Hausse des taux et dettes publiques en zone euro

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Ombretta Signori et Romain Faquet (Ofi Invest Asset Management)

À l’heure de la publication des projets de loi de finances des États de la zone Euro, le marché se concentre à nouveau sur le sujet des politiques budgétaires et des déficits publics. Pour Ofi Invest Asset Management, Ombretta Signori, responsable de la recherche macroéconomique et Stratégie et Romain Faquet, économiste et macro-stratégiste, en décryptent les enjeux.

Comment évaluez-vous globalement l'orientation de la politique budgétaire en 2024 ?

Ombretta Signori : Tous les gouvernements européens doivent agir dans un contexte économique difficile ; l’inflation ralentit mais elle est encore élevée et l’activité stagne depuis bientôt 1 an. Les États ont des contraintes budgétaires plus pressantes puisque les taux d’intérêt se sont normalisés, augmentant ainsi le coût moyen d’endettement ; de plus la crise de la Covid et la crise énergétique ont globalement augmenté leur niveau d’endettement. Rappelons-nous qu’à cause de ces deux événements extrêmes et de la politique du « quoi qu’il en coûte », la dette de la zone Euro en % du PIB est passée de 84 % en 2019 à 91 % en 2022.

L’image d’ensemble donnée par le Fonds Monétaire International (FMI) dans ses nouvelles projections publiées début octobre est que l’impulsion budgétaire en 2024 sera négative en zone Euro, avec toujours une forte hétérogénéité dans les niveaux de déficit budgétaire entre les pays. Selon ces prévisions, en 2024, trois des principaux pays devraient encore avoir un déficit supérieur à 3 % : il s’agit de l’Italie, de la France et de la Belgique.

Parmi eux, l’Italie reste le pays le plus surveillé par les marchés. En effet, le gouvernement italien a annoncé un dérapage budgétaire en relevant sa prévision de déficit pour 2023 de 4,5 % à 5,3 % et celle pour 2024 de 3,7 % à 4,3 %. Les craintes du marché ont provoqué un écartement du spread BTP-Bund au-delà des 200 points de base début octobre. Concrètement, le dérapage est dû au « superbonus », une mesure adoptée par le gouvernement Conte qui offrait aux ménages italiens un crédit d’impôt de 110 % pour les projets de rénovation et d’isolation énergétiques. Le problème fondamental de cette mesure est que les avantages économiques des crédits d'impôt appartiennent au passé, tandis que leurs coûts (environ 140 milliards d’euros estimés au total) pèseront sur les années à venir.

L’autre élément important à souligner est que l’essentiel de la réduction des déficits européens depuis 2022 exprime davantage la fin des mesures d’aides qui avaient été mises en place pour la crise énergétique plutôt que le résultat d’un vrai effort budgétaire. Le risque sur les finances publiques reste asymétrique, selon nous, et les prévisions du FMI nous semblent optimistes. D’ailleurs, le contexte géopolitique ne permet pas d’être complètement à l’abri de nouveaux risques sur les matières premières et, le cas échéant, les gouvernements pourraient décider de renouveler certaines mesures d’urgence.

Les marchés ont pleinement intégré le message des banquiers centraux de taux d’intérêt courts plus hauts plus longtemps. Dans quelle mesure cela affecte-t-il la soutenabilité des dettes publiques, en particulier en France et en Italie ?

Romain Faquet : Ces dernières années, l’évolution des dettes publiques a bénéficié d’une charge d’intérêts relativement basse, reflet de nombreuses années de politique monétaire ultra-accommodante. Cette dynamique, couplée à des croissances nominales très élevées ces trois dernières années, a permis de limiter l’accroissement des ratios d’endettement public post pandémie et crise énergétique. Mais désormais, dans un contexte où la remontée des taux longs européens est probablement pérenne et où l’inflation va probablement refluer dès 2025 proche de 2 %, la France et l’Italie ne pourront plus compter sur un écart aussi favorable entre une croissance nominale élevée et des taux d’intérêt nominaux très faibles (cf. effet boule de neige, en bleu dans les deux graphiques ci-après). Cet écart favorable devrait disparaître dès 2024 en Italie et fondre progressivement en France jusqu’à devenir quasiment nul en 2030.

La France et l’Italie devront mener dans les prochaines années un effort constant d’amélioration de leur solde primaire pour être en mesure de stabiliser progressivement leur dette dans le PIB, compte-tenu d’hypothèses macroéconomiques réalistes(1). Or, rappelons que par temps calme, la stabilisation progressive de la dette dans le PIB peut être considérée comme un critère minimal raisonnable de soutenabilité. D’après nos simulations, tout choc important sur les taux d’intérêt (100 points de base ou plus par rapport aux niveaux implicites des marchés) mettrait en danger la stabilisation de la dette dans le PIB à horizon 2030, donc la soutenabilité des dettes publiques.

Quelles sont les échéances critiques à suivre dans les prochains mois ?

Romain Faquet : Les pays européens viennent d’envoyer leurs projets de loi de finances à la Commission européenne, qui devrait rendre son avis d’ici fin novembre. Dans le même le temps, plusieurs agences de notation vont actualiser leurs notes sur les dettes souveraines. La plus importante à suivre sera probablement Moody’s (le 17 novembre) qui avait déjà mis la dette italienne en perspective négative, avec risque de dégradation en « speculative grade » (notes en deçà de BBB/Baa).

La Commission aura ensuite jusqu’au printemps pour lancer, ou non, des procédures de déficit excessif vis-à-vis des pays dont le déficit dépasse les 3 % du PIB. Il est probable que la Commission privilégie une interprétation souple des règles budgétaires, au moins pour trois raisons.

Premièrement, les trajectoires fixées par les règles européennes ont été rarement appliquées strictement, en partie par reconnaissance de leur caractère procyclique. Deuxièmement, les règles ont été suspendues depuis l’entrée dans la crise de la Covid et les négociations sur les nouvelles règles budgétaires patinent. Dernièrement, une analyse très détaillée de l’Institut Bruegel (2) a montré à quel point les dernières propositions de réforme seraient particulièrement défavorables à la France, contrainte d’atteindre en quelques années un excédent primaire irréaliste. Au total, les chances d’un accord du Conseil d’ici la fin de l’année sont faibles. Troisièmement, en ce qui concerne spécifiquement l’Italie, les tensions avec la Commission devraient demeurer contenues puisque le « superbonus » coupable du dérapage budgétaire italien avait été validé par la Commission européenne comme partie prenante du plan de relance. Dans ce contexte, les discussions devraient se concentrer sur la crédibilité du chiffrage des recettes attendues par le gouvernement italien, dont une partie repose sur des privatisations.

Cela étant dit, un avis négatif de la Commission sur le budget italien dans les prochaines semaines alimenterait les craintes des marchés et le risque de dégradation de la note du pays.

(1) Nos projections se fondent sur une croissance potentielle de 1 % en France et 0,7 % en Italie, une inflation proche de 2 %, des taux 10 ans constants (3,4 % en France et 4,5 % en Italie) et une maturité de la dette constante. Sous ces hypothèses, la stabilisation de la dette dans le PIB nécessite un effort budgétaire constant pour atteindre en France un équilibre budgétaire primaire à horizon 2030 et en Italie un excédent proche de 2 points de PIB.

(2) « A quantitative evaluation of the European Commission’s fiscal governance proposal », Z. Darvas, L. Welslau and J. Zettelmeyer, Bruegel, 18 septembre 2023.

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