incitant les entreprises novatrices à s'installer dans des juridictions plus propices, telles que Dubaï ou les États-Unis.

Dans tous les cas, ce document d'orientation représente un point de basculement dans l'application du règlement MiCA. Bien qu'elle ait pour objectif officiel d'uniformiser la surveillance des CASP, cette mesure pourrait principalement limiter sévèrement le paysage de la concurrence et précipiter le départ des acteurs crypto hors d'Europe. Un développement qui pourrait, à long terme, nuire aux aspirations de l'Union européenne en termes d'innovation financière.

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