La sécurisation du marché secondaire européen des crédits non-performants

  • Publication publiée :4 avril 2023
  • Post category:Avis d'expert
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Chronique juridique de Xavier de Kergommeaux, avocat au Barreau de Paris, Clément Vandevooghel, avocat au Barreau de Paris, Counsel, Gide Loyrette Nouel A.A.R.P.I et Agathe Llorens, avocat au Barreau de Paris, collaboratrice, Gide Loyrette Nouel A.A.R.P.I.

Afin de conserver un ratio de crédits non performants (non-performing loans ou NPL) relativement stable et à un niveau acceptable dans le bilan des établissements bancaires au niveau de l'Union Européenne, la directive européenne 2021/2167 (1) du 24 novembre 2021 (la "Directive") vient encadrer l'activité exercée par les gestionnaires de crédits et créer des règles protectrices applicables aux cessions de crédits non performants. L'objectif de la Directive est de développer le marché secondaire des NPL en introduisant un ensemble de règles communes pour les parties essentielles à ces opérations, à savoir les gestionnaires de crédits et les acheteurs de crédits.

1-l'encadrement de l'activité de gestionnaire de crédits

La Directive cherche tout d'abord à harmoniser le statut des gestionnaires de crédits afin d'encourager les cessions, qu'elle définit en son article 3 comme "toute personne morale qui, dans le cadre de son activité commerciale, gère et fait exécuter les droits et les obligations liés aux droits du créancier au titre d’un contrat de crédit non performant, ou au contrat de crédit non performant lui-même, pour le compte d’un acheteur de crédits, et qui exerce au moins une ou plusieurs activités de gestion de crédits".

Ainsi, les gestionnaires de crédit doivent désormais obtenir un agrément dans leur Etat membre d'origine afin de pouvoir exercer leur activité sur son territoire. L'article 5 de la Directive fixe les conditions d'obtention de l'agrément qui tiennent notamment à la forme juridique du demandeur qui doit être une personne morale, à la localisation de son siège social (dans l'Etat membre auprès duquel il formule sa demande), à l'honorabilité des membres de son organe de direction ou d'administration ou encore à son dispositif de gouvernance et de contrôle interne. Les États membres devront établir et tenir à jour un registre national des gestionnaires de crédits agréés sur leur territoire, accessible en ligne.

En outre, la directive crée également un passeport pour l’exercice transfrontalier des activités de gestion de crédits. Ainsi, par la simple information des autorités compétentes de l'Etat membre d'accueil par l’État d’origine, les gestionnaires de crédits agréés dans leur État membre d’origine pourront librement exercer les activités couvertes par l’agrément sur tout le territoire de l’Union européenne.

Par ailleurs, afin d'améliorer la qualité des échanges entre les emprunteurs et les gestionnaires de crédit, la Directive exige que ces derniers agissent de bonne foi, loyalement et professionnellement, dans le respect de la vie privée des emprunteurs. Leurs échanges ne doivent pas être constitutifs d'actes de harcèlement ou de coercition ou d'abus d’influence. Les échanges avec l'emprunteur doivent par ailleurs être conservés pour une durée de 10 ans minimum.

Enfin, dans un souci de transparence, après chaque transfert ou cession de crédits et avant le premier acte de recouvrement, le gestionnaire de crédit devra transmettre à l'emprunteur un certain nombre d'informations, relatives notamment au transfert de la créance, à l’identité de l’acheteur de crédits ou encore aux montants dus par l’emprunteur.

2-La sécurisation des cessions de crédits non performants

La Directive cherche par ailleurs à sécuriser les cessions de crédits non performants, que ces cessions portent sur les créances ou bien sur le contrat lui-même. 

Ainsi, la Directive crée de nouvelles obligations d'information à la charge des établissements de crédit cédants, aussi bien avant qu'après la cession. En effet, ces établissements de crédit auront l'obligation de communiquer à l'acheteur de crédits potentiel (c'est-à-dire toute personne physique ou morale, autre qu’un établissement de crédit, qui agit dans le cadre de l’exercice de ses activités commerciales ou professionnelles) les informations nécessaires concernant les droits du créancier, le contrat de crédit lui-même et toute garantie. Ces informations devront lui permettre d'évaluer en amont de la cession la valeur des droits du créancier et la probabilité de recouvrement des créances et, in fine, de mesurer les risques attachés au portefeuille.

Pour cela, les banques devront utiliser des modèles de divulgation de données, dont le contenu et le format seront précisés par des normes techniques d'exécution de l'Autorité bancaire européenne. Ces modèles devront également être utilisés dans le cadre de cessions de crédits non performants à d'autres établissements de crédit. 

Par ailleurs, une obligation d'information périodique incombera aux établissements de crédit qui cèdent des crédits non performants à des acheteurs de crédits. En effet, ils devront communiquer semestriellement, voire trimestriellement, les détails de leurs cessions à l'autorité de leur État d'origine et aux autorités de l'État membre d'accueil concerné. Cette information porte notamment sur l'identité de l'acheteur de crédits, le nombre de crédits cédés ou encore le type d'actifs garantissant ces crédits.

En outre, les acheteurs de crédits seront également soumis à de nouvelles obligations. En effet, les acheteurs de crédits situés dans l'Union européenne seront tenus de désigner un gestionnaire de crédits agréé, un établissement de crédit de l'Union ou un prêteur hypothécaire ou de crédit à la consommation supervisé par l'Union européenne pour exercer des activités de gestion de crédits dans le cadre de contrats de crédits non performants conclus avec des consommateurs. Cette obligation est plus étendue lorsque l'acheteur de crédits se situe en dehors de l'Union européenne, car elle s'applique dans le cadre de tout contrat de crédit non performant conclu avec toute personne physique, micro-entreprise ou petite et moyenne entreprise.

Enfin, si l’acheteur de crédits cède des crédits non performants à un autre acheteur de crédits, il sera tenu à un reporting semestriel similaire à celui exigé des établissements de crédit cédants originels.

3-Les modifications des textes européens

Enfin, la Directive modifie également les directives européennes 2008/48/CE relative aux contrats de crédit aux consommateurs et 2014/17/UE relative aux contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel.

Désormais, le nouveau texte impose aux prêteurs de nouvelles obligations d'information des emprunteurs avant toute modification des conditions du prêt. A ce titre, le créancier devra notamment apporter une description des modifications envisagées, indiquer le calendrier de mise en œuvre desdites modifications ou encore décrire la procédure de réclamation pouvant être exercée par le client.

En outre, afin de limiter le recours aux procédures de saisie et donc de favoriser les procédures de recouvrement amiable, la Directive prévoit une liste de mesures de renégociation pouvant être exercées par le créancier, telle que la prolongation de la durée du contrat de crédit, la modification du taux d'intérêt ou encore le recours à un refinancement.

S'agissant de la transposition de la Directive en France, la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 a habilité le gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance aux fins de transposer la Directive dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation de ladite loi, la date limite de transposition pour les Etats membres étant fixée au 29 décembre 2023.

(1) Directive (UE) 2021/2167 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2021 sur les gestionnaires de crédits et les acheteurs de crédits, et modifiant les directives 2008/48/CE et 2014/17/UE (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE)

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