“Le renforcement de la régulation est inévitable”

  • Poste publié :7 juin 2021
  • Catégorie de poste :Stratégie
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(Crédit : Benjamin Boccas)

Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Ecologie les Verts et candidat à la présidence de la Région Ile-de-France, a répondu aux questions de Finascope à deux semaines du premier tour du scrutin. Dans cette nouvelle “Interview Stratégie”, il appelle à un Green New Deal qui créera, selon lui, des dizaines de milliers d’emplois. L’écologiste ne croit pas à la libre actions des marchés pour une finance à impact. 

Monsieur Bayou, le développement des activités financières à Paris constitue-t-il un enjeu important pour vous?

Je souhaite que la Région impulse un Green New Deal qui permettra de créer des dizaines de milliers d’emplois  dans des secteurs d’avenir, d’adapter notre région aux dérèglements climatiques et d’une manière plus générale aux contraintes environnementales et à la justice sociale. Jusqu’à présent, le développement des activités financières à Paris n’a pas particulièrement permis ni de relocaliser les activités économiques, ni de limiter la course en avant extractiviste, ni la dépendance de la région aux échanges internationaux. Le développement des activités financières que j’appelle de mes vœux, c’est celui qui arrête de détourner l’argent vers les paradis fiscaux, qui réoriente les capitaux des industries climaticides vers les secteurs d’activité de demain.

Je suis assez effaré de constater le retard de certains acteurs financiers français.

Julien Bayou

Quelles mesures préconisez-vous pour parvenir à ce développement?

Pour accélérer le financement des activités d’avenir, compatibles avec les enjeux climatiques, je souhaite encourager la finance durable. L’ensemble des aides économiques régionales seront soumises à des critères écologiques et sociaux. Ce travail de critérisation, mené en lien avec les partenaires sociaux et la société civile, permettra sans doute d’appuyer le développement d’indicateurs permettant d’objectiver l’impact des acteurs économiques, et d’orienter ainsi les capitaux vers les activités vertueuses, celles du XXIè siècle.  Je suis assez effaré de constater le retard de certains acteurs financiers français. On croirait que certaines informations n’impriment pas, un peu comme un investisseur du XIXè siècle qui ne parviendrait pas à concevoir que l’ère de la machine à vapeur est enclenchée.

Comment peut-on concilier cette urgence climatique et sociale avec le développement économique et financier?

Il est temps de faire des choix. Je constate par exemple que, parce qu’il s’y est mis le dernier, Total est aujourd’hui l'énergéticien qui investit dans l’éolien offshore le moins rentable, à un coût démesuré, parce qu’il est le dernier des européens à s’y mettre. Aux institutions financières d’investir là où ça va marcher. C’est-à-dire dans le local, dans l’économie qui répond aux besoins des habitants, dans les nouveaux matériaux, le recyclage ou le réemploi. Il faut prévoir dès aujourd’hui la réadaptation des outils industriels si on veut éviter des pertes colossales, financières et humaines dans quelques années. Prenez conscience de ce qui est en train de se passer, et agissez en conséquence, pariez sur l’avenir avec les bonnes cartes en main.

Certains ont le sentiment qu’ils ont trop à perdre aujourd’hui et préfèrent se voiler la face.

Pourquoi, à votre avis, les enjeux climatiques ne sont-ils pas assez pris en compte par les acteurs financiers en France?

Le déni est trop ancré. On a perdu des décennies. Certains ont le sentiment qu’ils ont trop à perdre aujourd’hui et préfèrent se voiler la face. D’autres, peut-être, jouent le jeu de la terre brûlée : qu’importe si les récoltes deviennent imprévisibles, on pourra d’autant plus jouer sur les marchés à terme. Le renforcement de la régulation est inévitable, c’est pour ça que les écologistes se mobilisent au Parlement européen, au Sénat et bientôt, à nouveau à l’Assemblée. 

Je suis aussi un fervent partisan de la critérisation des dépenses publiques, qui ne doivent aller que vers l’intérêt général. Si le privé est incapable d’agir dans le bon sens, le public doit agir.  

Comment peut-on mieux orienter l’épargne dans cette direction?

En agissant dans la transparence et en proposant des produits financiers porteurs de sens. Les épargnants, quand on leur dit que leur argent sert à créer des emplois dans leur Région, qu’il sert à renforcer notre autonomie énergétique ou alimentaire et qu’ils ne perdent pas d’argent, ça leur parle ! Le principe des énergies citoyennes avec Énergie partagée ou des foncières agricoles ouvertes à l’épargne comme Terre de Liens c’est exactement ça : sans attendre le choix des investisseurs institutionnels, sans attendre les pouvoirs publics, sans même attendre le BA (Business Angels) ou le VC (Venture Capital), des citoyens et des entrepreneurs s’organisent collectivement pour mobiliser une épargne qui financera des projets d’intérêt général et d’intérêt local. 

Sans régulation, désolé de le dire aussi franchement, la finance est incapable de penser à plus de quelques jours ou quelques mois.

Le gouvernement souhaite faire de Paris la capitale mondiale de la finance à impact et conduit plusieurs initiatives dans ce sens. Soutenez-vous ces efforts?

Capitale mondiale ou pas je ne sais pas. Oui il faut développer la finance à impact. Mais si c’est la finance à impact et en même temps la finance qui investit dans les mines de charbon ou dans la déforestation en Indonésie, non merci! La finance à impact, par la seule libre action des marchés ça ne fonctionnera pas, sinon ça se serait généralisé au moins depuis 2008. Sans régulation, désolé de le dire aussi franchement, la finance est incapable de penser à plus de quelques jours ou quelques mois. Donc oui pour le développement de la finance à impact, oui pour la généralisation d’indicateurs d’impact solides, fiables. Mais oui aussi pour une vraie régulation des marchés financiers, et une imposition à la juste proportion des profits réalisés.

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