L’ESG à la croisée des chemins

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Dans un contexte géopolitique et économique incertain, l’année 2025 reste marquée par différentes propositions « Omnibus » de la Commission européenne, notamment en matière de finance durable et de défense nationale, bousculant les lignes de la finance durable. Chronique juridique de Marie-Aude Noury, avocat au Barreau de Paris, associée, Squair A.A.R.P.I.

A la suite du rapport Draghi soulignant le nécessaire besoin de compétitivité et d’allègement du fardeau administratif des entreprises, la Commission européenne a initié le 26 février 2025 une proposition dite Omnibus visant à modifier les principaux textes réglementaires du Pacte Vert. Alors que la Directive 2025/794 du 14 avril 2025 (« Stop the clock ») décale de deux ans l’entrée en vigueur de la CSRD pour les deuxième et troisième vagues d’entreprises concernées, et d’un an le délai de transposition de la CS3D, les modifications de fond concernant la CSRD et la CS3D devraient être discutées par le Parlement courant octobre en vue d’un accord du trilogue pour la fin de l’année.

D’un Omnibus à l’autre

Une des modifications majeures de la CSRD concerne l’élévation des seuils. Dans sa proposition de février 2025, la Commission relève le seuil des effectifs à 1 000 employés. Le 23 juin dernier, le Conseil a conservé le seuil de 1 000 employés mais élevé le seuil du chiffre d’affaires à 450 millions d’euros. La position liminaire du Parlement envisageait d’élever à 3 000 le seuil des employés. Le Parlement devrait se prononcer mi-octobre.

Une telle élévation de seuils conduirait à exclure du champ d’application de la CSRD bon nombre d’entreprises qui sont actuellement visées, et impacterait sensiblement les données ESG disponibles. La présidente de la BCE s’en est d’ailleurs émue dans une lettre du 15 août 2025 adressée au Parlement européen, soulignant les risques pour la stabilité du système bancaire européen en cas de réduction de la disponibilité des données ESG permettant d’évaluer le risque climatique.

La Commission européenne a publié le 30 juillet dernier une recommandation sur la norme volontaire d’information en matière de durabilité pour les petites et moyennes entreprises dite VSME (« Voluntary Standard for non-listed SMEs ») qui devrait servir de plafond concernant les informations que les entreprises soumises à la CSRD pourront demander à leurs fournisseurs ou autres participants à la chaîne de valeur. Autrement dit, cette norme devrait devenir un standard de durabilité pour les entreprises en dehors du champ de la CSRD.

Par ailleurs, un acte délégué de la Taxonomie a été adopté en juillet 2025 en vue d’alléger les tableaux de reporting obligatoire et de permettre aux entreprises de n’avoir plus à publier l’information non matérielle (avec un seuil de matérialité à 10%) sur les indicateurs de chiffre d’affaires, capex et opex.

L’EFRAG a ouvert à consultation la révision des ESRS, et devrait soumettre celle-ci à la Commission européenne d’ici novembre 2025, avec une simplification massive des points de données (réduction de deux-tiers). Un règlement délégué « Quick Fix » du 11 juillet 2025 comporte certains allègements dans le reporting au titre des ESRS pour les entreprises de la première vague qui sont tenues de publier un rapport de durabilité.

Notons également que la Commission européenne a porté la révision du règlement SFDR à son agenda du 19 novembre 2025.

La multiplicité des évolutions réglementaires de la finance durable apportées ou en cours d’adoption en 2025 surprend au moment où le cadre réglementaire venait d’être parachevé avec l’adoption de la CS3D en mai 2024 et les premiers rapports de durabilité émis par les entreprises de la première vague au titre de la CSRD en 2025. Cette instabilité réglementaire conduit à une grande incertitude pour les acteurs. Si la norme juridique doit naturellement évoluer à l’épreuve des faits, il est essentiel qu’elle réponde néanmoins aux exigences de clarté, d’intelligibilité et de de prévisibilité. D’autant plus qu’aux modifications textuelles s’ajoutent des recommandations interprétatives de la Commission du cadre de la finance durable.

La finance durable au regard du secteur de la défense nationale

Dans le prolongement du « White Paper for European Defence - Readiness 2030 », la Commission européenne a publié le 17 juin 2025 un paquet de mesures de simplification «Defense Readiness Omnibus» visant à lever les obstacles  juridiques et administratifs auxquels l’industrie de la défense est confrontée. Parmi les différentes mesures proposées, figure l’avis C (2025) 3800 de la Commission sur l’application du cadre en matière de finance durable et de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité dans le secteur de la défense. Cet avis a « pour but de contribuer à prévenir toute discrimination indue du secteur dans les décisions d’investissement et d’assurer une meilleure compréhension et une meilleure reconnaissance du potentiel du secteur à participer à la durabilité sociale ». La Commission y décline l’application du cadre réglementaire de la finance durable au secteur de la défense.

Selon l’avis de la Commission, il n’y a pas d’incompatibilité en soi du secteur de défense avec la finance durable. La Commission invite à une analyse au cas par cas. La Commission rappelle que le cadre de la finance durable est neutre d’un point de vue sectoriel, hormis le cas des armes controversées. Ainsi, ce n'est pas parce qu'un investissement concerne le secteur de la défense qu'il ne peut pas être durable.

La Commission reconnaît le secteur de la défense comme un contributeur essentiel à la résilience et à la sécurité de l’Union européenne, conformément aux objectifs de l’Union et des Nations unies, et partant, à la paix et à la durabilité sociale.

A ce titre, la Commission encourage les acteurs des marchés financiers à ne pas considérer la défense comme de facto non contributrice dans leur évaluation des secteurs contribuant positivement à la durabilité sociale, que ce soit lors de la prise en compte des incidences négatives au titre du SFDR ou des préférences en matière de durabilité au titre de MIFID. La Commission souligne que les acteurs des marchés financiers peuvent considérer, sur la base d’une analyse au cas par cas, que les activités de défense qui préservent la paix et la sécurité contribuent à la réalisation des objectifs sociaux, à condition qu'elles ne nuisent pas de manière significative à d'autres objectifs de durabilité et qu'elles respectent les bonnes pratiques de gouvernance.

La Commission rappelle que la CS3D couvre le secteur de la défense comme tout autre secteur, étant précisé cependant que l’obligation de vigilance ne s’étend pas aux activités des partenaires commerciaux en aval des entreprises en lien avec des produits militaires et à double usage dès lors que leur exportation a été autorisée par les autorités des États membres. Elle souligne par ailleurs que la CSRD permet aux entreprises de ne pas divulguer des informations classifiées ou sensibles, même si ces informations sont considérées comme matérielles. La Commission précise également que les entreprises ayant des activités liées à la défense peuvent prétendre à l'alignement sur la Taxonomie pour les activités horizontales éligibles (par exemple, verdissement des bâtiments, infrastructures, transports propres), à condition qu'elles satisfassent aux exigences applicables.

Dans ce contexte mouvant qui pourrait être source de nouvelles opportunités, les acteurs des marchés financiers devront néanmoins veiller à disposer de l’information ESG nécessaire et effectuer les diligences adéquates afin de s’assurer de la durabilité de leurs investissements.

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