Avis d'expert de Nabil Milali, gérant/stratégiste multi-asset & Overlay chez Edmond de Rothschild Asset Management
Le clivage politique au sein de l’Assemblée Nationale ne laissait que peu de place au doute quant au sort du gouvernement Bayrou et bien que ce dernier ait voulu y croire jusqu’au bout, le vote de confiance s’est bien soldé par un échec, précipitant ainsi sa démission et la chute de son gouvernement.
La France se retrouve donc dans la même situation que l’année dernière après le départ de M. Barnier et devrait connaître son 5ème Premier Ministre en trois ans, signe de la grande instabilité politique qui caractérise le pays depuis le début du second mandat d’E. Macron. Confronté à une tripartition inédite du paysage politique sous la cinquième République, le président a désormais trois options devant lui que nous présentons ici du plus au moins probable selon nous :
- La nomination d’un nouveau premier ministre est l’option que nous privilégions à ce stade, attendue aussi bien par les marchés financiers que par les proches du chef de l’Etat. Si ces derniers citent G. Darmanin, S. Lecornu ou encore C. Vautrin comme candidats potentiels, ces hypothèses ont perdu en crédibilité car l’équation politique ne peut désormais être résolue sans le Parti Socialiste compte tenu de l’intransigeance du Rassemblement National. E. Macron a donc tout intérêt à se tourner vers le côté gauche de l’hémicycle, que ce soit en nommant une figure du parti comme O. Faure ou une personnalité susceptible d’obtenir l’assentiment du PS, à l’image du ministre de l’économie E. Lombard ou l’ancien ministre J.L Borloo. Dans ce cas, le nouveau Premier Ministre disposerait de marges de manœuvre aussi étroites que F. Bayrou, limitant ainsi fortement sa capacité à voter un texte ambitieux de réduction du déficit public.Dans tous les cas, il faudra présenter un nouveau budget au plus tard 70 jours avant la fin de l’année donc a priori le 13 octobre, ce qui devrait pousser Emmanuel Macron à nommer quelqu’un assez rapidement.
La difficulté à trouver un compromis dans la configuration actuelle de l’Assemblée Nationale devrait ainsi conduire à renouveler peu ou prou l’ancien budget, entraînant une amélioration très modeste du déficit public. Les investisseurs pourraient toutefois choisir de regarder le verre à moitié plein et saluer l’absence de dérapage additionnel des équilibres budgétaires, ce qui se traduirait par une stabilisation du spread OAT-Bund et un regain d’attractivité temporaire des actions françaises à mesure que l’incertitude politique se dissipera. Cependant, la France ne ferait que repousser encore une fois le sujet délicat des finances publiques, lequel reviendra sur le devant de la scène dès l’année prochaine, en attendant une véritable clarification au plus tard en 2027. - Une dissolution de l’Assemblée Nationale. Alors qu’il ne pouvait pas y recourir après la chute du gouvernement Barnier fin 2024, ceci fait désormais partie des options à la disposition du président de la République. Sans être majoritaire, la probabilité de ce scénario est non-négligeable compte tenu des clivages politiques très profonds au sein de la classe politique, auxquels se rajoute désormais un mouvement de contestation sociale qui s’annonce important à partir du 10 septembre. En cas de forte mobilisation, E. Macron pourrait ainsi décider de redonner la main aux citoyens en convoquant de nouvelles élections, en espérant qu’une majorité plus claire se dégage cette fois-ci. C’est en tout cas le scénario espéré par le Rassemblement National, lequel menace de censurer tout nouveau Premier Ministre quelle que soit son orientation politique.
M. Le Pen semble en effet voir dans la situation politique actuelle une opportunité pour accéder au pouvoir. D’une part, car les sondages la placent dans une position très avantageuse face à un Nouveau Front Populaire fracturé qui ne devrait probablement pas présenter de candidats communs dans toutes les circonscriptions, si bien que des résultats élevés au 1er tour devraient se traduire par des projections de siège plus importants qu’aux élections législatives de 2024. D’autre part, l’épée de Damoclès judiciaire reste au-dessus de la tête de M. Le Pen, avec le risque d’une longue période d’inéligibilité si sa condamnation est confirmée en appel (nouveau procès à partir de janvier 2026), ce qui pourrait l’inciter à tout mettre en œuvre pour que le prochain Premier ministre soit issu de son camp afin de supprimer la peine d’inéligibilité pour les élus condamnés par la Justice, lui ouvrant ainsi la voie pour une candidature à la présidentielle de 2027. Néanmoins, en dépit des ambitions du RN, les sondages continuent d’indiquer que la progression du parti ne suffirait pas à lui accorder la majorité absolue, y compris en tenant compte d’une alliance avec Les Républicains, ce qui tend à suggérer qu’il sera dans l’incapacité d’appliquer un programme très dépensier. Si une dissolution constituerait sans doute une mauvaise surprise pour les marchés financiers et pourrait donc entraîner un écartement sensible du spread français ainsi qu’une sous-performance du CAC 40 par rapport à ses pairs européens, l’impact devrait tout de même être contenu. Par ailleurs, nous estimons que la contagion vers le reste des taux européens et la monnaie unique resterait globalement limitée. - Une démission du président de la République est très peu probable à ce stade mais ne peut être exclue totalement, d’autant plus qu’il s’agit d’une revendication d’une partie du mouvement de contestation du 10 septembre. C’est aussi un objectif de la France Insoumise qui refuse tout compromis, même en cas de nomination d’un Premier Ministre de gauche, afin de contraindre E. Macron à acter le blocage institutionnel et se retirer avant la fin de son mandat.Ce scénario serait certainement le plus défavorable pour les actifs français car le risque de victoire des extrêmes serait non négligeable, ce qui pourrait entraîner un écartement marqué du spread français, probablement vers de nouveaux points hauts.
Dans ce scénario, le risque de contagion avec une dépréciation de l’euro et des tensions sur le marché du crédit serait palpable. En effet, la crainte des investisseurs serait non pas que les efforts soient insuffisants pour réduire le déficit budgétaire mais plutôt que celui-ci se dégrade de nouveau dans la mesure où les programmes de ces partis politiques prévoient une augmentation significative de la dépense publique sans réelles mesures d’économies par ailleurs, sans oublier leur volonté d’engager le bras de fer avec Bruxelles. Néanmoins, la probabilité d’une démission d’E. Macron reste très faible, celui-ci ayant lui-même indiqué récemment qu’il irait jusqu’au terme de son mandat.
Quelle que soit l’issue de la crise politique actuelle, la probabilité d’une réforme d’ampleur des finances publiques restera faible, si bien que les marchés financiers eux-mêmes semblent être résignés et se contenteront probablement d’un scénario où le déficit budgétaire ne se dégrade pas davantage. Pourtant, sans être catastrophique, la situation est préoccupante tant la France diverge du reste de la Zone Euro avec le déficit budgétaire le plus important (-5.8% en 2024 ; -5.4% attendu en 2025 vs une moyenne ZE autour de -3%) et une dette publique dont la trajectoire est haussière (113% en 2024 et 117% attendu en 2025). Cette dégradation des équilibres budgétaires s’explique principalement par une baisse des recettes fiscales du fait des baisses d’impôts accordées aux ménages (-1.6 pt depuis 2017) et aux entreprises (-0.8 pt), laquelle n’a pas été compensée par une réduction de la dépense publique (revenue au niveau de 2017 après un pic pendant la pandémie).
Si beaucoup de partis s’accordent sur la nécessité de réduire la dépense publique qui représente aujourd’hui 57% du PIB (vs 50% en moyenne pour la zone euro), difficile pour autant de trouver une majorité pour des mesures qui ramèneraient le déficit primaire en-dessous du niveau stabilisant la dette. En effet, en décomposant cet excédent de dépenses par rapport au reste du continent (7 ppt), l’essentiel provient du système des retraites (2.2 ppt) et de la santé (1.5 ppt), deux sujets politiquement explosifs que les partis cherchent à éviter, les incitant à proposer des ajustements du déficit à la marge seulement. Tout porte donc à croire que le statu quo devrait perdurer, à moins que la pression de la Commission Européenne et surtout celle des marchés financiers ne s’accentue, auquel cas des choix plus difficiles devront nécessairement être faits, probablement à l’issue de nouvelles élections législatives ou présidentielle.