Olivier Baduel, directeur de la gestion actions Europe d’Ofi Invest Asset Management, analyse la tendance et les catalyseurs des marchés actions européens qui tutoient actuellement leurs sommets.
Quelle est votre analyse de la conjoncture en zone euro ?
L’économie européenne est soumise à deux courants opposés. D’un côté, les droits de douane mis en place par les États-Unis devraient coûter entre 0,3 et 0,4 point de PIB aux pays européens. Mais, de l’autre, la mise en place de plans de relance massifs en Allemagne devrait permettre de compenser ces impacts négatifs.
En effet, l’élection de Frederic Merz à la chancellerie allemande a conduit au déclenchement d’un « double bazooka » budgétaire dans le pays, portant à la fois sur le financement des infrastructures et sur l’augmentation du budget de la Défense. Les montants en jeu - 50 milliards d’euros par an sur dix ans pour le plan d’infrastructure et près de 450 milliards pour la Défense - représentent davantage que les investissements dans l’IRA (« Inflation Reduction Act ») et le « Chips Act »(1) américains réunis ou encore que le « EU Recovery & Resilience Fund »(2) en Europe. Ce plan devrait soutenir l’économie allemande à hauteur de 0,3 ou 0,4 point de croissance ce qui, compte tenu du poids du pays dans le PIB européen, représente 0,1 à 0,15 point de croissance supplémentaire pour la zone Euro. Par ailleurs, l’accroissement des dépenses militaires pourrait générer environ 1,15 point de PIB en plus en cumul sur plusieurs années.
Autre facteur encourageant : à 2,2 %, l’inflation en zone Euro est pratiquement revenue autour de la cible fixée par la Banque Centrale Européenne (BCE). Selon la prévision de nos économistes, elle s’établira à 2,1 % en moyenne en 2025 et devrait continuer à baisser jusqu’à 1,6 % en 2026. Ceci devrait favoriser la mise en place d’un environnement monétaire durablement favorable sur l’ensemble de la zone Euro.
De ce point de vue, même si la BCE est un peu moins active que les autres Banques Centrales, elle participe elle aussi d’un mouvement global de détente monétaire de grande ampleur : au cours des douze derniers mois, pas moins de 168 baisses de taux directeurs ont été enregistrées dans le monde. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour l’économie et les marchés, pour deux raisons. Quand les taux baissent, les entreprises et les ménages se financent moins cher, ce qui stimule l’activité. Et lorsque les rendements des actifs sans risque diminuent, en lien avec la baisse des taux courts, les investisseurs ont tendance à rechercher davantage d’actifs risqués, qui rémunèrent davantage le risque dans ce contexte.
Quel impact cette conjoncture a-t-elle sur le marché actions européen ?
Tous ces éléments ont permis aux marchés européens d’établir des records au cours des dernières semaines et de combler leur décote en termes de valorisation.
Il y a trois ans, en effet, les actions européennes étaient très faiblement valorisées, à 10 fois les bénéfices. Il y a deux ans, nous étions proches de 11 fois. Désormais, les multiples de valorisation sont revenus légèrement au-dessus de leur médiane de long terme. De fait, c’est bien la hausse des multiples de valorisation qui explique l’essentiel de la progression de 20 % des actions de la zone Euro depuis le début de l’année. La croissance des bénéfices joue pour seulement 2 %, impactée par la dépréciation du dollar qui a pesé sur les bénéfices, tandis que les dividendes apportent 3,5 %, le solde de la progression - soit près de 15% - est imputable à la revalorisation des multiples.
Dans le détail, certaines spécificités de marché méritent d’être soulignées. Le principal tient à la concentration extrême des performances des indices sur quelques secteurs. Si l’attention s’est beaucoup concentrée sur le secteur de la technologie américaine, avec ses « 7 Magnifiques » (4), un autre phénomène a été particulièrement marquant, en Europe cette fois : les actions des banques de la zone Euro ont progressé de près de 60 % depuis le début de l’année. Au cours des trois dernières années, la performance des banques européennes a dépassé celle des grandes valeurs de technologie américaine de plus de 50%.
Malgré cette surperformance massive au cours des 4 dernières années, les multiples de valorisation nous semblent encore raisonnables tant dans l’absolu que par rapport à leur historique.
Quel est votre positionnement sur le marché actions euro aujourd’hui ?
Le rattrapage de valorisation du marché actions euro réduit à nos yeux la vigueur du signal acheteur pour cette classe d’actifs et nous incite à rester proches de la neutralité sur la pondération de ce marché. D’autant que la croissance des bénéfices demeure modeste pour l’exercice en cours. Néanmoins, nous pourrions parler de « neutralité positive » car nous restons globalement favorables au point d’envisager un retour sur la classe d’actifs en cas de baisse des marchés
Vers un retour en grâce des midcaps européennes ?
Les valeurs moyennes (Midcaps) européennes ont enregistré une nette sous-performance ces dernières années et affichent aujourd’hui une importante décote en termes de valorisation. Il n’en a pas toujours été ainsi. Lorsque ce segment a commencé à se développer, il affichait une décote liée à sa moindre liquidité. Mais rapidement, la valorisation des valeurs moyennes a bénéficié de certains avantages liés à leur taille : une bonne capacité à innover, à gagner des parts de marché et donc, une croissance potentielle plus élevée à moyen terme. Leur prime de valorisation liée à ce potentiel de croissance a eu tendance à être d’autant plus importante lors du fort mouvement de baisse des taux des années 2010.
Mais la hausse des taux ne leur a pas été favorable, avec le durcissement des conditions d’accès au crédit et l’augmentation de son coût, ce qui a pesé sur leurs multiples de valorisation. Malgré le mouvement de détente monétaire des derniers mois, nous sommes aujourd’hui encore dans ce schéma.
Dernière caractéristique, les Midcaps sont - par nature - plus domestiques. Une accélération de la croissance dans la zone Euro pourrait servir de catalyseur à leur revalorisation.
(1) Le CHIPS Act américain, officiellement nommé « Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors for America Act », est une loi adoptée en août 2022 pour renforcer la production nationale de semi-conducteurs aux États-Unis.
2) Le EU Recovery and Resilience Fund, officiellement appelé « Recovery and Resilience Facility (RRF) », est le pilier central du plan de relance européen NextGenerationEU, mis en place en réponse à la crise provoquée par la pandémie de Covid-19
(3) Le « Price Earnings Ratio » est un indicateur d’analyse boursière, il correspond à la capitalisation boursière divisée par le résultat net, attendu sur les 12 prochains mois.
(4) Les « 7 Magnifiques » sont les entreprises GAFAM - Alphabet (Google), Amazon, Meta (Facebook), Apple et Microsoft - auxquelles s’ajoutent Nvidia et Tesla.