Changement climatique : les administrateurs sont-ils au niveau ?

  • Publication publiée :26 septembre 2023
  • Post category:Avis d'expert
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En France, la saison des assemblées générales 2023 a acté la montée en puissance du sujet climatique : Engie, TotalEnergies et Carrefour ont notamment fait l’objet de demandes de dépôt de résolutions climatiques par des actionnaires soucieux de les défier sur la réalité de leur trajectoire bas carbone. Aux États-Unis, 120 résolutions de ce type ont été déposées au même moment : la bascule semble irréversible. Les administrateurs y sont-ils préparés ? Par Caroline Ruellan, présidente de SONJ Conseil et du Cercle des Administrateurs.

Nous commençons à peine à réaliser l’immensité du coût que va représenter le changement climatique. Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre, n’avait pas été rassurant à ce sujet en déclarant que le secteur financier devait transformer sa gestion du risque, avertissant dès 2016 que le réchauffement climatique entraînerait une réévaluation de la valeur de chaque actif financier présent sur le marché. En d’autres termes, les émetteurs privés seraient en situation de surévaluation massive de leur valorisation financière. 

Il ne s’agit pas seulement de raisonner à coûts complets en intégrant au prix d’un actif l’ensemble des externalités qu’il sous-tend – celle, positive de la création de valeur financière et celle, négative, du « prix environnemental de production » – mais aussi bien sûr de réimaginer le droit des sociétés. 

Des limites fondamentales

Celui-ci, construit au XIXe siècle pour accompagner l’émergence du capitalisme moderne dans le contexte de la révolution industrielle et post-industrielle, profondément marqué par le concept d’infinité de la croissance, s’applique aujourd’hui à des entreprises qui doivent composer avec des limites fondamentales : en amont, le caractère limité des ressources ; en aval, l’externalité carbone. 

D’un point de vue philosophique, le changement est majeur. En amont, la prise de conscience du caractère fini des matériaux nécessaires à la production bat en brèche la théorie classique du capitalisme qui impose que le système fonctionne sur l’agrégation exclusive du capital productif et financier d’une part, et du travail d’autre part.  

En aval, l’intégration progressive du coût des émissions de CO2 (et équivalents) au système économique révèle le déséquilibre profond de sa construction, historiquement aveugle à sa principale externalité, l’évènement fondateur de la première révolution industrielle étant moins l’invention de la machine à vapeur que la découverte de l’utilité du charbon.

Survivre à la transformation 

L’entreprise verte n’est donc pas celle qui bénéficie d’un statut juridique d’exception ou d’une labellisation particulière. L’entreprise verte est, par essence, celle qui survivra à la transformation du monde « gris » en monde « vert », compris comme le monde ayant intégré à son fonctionnement ces deux limites physiques fondamentales. 

Compte tenu de la brièveté des échéances pour agir – 2030, soit moins de huit ans – cette transformation suppose un changement profond du paradigme économique des conseils d’administration et des dirigeants actuels. Ceci doit se concrétiser en premier lieu dans l’organisation du pouvoir au sein de l’entreprise, c’est-à-dire sa gouvernance, seule à même de donner une trajectoire à l’entreprise.  

La prise en compte du sujet climatique par les entreprises est, en effet, avant tout une problématique stratégique, qui doit être traitée comme telle. La mise en silo du sujet climatique que constituerait sa prise en charge par les seuls comités ESG des conseils d’administration révèlerait une incompréhension majeure de la nature et de l’ampleur du défi qui se présente à nous ainsi qu’un échec majeur de la gouvernance des entreprises. 

C’est d’ailleurs la voie que semble avoir prise le Parlement Européen, en témoigne la Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Celle-ci prévoit notamment que les administrateurs, lorsqu'ils s'acquittent de leur devoir d'agir au mieux des intérêts de la société, tiennent compte des conséquences de leurs décisions sur les questions de durabilité, y compris, le cas échéant, les droits de l'homme, le changement climatique et les conséquences environnementales, notamment à court, moyen et long terme.

Pénurie de compétences

En 2020, le Stern Center for Sustainable Business de l'université de New York révélait la pénurie de compétences en matière de climat au sein des conseils d'administration : parmi les biographies de 1 188 membres des conseils d'administration des 100 plus grandes entreprises américaines, seul trois possédaient une expertise spécifique en matière de climat, soit 0,2 % du total. 

En France, l’ESG semble avoir pris le pas sur le sujet climatique dans les conseils des sociétés du CAC40, dont 90% se sont dotés d’un Comité RSE, dédié ou combiné. La compétence des conseils sur la RSE et les critères ESG s’est renforcée : 57,5% des conseils ont déclaré avoir dans leur composition au moins un membre disposant de ces compétences spécifiques. La formation aux enjeux RSE progresse, néanmoins, la majorité des conseils du CAC 40 ne communique pas sur une formation spécifique RSE/ESG réalisée au cours de l’année, a fortiori, sur une formation aux enjeux climatiques. 

Et c’est sans compter sur le fait que les activistes s’organisent et se perfectionnent. Entre 2019 et 2022, 2% des investisseurs à l’origine de campagnes étaient des investisseurs « ESG-Focused », contre 7% au seul premier trimestre 2023. Enfin, la volonté de certains investisseurs de cibler directement les directions générales et les conseils d'administration ne se dément pas puisqu’ils ont mené 23 campagnes en Europe en 2022. 

On ne peut que conseiller aux administrateurs de se former, à la fois pour le bien de leur société et pour celui de la société. 

 

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