Adopté samedi dernier par le Sénat, le projet de loi sur les retraites doit être examiné demain en commission mixte paritaire. Maintes fois repoussée, cette réforme cristallise toutefois de nombreuses oppositions et tensions sociales en France. Analyse de Tiphaine Saltini, directrice générale de Neuroprofiler, dans cette chronique juridique.
Le 7 mars, 3,5 millions de Français selon la CGT, et 1,28 million selon le ministère de l’Intérieur, ont manifesté contre la réforme des retraites. Des chiffres légèrement supérieurs aux dernières manifestations sur le sujet ces trente dernières années, qu’il s’agisse des réformes initiées par les gouvernements d’Alain Juppé, de Jean-Pierre Raffarin, de François Fillon ou d’Edouard Philippe.
La question des retraites est source d’inquiétudes et de tensions depuis de nombreuses années en France, exacerbées aujourd’hui par un contexte d’inflation à 6% et de baisse du pouvoir d’achat. Selon une étude du courtier Altaprofits en 2022, 50% des Français ont peur de la baisse de leur pouvoir d’achat à la retraite. Cette appréhension est légèrement supérieure chez les femmes, qui représentent 61% des personnes inquiètes du sujet.
Les réformes des régimes de retraite sont également problématiques chez nos voisins européens, où ils représentent un véritable enjeu électoral.
Elsa Fornero est professeur à l’université de Turin et ancienne ministre du Travail. Elle est à l’initiative de la réforme des retraites en 2011 en Italie, passant l’âge de la retraite à 67 ans, et entraînant de nombreuses manifestations et tensions sociales dans le pays.
En 2018, Elsa Fornero publie un article académique, coécrit avec sa collègue de l’université de Turin Anna Lo Prete, qui conclut que les gouvernements européens sont rarement réélus après avoir réformé les retraites, à l’exception de quelques pays comme l’Allemagne.
Comment expliquer ces disparités ?
Selon cette analyse, deux facteurs semblent principalement influencer l’impact électoral des réformes retraite : la marge avec laquelle les élections précédentes ont été gagnées et le niveau d’éducation financière.
Comprendre le mécanisme des retraites est en effet essentiel pour comprendre les mécanismes complexes d’accumulation, de système de répartition, de diversification ou encore de taux d’intérêts composés.
Ces résultats sont en ligne avec d’autres études académiques sur le sujet, comme celles de Alesina (et al.) et Lusardi (et al.) en Italie, Montagnoli (et al.) au Portugal, Alessie (et al.) aux Pays Bas, mais aussi de Landerretche (et al.) au Chili.
Ces dernières montrent toutes la corrélation entre éducation financière et acceptation des réformes des retraites, mais aussi taux d’épargne complémentaire pour la retraite.
Manque de culture financière
Par exemple, dans l’étude de Landerretche (et al.) au Chili, une bonne réponse supplémentaire à un quiz de connaissances financières en matière de retraite (sur un total de six questions basiques) génère environ 50 % de chances supplémentaires que le particulier épargne pour sa retraite au cours de l’année.
Or, le niveau d’éducation en Europe reste globalement bas. Selon une étude Allianz 2020, 30% des Européens sont en capacité de répondre à des questions de finance basiques portant sur des notions basiques de taux d’intérêt, de diversification ou encore d’inflation. Un manque de culture financière qui touche encore plus les femmes, avec 16% de points d’écart avec les hommes sur ce sujet.
Des résultats en ligne avec une étude précédente de l’OCDE en 2012 qui indiquait qu’une proportion significative des particuliers ne comprennent pas des notions basiques comme la diversification.
Il existe néanmoins de vraies disparités au sein des pays européens. Les Allemands, les Néerlandais ou encore les Finlandais ont notamment de bien meilleurs résultats que les pays d’Europe du Sud, notamment en raison des cours de finance dispensés à l’école.
Pourtant, les Européens s’intéressent aux sujets financiers et souhaitent se former. Selon une étude de la Banque de France en 2020, 52% des Français déclarent s’y intéresser, en particulier sur les sujets d’épargne retraite.
Ces résultats sont une nouvelle incitation pour les gouvernements de renforcer l’éducation financière des citoyens européens.