Les rétrocessions, l’arbre qui cache la forêt ?

  • Publication publiée :24 août 2023
  • Post category:Avis d'expert
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Tiphaine Saltini est fondatrice et directrice générale de Neuroprofiler.

La protection des investisseurs particuliers et la fin des rétrocommissions font débat depuis plusieurs mois dans le cadre de la Retail Investment Strategy (RIS) de la Commission européenne. Chronique juridique de Tiphaine Saltini, fondatrice et directrice générale de Neuroprofiler.

Le monde de l’investissement financier connaît actuellement beaucoup d’agitations autour du projet d’interdiction des rétro-commissions, appelé Retail Investment Strategy (RIS).

Ces rétro-commissions sont aujourd’hui versées par les gérants d’actifs aux distributeurs en échange de la commercialisation de leurs produits aux particuliers.

Selon différentes études, ces rétrocessions représenteraient de 50 à 65 % des frais perçus sur les fonds et autres véhicules de placement collectifs. Un calcul détaillé du rapport 2019 de l’ESMA montre qu’un particulier perdrait sur 40 ans environ 55% de son encours en raison de ces frais.

Par ailleurs, les rétrocommissions inciteraient les gestionnaires à biaiser leur conseil en faveur des produits financiers qui leur rapportent le plus.

Ce projet d’interdiction, porté par la Commission Européenne et en particulier par Mairead McGuinness, devait impacter les textes MiFID II, DDA et PRIIPS d’ici l’été 2023.

Néanmoins, malgré le fait que cette interdiction s'applique déjà au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, il semble que l’hostilité d’un certain nombre d’Etats Membres, dont la France et l’Allemagne, remette en cause un tel projet.

Ces derniers s’inquiètent en effet du manque à gagner que représenterait une telle interdiction, et de l’impact que cela pourrait avoir sur le coût des services de conseil pour les particuliers.

Lors de l’intervention d’Emmanuel Moulin, Directeur général du Trésor en France, en février 2023, ce dernier a rappelé que « Toute mesure devant conduire à mettre en risque l’accès au conseil en investissement serait contraire à [l’objectif d’améliorer la participation des investisseurs particuliers aux marchés de capitaux], en particulier toute mesure qui consisterait à remettre en cause les équilibres actuels. (…) Dans ces conditions, nous sommes opposés à toute proposition d’interdiction des rétrocessions. Nous sommes favorables à la transparence, mais une mesure générale d’interdiction des rétrocessions qui serait proposée par la Commission risquerait de remettre en cause ces objectifs. »

L’argument de la participation des particuliers aux marchés financiers est tout à fait louable mais cache en fait un double problème lié à la qualité actuelle des services en matière de conseil financier.

Améliorer la qualité du conseil plutôt que le rendre plus onéreux

Le conseil financier prodigué par une majorité d’institutions financières européennes reste en effet souvent inadapté aux besoins des particuliers.

Le problème commence dès la phase de détection des besoins des investisseurs. Comme l’ont montré l’ESMA ou l’AMF, les systèmes d’évaluation des préférences et de l’appétit au risque des investisseurs restent très rudimentaires.

Sûrement submergé par l’ampleur de la vague réglementaire, la plupart des établissements ont une version minimaliste des questionnaires d’évaluation des investisseurs. Malgré les recommandations de l’ESMA en 2012, peu de ces questionnaires reposent sur une approche académique solide pour bien estimer le profil des particuliers.

Partant d’une mauvaise base, les banques continuent trop souvent à développer un conseil financier très tourné vers les produits plutôt que sur les problématiques d’allocation d’actifs beaucoup plus profitables quand elles sont bien gérées.

Accroître l’éducation financière pour compenser un conseil encore perfectible et onéreux

Dans un contexte où 70% des particuliers européens ne maîtrisent pas les concepts basiques de finance (Possible Finance, 2021), il paraît difficile pour ces derniers de s’orienter vers les bons produits financiers, surtout en l’absence d’un conseil de qualité.

Si, selon les prédictions des opposants au projet, le coût des services de conseil venait à augmenter pour compenser le manque à gagner issu de l’interdiction des rétro-commissions, certains particuliers plus modestes pourraient même s’abstenir d’investir plutôt que d’investir dans des produits dont ils ne comprennent pas les mécanismes.

Ainsi, au-delà de la question des rétro-commissions, une meilleure protection des investisseurs passe avant tout par une bonne évaluation de leur profil d’investisseur et une meilleure éducation financière. Quand on sait qu’à l’heure actuelle seuls 49% des Européens bénéficient d’une éducation financière basique, il reste du chemin à faire

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