“2021 s’annonce historique en nombre d’introductions en Bourse”

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Camille Leca, directrice des opérations de listing d’Euronext en France, fait le point sur un marché primaire actions très dynamique dans cette interview à Finascope. Outre les nombreuses entrées en Bourse traditionnelles, au moins 5 nouveaux SPAC sont aussi attendus d’ici à la fin de l’année à Paris. L’entreprise de marché entend se positionner au centre de l’écosystème financier, avec le private equity comme partenaire plutôt que comme concurrent.

Camille Leca, pouvez-vous nous raconter votre parcours?

Je travaille depuis dix ans chez Euronext, que j’avais intégré dans le département listing. Il s’agissait de développer une offre à destination de PME/ETI pour les convaincre de l’intérêt de la Bourse. A l’époque, j’avais contribué à plusieurs initiatives de place, via la filiale EnterNext, et lancé des programmes de formations comme TechShare. 

Ensuite, je suis devenue directrice de cabinet du PDG d’Euronext Paris, avant de prendre la direction des activités de cotation. J’ai coordonné les opérations ainsi que les relations avec les sociétés cotées, tant sur les aspects commerciaux qu’opérationnels. 

Aujourd’hui, je m’occupe de la promotion des produits d’actions et de dette ainsi que des services à destination des sociétés en France, au Portugal et en Espagne. Il s’agit de renforcer la visibilité des sociétés auprès des investisseurs, avec l’objectif d’en attirer un plus grand nombre sur les marchés.

Je siège également au conseil d’administration d’Euronext Paris, de la Bourse d’Oslo et d’une société italienne qui accompagne des sociétés non cotées dans leur développement. Enfin, dans le cadre de nos métiers très réglementés, je participe à des commissions à l’AMF et à l’ESMA sur ces sujets de corporate finance et de listing.

"Il y a un volet d’animation de place, un rôle de promotion des marchés auprès des pouvoirs publics, de lobbying, de défense de nos intérêts et de mise en avant des belles histoires boursières"

CaMILLE LECA

En quoi consiste votre métier aujourd’hui?

Mon métier comporte trois facettes. Il s’agit d’abord d’accompagner très en amont les dirigeants d’entreprise dans leurs réflexions sur leurs projets de croissance. Nous regardons ensemble si les marchés peuvent offrir une solution adaptée à leurs problématiques. 

Comme ce n’est pas toujours le cas, nous travaillons également en partenariat avec les fonds de private equity et autres intermédiaires financiers pour les conseiller au mieux. 

Outre la prospection, je m’occupe des sociétés déjà cotées et les accompagne dans leurs sujets boursiers : inclusion dans des indices, dispositifs de liquidité, augmentations de capital, des dividendes... Nous travaillons à les rendre plus visibles auprès des investisseurs, que ce soit via des road-shows ou la publication de rapports d’analyse financière quantitative.

Enfin, il y a un volet d’animation de place, un rôle de promotion des marchés auprès des pouvoirs publics, de lobbying, de défense de nos intérêts et de mise en avant des belles histoires boursières. Beaucoup est fait par les pouvoirs publics autour des sociétés non cotées avec des initiatives comme le FrenchTech 120 ou le Next40. Nous réfléchissons à des logiques de promotion pour des sociétés qui pourraient se coter en Bourse.

Il vous arrive donc de conseiller à des prétendants à la Bourse de s’orienter vers le non coté dans un premier temps?

En tant qu’entreprise de marché, nous avons intérêt à ce que les entreprises cotées réussissent leur parcours. Si nous pensons que la Bourse ne leur convient pas, nous pouvons très bien les orienter vers des fonds ou des banques. Notre force est de nous positionner au centre de l’écosystème, comme un partenaire de moyen-long terme. D’une certaine façon, nous sommes une société commerciale cotée qui assume aussi un rôle d’intérêt général. 

"Après la case private equity, les sociétés arrivent plus matures en Bourse, plus avancées dans leur parcours, avec des business plans plus clairs."

Le private equity est donc devenu un partenaire d’Euronext, autant qu’un concurrent..

Après la case private equity, les sociétés arrivent plus matures en Bourse, plus avancées dans leur parcours, avec des business plans plus clairs. Les fonds constituent aussi des apporteurs d’affaires pour nous. 75 % des sociétés qui se listent en sont issues. Les IPO sont seulement différées. 

Quelles formes prend ce travail de partenariat avec le private equity?

Nous cherchons à fluidifier le lien entre les mondes publics et privés. Notre programme de formation PE Share s’adresse justement aux directeurs de participation de fonds pour les former à une sortie via la Bourse. Ils rencontrent d’autres fonds plus familiers avec la Bourse, apprennent à connaître les aspects techniques de la cotation et la gestion de la liquidité (clauses de lock-up, etc).

Cela prend aussi la forme de rencontres informelles. Au final, nous sommes dans une recherche d’équilibre dans nos relations avec les fonds, à la fois concurrents et partenaires, même si nous privilégions ce second aspect.

Les annonces de nouvelles introductions en Bourse sont très nombreuses actuellement? Est-ce un retour en grâce de la Bourse?

Ces deux dernières années, le nombre d’introductions en Bourse a été limité. Le private equity offrait des valorisations plus élevées que le marché. Aujourd’hui, et en particulier depuis 2020 et cette année, on peut parler d’un retour en grâce de la Bourse avec un intérêt croissant des investisseurs institutionnels et particuliers. De nombreux projets de belles sociétés se préparent. Certains sont déjà publics. Nous avons toutes les raisons d’être optimistes, même s’il faut rester prudent. Quand il y a beaucoup d’opérations, les investisseurs sont plus sélectifs. 

Certaines des opérations annoncées peuvent très bien ne pas avoir lieu…

Une société peut décider de ne pas concrétiser un projet. Par exemple, parce que le placement ne s’est pas bien passé. Ou bien parce que d’autres propositions lui ont été formulées par une autre entreprise ou un autre fonds en cours de route. D’autres options peuvent être explorées au cours d’un parcours d’introduction en Bourse, qui sert parfois à faire monter les enchères. Généralement, les introductions en Bourse vont tout de même au bout de leur processus. 

"Le segment innovation, qui comprend le digital et les technologies de la santé, représente plus de 75 % des opérations". 

Combien de projets sont prévus d’ici à la fin de l’année?

Les dirigeants nous sollicitent beaucoup. Et 2021 s’annonce historique en termes de nombre d’opérations. Chaque année, Euronext Paris accueille en moyenne entre 20 et 30 introductions. Or, un nombre égal de candidats est déjà déclaré, seulement d’ici à la rentrée de septembre. Sachant que le dernier trimestre est généralement très actif.  

Quelle est la répartition en termes de secteurs?

Le segment innovation, qui comprend le digital et les technologies de la santé, représente plus de 75 % des opérations. 

Les émetteurs viennent-ils profiter des valorisation élevées?

Les valorisations entrent bien évidemment en ligne de compte dans la décision de s’introduire en Bourse. Par exemple, avec l’objectif d’une future acquisition financée par échange d’actions. Mais la valorisation ne peut être le seul moteur d’une introduction en Bourse qui constitue une décision stratégique.

Les entreprises choisissent-elles plus volontiers une cotation en Europe plutôt qu’aux Etats-Unis?

En pratique, très peu d’entreprises françaises ont fait le choix des Etats-Unis. Il y en a eu un maximum de 4 ou 5 en dix ans et elles ont connu des fortunes diverses. D’ailleurs, les patrons nous en parlent beaucoup moins qu’avant. En Europe, les bassins d’investisseurs sont très importants. Les américains connaissent d’ailleurs bien l’expertise des ingénieurs français et viennent aussi investir ici. Dans le domaine des sciences de la vie, 50 % des investisseurs sont anglo-saxons. Pas la peine d’être coté aux Etats-Unis pour y avoir accès. Par ailleurs, les marchés américains sont assez volatils avec des sanctions plus lourdes en cas de déception. Les prix de la cotation y sont également plus élevés. En France, une cotation complète coûte environ 8 à 10 % des montants levés. Cela représente seulement la commission des banquiers outre-Atlantique. 

Comment vous voyez vous par rapport à vos concurrents, comme Deutsche Boerse ou le London Stock Exchange? 

Nous avons beaucoup grandi ces dernières années. Près de 1900 sociétés sont aujourd’hui cotées sur Euronext en comptant la Bourse italienne dont Euronext a récemment fait l’acquisition. Et nous sommes de très loin la première Bourse européenne en termes d’IPO. Tous les marchés sont spécifiques, mais nos principaux concurrents aujourd’hui sont le private equity ou la cession à un autre corporate.

Qu’est ce qui peut être amélioré pour dynamiser la cotation en France?

D’un point de vue réglementaire, il faut s’assurer de l’indispensable protection des investisseurs. Il est par exemple tout à naturel d’encadrer la façon dont les sociétés communiquent sur les aspects ESG. Mais, il faut aussi que les règles soient adaptées à la taille des entreprises et notamment des PME. Nos équipes de lobbying à Bruxelles interviennent dans ce sens lorsque de nouvelles normes sont émises. Sur le plan marketing, nous avons un volet d’attractivité à travailler de façon à attirer d’autres candidats à la cotation. Les belles histoires boursières doivent être promues.

 La récente acquisition de Borsa Italiana contribue t-elle au dynamisme du marché primaire?

La notion de taille critique a des vertus positives en termes d’attractivité. Plus nombreuses sont les sociétés cotées, plus nombreux sont les investisseurs, analystes spécialisés, etc.

"Nous accueillons très favorablement l’émergence de ce phénomène en Europe. Mais les SPAC, qui répondent à des logiques différentes, ne remplaceront pas les introductions en Bourse".

Que pensez-vous du lancement d’un SPAC (Special Purpose Acquisition Company) à l’initiative d’une entreprise, annoncé la semaine dernière par Accor?

Il s’agit d’une première en France. Deux SPAC ont déjà été cotés à Paris. Le marché se développe et se structure. Et ce ne sera sans doute pas le dernier SPAC lancé par une entreprise sur nos marchés. 

Ces nouvelles structures vous aident-elles à réconcilier les deux mondes du non coté et de la Bourse?

Nous accueillons très favorablement l’émergence de ce phénomène en Europe. Mais les SPAC, qui répondent à des logiques différentes, ne remplaceront pas les introductions en Bourse.

Les projets de cotation de SPAC sont-ils nombreux?

Nous recevons de nombreuses marques d’intérêt. Nous nous attendons à au moins 5 introductions en Bourse de SPAC d’ici à la fin de l’année à Paris, dont ceux qui ont déjà été annoncés par Accor dans l’hôtellerie ou 360 Capital dans la technologie. 

 

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