A quoi rime la nouvelle mise en garde de l’AMF contre des financements prisés par les start up françaises ?

  • Publication publiée :8 novembre 2022
  • Post category:Avis d'expert
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Chronique juridique de Frank Martin-Laprade, avocat à la Cour, partner du cabinet Jeantet. 

Le 13 octobre 2022, et pour la troisième fois en deux ans, l’AMF a publié une mise en garde à l’encontre de certains types de « financements dilutifs » qu’elle désigne désormais par la formule globale « d’OCABSA ou d’equity lines », alors qu’il s’agit potentiellement de deux choses différentes, comme elle semblait d’ailleurs l’avoir initialement bien compris, puisque son premier communiqué de presse de juillet 2020 traitait des « OCABSA et autres formes d’equity lines particulières ».

Il faut dire que cela fait plus de vingt ans que le régulateur boursier s’efforce de cerner l’originalité des equity lines, la COB ayant consacré une publication en date du 25 juillet 2001 à ces « mécanismes d’augmentation de capital » qui devaient faire l’objet d’une étude approfondie, l’année suivante, par un groupe de travail présidé par M. Lepetit. Dans sa position du 16 novembre 2007, l’AMF avait précisé que « les equity lines ou PACEO (Programmes d'Augmentation de Capital par Exercice d'Options) consistent en des augmentations de capital fractionnées en plusieurs tranches étalées dans le temps ».

Opérations intermédiées

Dès le départ, l’AMF avait toutefois insisté sur le fait qu’il s’agissait d’opérations intermédiées, dans la mesure où « ces opérations financières font l’objet d’un contrat signé entre l’émetteur et l’intermédiaire financier aux termes duquel cet intermédiaire s’engage à souscrire, généralement par exercice de bons, à des actions qui ont vocation à être cédées sur le marché à très bref délai. Le rôle du souscripteur initial est donc d’assurer à la société une levée immédiate de fonds tout en transférant in fine les risques vers le marché, destinataire final des augmentations de capital qui absorbe ainsi au fil de l’eau les actions émises.»

Ce faisant, l’AMF paraphrasait la description de l’intervention d’un professionnel fournissant à son client (émetteur) le service d’investissement de prise ferme, à savoir (Article D 321-1 du code monétaire et financier) « le fait de souscrire (…) directement auprès de l’émetteur (…) des instruments financiers, en vue de procéder à leur vente », ce qui caractérise l’un des moyens de réaliser une « offre au public » au sens du règlement « Prospectus » n°2017/1129, celle-ci résultant notamment du « placement au sens large de valeurs mobilières par des intermédiaires financiers ».

Hélas, lorsque le produit – concurrent des PACEO – reposant sur l’émission d’OCABSA est arrivé par la suite sur le marché du financement en fonds propres des sociétés cotées, l’AMF a trouvé expédient de l’inclure dans le champ d’application de sa doctrine relative aux equity lines, alors même qu’il ne s’agit plus de la mise en œuvre, par un prestataire de service d’investissement (PSI), d’une activité règlementée, au service de l’émetteur, mais d’un prêt obligataire remboursé en « papier » que l’investisseur (profane) va naturellement avoir envie de liquider sur le marché pour pouvoir rentrer dans ses fonds.

Confusion injuste

Cela a par conséquent semé le germe d’une confusion dont on trouve encore la trace aujourd’hui, le dernier communiqué de presse de l’AMF alternant, à propos des OCABSA, la mention (fausse) d’un « intermédiaire financier (unique souscripteur de ce obligations)» avec celle de « l’investisseur » qui revend très rapidement sur le marché les actions issues de la conversion des OCA, ce qui a généralement pour effet d’entrainer une baisse du cours de bourse. Cette confusion est particulièrement injuste pour les promoteurs (professionnels) des PACEO, qui sont soumis à de nombreuses contraintes déontologiques, auxquelles échappent en revanche les investisseurs en OCABSA.

Mais surtout, elle décrédibilise l’AMF qui prétend à présent ignorer les différences entre ces deux produits – qu’elle semble néanmoins avoir renoncé à rassembler sous le vocable (commun) d’ « equity line » - alors qu’elle paraissait pourtant se concentrer exclusivement sur l’un d’entre eux en 2020 : « L’AMF observe une montée en puissance du recours à des financements par émission d’obligations convertibles en action avec bons de souscription d’actions (OCABSA) de la part de certains émetteurs, qui n’ont généralement plus accès au crédit, sous quelque forme que ce soit, du fait de leur situation financière dégradée et/ou de leurs perspectives insuffisantes. »

Un tel mélange des genres ne permet pas de savoir quelle est la part de l’échantillon des 69 émetteurs recensés par l’AMF qui a mis en place un « PACEO ou equity line » plutôt que des OCABSA, si bien qu’il est impossible de comparer leurs vertus respectives sur le cours de bourse, sachant qu’en tout état de cause, ce n’est pas le principe du recours à ce type de financement « dilutif » qui se solde automatiquement par une baisse des cours, puisque l’étude de l’AMF montre que près d’un émetteur sur cinq (17%) a vu au contraire son cours monter (et parfois de manière très significative !).

Profil des émetteurs séduits

Cette dernière observation est cependant très intéressante, car si ce n’est pas le « produit » lui-même qui est en cause, peut-être que la volatilité du cours de bourse tient en réalité au profil des émetteurs séduits par ce type de financements, dont l’impact dilutif résulte par définition du fait que les droits préférentiels de souscription (DPS) des actionnaires ont été supprimés par l’assemblée générale, ce qui est assez fréquent pour des sociétés cotées qui se sont précisément introduites en Bourse pour bénéficier de la faculté de lever des fonds propres sur le marché plutôt qu’auprès de leurs actionnaires existants.

Ce n’est sans doute pas un hasard si ces sociétés « consomment » d’importantes quantités de cash – et se retrouvent donc obligées d’augmenter régulièrement leur capital, à défaut de pouvoir emprunter aux banques – car elles interviennent généralement dans des activités de recherche (biologique ou médicale) qui nécessitent des investissements colossaux, pour une perspective de réussite lointaine et souvent aléatoire : il est par conséquent illusoire d’espérer faire des plus-values à court terme et c’est probablement le message que l’AMF devrait faire passer aux particuliers…

Ce serait en tout cas plus constructif que d’essayer d’inciter les minoritaires à bloquer le vote en assemblée générale de toutes les résolutions relatives à des émissions de titres de capital sans DPS, en faisant par ailleurs une allusion cryptique au fait que « le recours aux procédures d’augmentation de capital au profit de catégories de personnes ou d’investisseurs ne doit pas avoir pour objet d’éluder les dispositions applicables aux augmentations de capital à une ou plusieurs personnes nommément désignées » (lesquelles sont simplement interdites de prendre part au vote, ce qui n’est pas un enjeu dès lors qu’elles ne sont pas déjà actionnaires), sachant que ces (petits) émetteurs ont souvent du mal à réunir des quorums sur première convocation, en raison d’un absentéisme galopant.

Menace parfaitement vaine

Enfin, la menace larvée d’un possible engagement de la responsabilité des émetteurs et de leurs mandataires sociaux est parfaitement vaine, car s’il y a bien une chose que confirme ce genre de communiqué de presse, c’est que les financements qui y sont mentionnés sont parfaitement légaux et qu’il n’y a donc aucune « faute » de la part de ceux qui décident d’y avoir recours, sans quoi l’AMF l’aurait clairement dit, en précisant les règles susceptibles d’être enfreintes par des dirigeants qui privilégient le renforcement des fonds propres par rapport à un endettement qui creuserait la vulnérabilité financière d’une entreprise (ce qui paraît aller dans le sens d’une saine gestion ?).

Voir le communiqué de l'AMF du 13 octobre

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