Confrontation continue : les sociétés crypto face aux défis des établissements bancaires

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Malgré la régulation par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) des entreprises fournissant des services sur crypto-actifs, des frictions subsistent avec le secteur bancaire, en particulier pour l'ouverture de comptes. Cette situation pose des défis significatifs et peut nuire à la compétitivité de la France. Chronique juridique d'Arnaud Touati, avocat associé du cabinet Hashtag Avocats.

Les établissements bancaires, soumis à l’obligation légale d’ouvrir un compte bancaire à la suite d’une désignation par la Banque de France, manifestent une réticence accrue à adhérer à la procédure du droit au compte, en particulier lorsqu'il s'agit des prestataires de services sur actifs numériques. Cette attitude se trouve également exacerbée par les contraintes strictes imposées en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Cette réticence des banques représente un frein notable pour le développement des entreprises qui opèrent dans le domaine des crypto-actifs.

Avant la promulgation de la loi PACTE en 2019, le domaine des crypto-actifs était souvent considéré comme une zone d'incertitude juridique, associée à des soupçons d'activités illégales. La France s'est distinguée par l'adoption précoce de cette loi, qui présente des convergences notables avec le futur règlement européen MiCA (Marché des Crypto-Actifs), devant être appliqué à partir de juin pour certains services. Cette initiative législative place la France en position de précurseur en matière de régulation du marché des crypto-actifs.

La loi PACTE établit principalement un cadre réglementaire pour les Initial Coin Offering (ICO) et pour l'activité des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN).

Malgré la régulation des entreprises fournissant des services sur crypto-actifs par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) et l'obligation de se conformer aux mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme sous la supervision de l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), des frictions subsistent avec le secteur bancaire, en particulier en ce qui concerne l'accès aux services bancaires. 

Principe du droit au compte

Le principe du droit au compte a été instauré en 1984 par la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, qui concerne l'activité et le contrôle des établissements de crédit.

L'article L.312-1 du Code monétaire et financier énonce que toute personne, physique ou morale, résidant en France, a le droit de bénéficier de services bancaires essentiels, incluant l'accès à un compte bancaire.

Les conditions sous lesquelles une banque peut refuser l'ouverture d'un compte sont strictement encadrées, et la banque doit fournir des justifications claires pour un tel refus. Par ailleurs, les clôtures de comptes par les établissements bancaires ne sont permises que pour des motifs précisément définis, tels que la suspicion d’utilisation du compte à des fins illégales. En cas de refus ou d'absence de réponse à une demande d'ouverture de compte après 15 jours, les individus peuvent saisir la Banque de France, qui interviendra pour trancher la question.

Cette procédure souligne combien il est essentiel de posséder un compte bancaire, devenu incontournable pour exécuter des transactions courantes telles que le paiement et la réception de salaires, la gestion des affaires, et bien d'autres aspects de la vie quotidienne.

Néanmoins, les banques françaises établissent souvent un lien entre les crypto-actifs et le blanchiment d'argent, leur permettant d'invoquer des soupçons d'illégalité pour justifier le refus d'ouvrir ou de maintenir des comptes pour les entreprises de crypto-actifs. En effet, elles mobilisent les dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme comme moyen de freiner le développement de ces entreprises, qu’elles perçoivent comme des vecteurs de risques et de méfiance.

Droit au compte renforcé

Initialement, la loi PACTE était perçue comme facilitant l'ouverture de comptes bancaires pour les détenteurs du statut de PSAN, grâce à un renforcement du droit au compte.

L'article L312-23 du Code monétaire et financier institue un service de médiation au sein de l’ACPR pour arbitrer les litiges entre les entreprises du Web 3.0 et les banques, visant à limiter les refus abusifs d'ouverture ou de clôture de comptes.

Cependant, l'application effective de ce droit rencontre des difficultés pratiques. Les procédures peuvent s'avérer longues, et il est courant que les banques retardent le traitement des demandes, rendant ainsi le processus difficile à concrétiser.

Statut PSAN : aucune amélioration notable

Malgré l'introduction du statut de PSAN, aucun progrès significatif n'a été observé dans l'amélioration de l'accès bancaire pour ces entités.

Ce régime était censé apaiser les inquiétudes des banques et favoriser de meilleures relations avec les PSAN, mais il ne semble pas répondre à ces attentes. Les entreprises qui ont obtenu l’enregistrement de l'AMF ont également vu leur dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) validé par l'ACPR. Elles ont suivi ce parcours réglementaire et rempli leurs obligations dans l'espoir de faciliter la gestion de leurs activités. Néanmoins, les résultats semblent contraires aux intentions initiales. Ainsi, que l'on soit reconnu comme PSAN ou non, l'obtention d'un compte bancaire reste un défi pour les acteurs du secteur des actifs numériques.

Le rapport de la Cour des comptes en 2023[1] a révélé que les Prestataires de Services sur Actifs Numériques (PSAN) rencontrent toujours des difficultés significatives avec les banques. Ces établissements refusent fréquemment d'ouvrir des comptes pour les PSAN ou procèdent à la fermeture des comptes existants, affectant même les clients particuliers qui effectuent des transactions avec des PSAN.

De plus, les clients subissent des complications avec les banques liées à leurs activités en crypto-actifs. Les problèmes incluent le gel ou la fermeture de comptes dès la détection d'activités en crypto-actifs, ainsi que le blocage de virements entrants et sortants et le gel des avoirs, souvent sans possibilité de négociation, malgré une provenance clairement traçable des fonds.

Il convient de préciser également que la possibilité pour les entités fournissant des services sur des crypto-actifs, d’obtenir un enregistrement en tant qu’agent de prestataire de service de paiement en France se révèle également complexe, pour des raisons similaires à celles affectant l'ouverture de comptes bancaires. La méfiance des institutions financières envers les activités liées aux crypto actifs rend difficile l'accès à ce statut très demandé.

Réglementation européenne et obstacles bancaires : un avenir incertain pour les entreprises de crypto-actifs

Avec l'application prochaine du règlement MICA, les défis pour les PSAN (futurs CASP) risquent de s'intensifier. Ce règlement impose notamment l'obligation pour ces prestataires de détenir des comptes bancaires, de placer les fonds des clients dans un établissement de crédit ou une banque centrale, et exige des émetteurs de jetons que 30 % des fonds collectés soient constamment déposés auprès d'établissements de crédit.

En outre, les nouvelles réglementations européennes relatives aux stablecoins augmentent la complexité, avec des exigences telles que la conservation de 60 % des réserves en liquidités, réparties entre au moins six banques différentes. Cette condition représente une barrière notable pour l'accès au marché.

Malgré la possibilité d'ouvrir des comptes bancaires, les sociétés sur crypto-actifs font face à une multitude de défis, y compris des fermetures de comptes sans explication, le refus de fournir des moyens de paiement comme les cartes bancaires, ou la difficulté d'établir des prélèvements SEPA. Les banques se montrent également réticentes à accorder des prêts aux entités non enregistrées par l'AMF, et à traiter tout financement ou transaction liés aux actifs numériques, nécessitant fréquemment des justificatifs pour chaque opération.

Ainsi, les nouvelles contraintes imposées par le règlement MICA, combinées à la réticence des banques françaises, pourraient rendre difficile pour les sociétés sur crypto-actifs de se conformer aux réglementations.

Risques concurrentiels et défis de développement

La complexité des procédures bancaires en France pose des défis significatifs pour les acteurs du secteur des crypto-actifs, contrastant avec une situation plus favorable dans d'autres États membres de l'Union européenne. Cette difficulté accrue dans l'ouverture de comptes bancaires pourrait nuire à la compétitivité de la France dans ce domaine.

L'absence de soutien des banques freine le développement des entreprises, amenant certaines à envisager la délocalisation de leurs activités vers des environnements plus accueillants. Cette tendance menace non seulement l'innovation mais aussi la rétention des acteurs clés du secteur.

Les perspectives restent pessimistes pour les PSAN souhaitant ouvrir un compte bancaire, malgré un enregistrement censé simplifier cette démarche. La situation est encore plus délicate pour les acteurs non enregistrés. Pour favoriser l'évolution du secteur des crypto-actifs en France, il est crucial d'assurer le respect du droit d'accès au compte et d'appliquer strictement les sanctions légales face aux fermetures de compte non justifiées ou aux entraves aux procédures légales du droit au compte. Ces mesures sont essentielles pour garantir une concurrence équitable et stimuler une croissance saine de l'industrie.

[1] Rapport Cour des Comptes : « Les crypto-actifs : une régulation à renforcer » du 19 décembre 2023, S2023-1247 : « le défaut d’accessibilité des entreprises françaises, en particulier des PSAN, à des services bancaires en France pourtant garantis par le droit au compte devrait être une préoccupation pour les pouvoirs publics, tant pour le développement du secteur et la souveraineté française dans ce domaine que pour l’efficacité des dispositifs de LCBFT »

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