Green bonds – financer la transition par temps gris

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Par Etienne Pierrard, analyste ESG chez Mandarine Gestion

Publié il y a quelques jours, le rapport World Energy Investment de l’IEA (1) nous informe que près de 2 000 milliards d’euros ont été investis, à l’échelle mondiale, dans la transition énergétique en 2024. Pour les deux tiers, ces financements proviennent du secteur privé. Si ce chiffre semble colossal, il est en réalité largement dirigé par les investissements chinois. De plus, pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2030, ces investissements devraient s’élever à 4 200 milliards, soit plus du double. Les efforts à fournir pour atteindre nos objectifs climatiques restent importants.

Par ailleurs, trois rapports publiés plus tôt cette année (2) s’accordent sur la nécessité d’augmenter significativement les financements alloués à la transition écologique pour réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre en Europe d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone en 2050. En réalité, le doublement de ces financements serait préconisé, correspondant à un montant additionnel de 406 milliards d’euros par an au niveau européen. Si les rapports sont explicites sur les activités à financer en priorité, ils restent flous sur la répartition nécessaire entre public et privé. Dans un contexte politique et géopolitique international tendu, une chose est certaine, la mobilisation conjointe des deux acteurs est impérative pour atteindre nos objectifs climatiques.

Dans l’optique de relever ce défi, les entreprises et investisseurs peuvent recourir à un outil dédié : les obligations vertes, ou les « green bonds ».
Ces titres de dette émis sur les marchés financiers sont destinés à financer des projets « verts » comme le développement d’énergies renouvelables ou la mobilité bas carbone. Ces obligations respectent généralement un cadre d’émission élaboré par l’ICMA (3) : les Green Bond Principles (GBP). Ce cadre détermine la manière dont peuvent être utilisés les fonds, le processus de sélection et d’évaluation des projets et impose, enfin, un reporting d’impact qui doit refléter les bénéfices écologiques du financement alloué. D’autres mécanismes de financement de la transition se sont développés en filigrane comme les SLB (Sustainability Linked Bonds) qui adossent le taux de l’obligation à l’atteinte annoncée d’une performance environnementale ou sociale, ou encore les Blue Bonds, obligations dédiées aux mers et aux océans. La Banque mondiale a même placé en 2022 pour 150 millions de dollars de « rhino bonds », obligation d’un genre nouveau, qui ne verseront pas d'intérêts à leurs porteurs. Les investisseurs ne seront rémunérés que si les objectifs de croissance de la population des rhinocéros noirs en Afrique australe sont atteints.

Malgré sa portée honorable, le mécanisme global connait aujourd’hui des failles qu’il est nécessaire de combler pour assurer une allocation efficace des fonds vers la transition. La connaissance et la vigilance d’une équipe d’analyse restent selon nous indispensables pour surmonter ces obstacles.
Tout d’abord, les émetteurs peuvent contourner, et certains projets de développement peuvent se teindre de vert, pour respecter les GBP. A Hong Kong, une société a financé le plan d’expansion de son aéroport avec une obligation verte (4) ; encore, un acteur dubaïote a émis une obligation verte pour financer la construction d’une station de ski indoor dans le désert (5). On le comprend, si le projet promet un certain niveau de performance environnementale (efficacité énergétique, émissions basses, etc.) et respecte le cadre des GBP, il ne concourt pas pour autant à l’atténuation du changement climatique.

Notre conviction et méthodologie est que la portée extra-financière de chaque cadre de financement doit être analysée qualitativement pour entrer dans le périmètre investissable, et ce de façon systématique et immuable. De cette façon nous nous assurons, en amont, du bien-fondé des projets éligibles avant financement, puis en aval, du suivi et du contrôle de la performance extra-financière via le rapport d’impact.

Un second point d’attention est qu’une obligation verte est émissible par n’importe quelle entreprise et ce, quelle que soit son activité ou sa stratégie climatique. Il est à notre sens pertinent de participer au financement de la transition d’une entreprise lorsqu’elle a travaillé sur un modèle d’affaire aligné avec les exigences climatiques et la responsabilité sociale. Une illustration explicite de cette vigilance réside dans l’analyse du secteur de la fast- fashion. Le financement d’une obligation verte visant à augmenter la part d’énergie renouvelable d’une activité qui exerce une pression non soutenable sur la matière, l’eau, l’Homme, tout en générant une quantité non gérable de déchets, nous semble incohérent. Il est ainsi cardinal d’assurer la cohérence de la stratégie de l’entreprise avec les objectifs environnementaux et minimums sociaux avant de financer ses projets.

S’il est donc indispensable d’y attacher la vigilance nécessaire quant à l’émetteur et au projet financé, afin notamment d’en garantir la crédibilité et la pérennité à long terme auprès des investisseurs, les obligations vertes restent un levier particulièrement efficace pour financer la transition. Dans un contexte politique qui met à risque le financement de la transition, l’obligation verte reste un vecteur sûr grâce au cadre qu’elle impose aux émetteurs et à la transparence qu’elle requiert.

Sources et annexes :
1
World Energy Investment Report, IEA, 2024
2
Les incidences économiques de l’action pour le climat, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, mai 2023
Road to net Zero
, Institut Rousseau, janvier 2024
European Climate Investment Deficit Report
, I4CE, février 2024
3 The international Capital Market Association

4
High-flying greenwashing around a new green bond for Hong Kong Airport press release, Reclaim Finance, janvier 2022
5
Un documentaire d’Arte exécute les fausses promesses de la finance durable, Novethic, juin 2022

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