Il faut sauver le label Greenfin

  • Publication publiée :21 janvier 2022
  • Post category:Avis d'expert
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 La finance verte cristallise des attentes fortes tout en étant la cible régulière d’accusations de greenwashing. Il est donc normal que le cahier des charges du label Greenfin* évolue en augmentant ses exigences. Il faut veiller en revanche à ce que ces exigences ne deviennent pas contre-productives. Une tribune de la société de gestion Mirova.

À l’heure où la plupart des acteurs historiques du secteur énergétique avancent à marche souvent forcée vers la transition environnementale, certains s’imposent comme les nouveaux leaders du secteur énergétique, porteurs de solutions face au défi climatique. C’est le cas du danois Orsted, qui est à la transition verte ce que les licornes sont à la tech. Acteur historique des énergies fossiles, Orsted a pris progressivement un virage stratégique vers les énergies renouvelables. Selon notre estimation, celles-ci pèsent près de 68 % de son chiffre d’affaires en 2020, contre environ 2,4 % pour la génération d’électricité et chaleur d’origine fossile (charbon et gaz), une sortie complète du charbon étant annoncée pour 2023.

Un exemple pour le secteur

Cette transformation fait d’Orsted non seulement un exemple pour le secteur de l’énergie, mais aussi une valeur cible pour les investisseurs cherchant à financer les entreprises porteuses de solutions à la transition environnementale. Pourtant, contre toute logique, les fonds labellisés Greenfin – un des seuls labels de finance verte en Europe – risquent avec les nouvelles dispositions du référentiel de ne plus pouvoir investir dans Orsted.

La finance verte cristallise des attentes fortes tout en étant la cible régulière d’accusations de greenwashing. Il est donc normal que le cahier des charges du label Greenfin évolue en augmentant ses exigences. Il faut veiller en revanche à ce que ces exigences ne deviennent pas contre-productives.

Plus précisément, le débat porte sur les critères et les seuils d’exclusion du label. En reclassifiant tout l’aval des activités liées à la filière énergétique fossile (transport, distribution) d’un seuil d’exclusion de 33% à un seuil d’exclusion de 5 % du chiffre d’affaires d’une entreprise, le nouveau référentiel en arriverait, paradoxalement, à exclure des entreprises dont la majorité de l’activité provient des éco-activités. Orsted pourrait ainsi être exclu en raison de ses 15 % de chiffre d’affaires liés à ses activités de service de fourniture de gaz (achat et revente).

Exclusion stricte d'activités

Au global, pour le label Greenfin, c’est toute une partie de l’aval du secteur énergétique, avec notamment la distribution physique ou certains services habilitants, qui est désormais considérée comme pénalisante. L’exclusion stricte d’activités de bout de chaîne comme les réseaux de distribution de gaz ou de services tels que la fourniture d’énergie (achat-vente) est d’autant plus surprenante qu’ils peuvent contribuer – et contribuent souvent d’ores et déjà – à acheminer aussi des sources d’énergie propres, sans que la distinction puisse être faite.

Il ne s’agit pas ici de critiquer le principe de l’exclusion des acteurs du secteur fossile, pas plus que d’acteurs promettant d’être « en transition » alors même que leurs activités ne sont que marginalement liées aux éco-activités. Ces entreprises n'ont évidemment pas leur place dans un label destiné à financer des actifs verts. En revanche, il nous semble qu’une discussion est nécessaire pour que le label puisse rester exigeant tout en étant réaliste. Les évolutions en cours peuvent en effet pénaliser des entreprises d’ores et déjà « transitées », ayant réalisé la majorité de leur mutation, et dont les activités liées à l’ancien monde ne sont plus qu’un reliquat ayant vocation à se réduire encore.

Orsted et bientôt EDP

Orsted est le cas le plus emblématique, mais il n’est pas le seul. Le mouvement de transition amènera d’autres entreprises à se trouver dans une situation similaire. Ce sera bientôt le cas d’EDP, engagée à être 100 % renouvelable en termes de génération d’électricité d’ici 2030 avec une sortie du charbon prévue explicitement d’ici 2025, mais que son activité de « gaz et accès au réseau » (6,9 % du chiffre-d’affaires selon nos estimations pour 2020) rendrait inéligible aux fonds Greenfin. En tant qu’investisseurs dans une économie verte où le secteur de l’énergie est crucial, nous souhaitons pouvoir soutenir ces entreprises qui ont déjà choisi et ont déjà mis en œuvre les choix les plus ambitieux, et nous souhaitons pouvoir le faire sous le sceau du label Greenfin.

Il nous semble également important que le label Greenfin converge vers les standards européens en matière de finance verte. Nous pensons notamment au projet d’écolabel européen. Celui-ci exclut les entreprises dont la part du chiffre d’affaires lié aux activités fossiles dépasse les 5 %, mais peut aller jusqu’à 30 % de chiffre d’affaires lié à ces combustibles pour la génération d’énergie (chaleur/ électricité), sous condition notamment de l’existence d’un plan d’investissement massif dans les énergies renouvelables et d’un plan de fermeture/reconversion des infrastructures fossiles sur 10 ans. Le projet européen ouvre donc la réflexion sur la prise en compte des acteurs de l’énergie ayant d’ores et déjà effectué la majeure partie de leur transition. Il laisse cependant encore impensée la question du traitement de la section aval de la filière énergie, qui concerne de nombreux acteurs très engagés dans les éco-activités.

Il nous semble important que le label Greenfin mène un travail approfondi et concerté sur ces questions. Nous comprenons que le label Greenfin souhaite se positionner de manière forte, mais nous craignons qu’une position trop radicale associée à un manque de granularité au regard de la réalité des entreprises fragilise le label vis-à-vis de ses propres objectifs – favoriser l’investissement dans les éco-activités. Ce positionnement sur la filière énergie nous parait d’autant plus en décalage que d’autres secteurs ou activités potentiellement nocifs pour le climat et l’environnement ne font pas l’objet de contraintes particulières dans le cadre de Greenfin (aviation, élevage intensif, production de pesticides chimiques de synthèse pour ne citer que quelques exemples).

Un dilemme

Le label Greenfin est aujourd’hui une formidable solution pour proposer des produits en actions permettant aux épargnants français de soutenir les éco-activités. Le développement des encours labellisés Greenfin, du fait du haut niveau d’exigence du label, dépassent les 20 milliards d’euros au sein de 71 fonds labellisés. Mirova a pris une large part dans cette croissance, avec 7 milliards d’euros d’encours labellisés (soit autour de 30 % des encours en fonction des dates de référence utilisées par le label), dont près de la moitié en actions cotées. Or, les évolutions récentes du cahier des charges créent de réelles difficultés, à la fois techniques (comment se passer de l’énergie dans des fonds dédiés à l’économie verte ?) et philosophiques (en ne pouvant investir dans des acteurs champions des éco-activités). Nous nous trouvons face à un dilemme : devrons-nous désinvestir d’entreprises emblématiques comme Orsted pour conserver le label ? Nous ne le souhaitons pas.

*Créé par le ministère de la Transition Ecologique, le label Greenfin garantit la qualité verte des fonds d’investissement et s’adresse aux acteurs financiers qui agissent au service du bien commun grâce à des pratiques transparentes et durables. Les références à un classement, un prix ou un label ne préjugent pas des résultats futurs du fonds ou du gestionnaire.

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