Fraudes aux virements : une nouvelle menace pour le patrimoine des investisseurs

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Les fraudes aux virements menacent directement le patrimoine. Les banques ne remboursent que si une anomalie était visible. Les investisseurs doivent renforcer contrôles et vigilance pour protéger leurs actifs. Chronique juridique de Julie Guénand, avocate chez Henriot & Associés.

La fraude aux virements n’est plus seulement un risque pour les entreprises : elle concerne désormais tout détenteur de patrimoine, qu’il s’agisse de placements financiers, de SCI familiales, d’investissements locatifs ou de transactions immobilières. Les escroqueries dites « fraude au président » ou les techniques de spoofing touchent aussi bien les sociétés de gestion que les particuliers effectuant un virement lors d’une acquisition, d’un refinancement ou d’un appel de fonds.

Chaque transfert pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers, voire millions d’euros, la sécurisation des flux devient un enjeu patrimonial majeur.

Les fraudeurs ont parfaitement compris que les opérations liées à l’immobilier et à la gestion de patrimoine présentent des caractéristiques propices à la manipulation : pression temporelle, confidentialité, appels de fonds urgents, intervenants multiples (notaires, banques, administrateurs de biens, gestionnaires d’actifs). Chaque intermédiation est une porte d’entrée potentielle.

La jurisprudence récente de la Cour de cassation vient confirmer une réalité parfois méconnue : en cas de fraude, la banque ne rembourse pas systématiquement. La frontière entre une opération frauduleuse « autorisée » et une opération « non autorisée » devient déterminante pour la protection de votre patrimoine.

L’obligation de vigilance : une protection limitée mais décisive

Les arrêts rendus le 12 juin 2025[1] rappellent un principe essentiel : lorsqu’un ordre de virement a été donné par une personne habilitée (salarié, comptable, collaborateur d’une SCI, gestionnaire de portefeuille), même sous l’emprise d’une escroquerie, l’opération est juridiquement considérée comme autorisée.

Dans une SCI familiale ou dans un cabinet de gestion de patrimoine, cela signifie que l’ordre initié par un associé ou un gestionnaire disposant des accès bancaires sera réputé valable, même s’il a été trompé par un faux courriel ou un faux appel téléphonique.

Dans ce cas, les règles protectrices du Code monétaire et financier relatives aux opérations non autorisées ne s’appliquent plus : impossible de demander le remboursement automatique.

La seule voie restante pour le titulaire du compte est de prouver un manquement de la banque à son obligation de vigilance. Une preuve exigeante, car le banquier ne doit intervenir que si l’ordre présentait une « anomalie apparente ».

Pour les investisseurs, cette distinction est fondamentale :

  • un virement émis depuis les accès habituels, avec les identifiants habituels, vers un compte européen sans signe distinctif suspect, sera considéré comme normal ;
  • en revanche, un virement inhabituel par son montant, sa destination ou son contexte devra attirer l’attention de la banque.

Dans l’une des affaires jugées, la Cour considère que quatre virements internationaux ne présentaient aucune particularité suspecte : montants conformes aux plafonds, compte créditeur, destinataire européen sécurisé. Aucun manquement donc.

Dans une autre affaire, des anomalies suffisamment visibles auraient dû conduire la banque à solliciter une vérification auprès d’une personne habilitée : sa responsabilité est alors engagée.

Un enjeu direct pour la protection des actifs immobiliers et financiers

Appliquées au monde patrimonial, ces décisions impliquent de revoir la manière dont les investisseurs sécurisent leurs flux.

Lors d’un investissement, les fonds transitent souvent rapidement entre plusieurs établissements, parfois à l’étranger. Dans une société, il est courant qu’un associé ou un prestataire externe dispose des codes d’accès. Dans un portefeuille géré, certaines opérations urgentes peuvent être exécutées par un gestionnaire mandaté.

Or la jurisprudence rappelle que celui qui possède les identifiants possède le pouvoir de « consentir ». Si un fraudeur parvient à manipuler cette personne, l’opération sera présumée autorisée.

Un investisseur ou le dirigeant d’une entreprise qui délègue trop largement, qui centralise toutes les habilitations entre les mains d’un seul interlocuteur ou qui ne suit pas les mouvements bancaires de ses structures met donc en péril son patrimoine.

Les risques sont d’autant plus importants dans des environnements complexes : multipropriété, montages patrimoniaux, acquisitions en cascade, refinancements successifs, gestion multi-banques.

Négligence grave : ce qui protège – et ce qui ne protège plus

Les décisions du 12 juin 2025 apportent aussi une précision rassurante : la négligence grave n’est pas retenue lorsque la victime a été trompée par un stratagème suffisamment élaboré.
 Autrement dit, l’investisseur ou le gestionnaire manipulé par un faux conseiller bancaire ne sera pas automatiquement considéré fautif.

Cela protège contre l’argument parfois avancé par les banques selon lequel la victime aurait elle-même commis une faute. Mais cette protection n’efface pas l'opération : elle évite seulement que la banque puisse se défendre en invoquant votre négligence. La perte reste donc possible.

D’où l’importance, pour les détenteurs de patrimoine, d’organiser une vigilance active :
 suivi quotidien des mouvements, double validation des virements sensibles, contrôle systématique des changements de RIB, information immédiate en cas de situation inhabituelle, formation des collaborateurs en charge des flux.

Vers une gestion patrimoniale plus sécurisée

Les banques adoptent une lecture de plus en plus stricte de leur devoir de non-ingérence : elles exécutent les ordres réguliers, même importants, sauf anomalie manifeste.

Les investisseurs et propriétaires ont donc tout intérêt à formaliser avec leur établissement financier des règles de confirmation adaptées : alertes sur montants élevés, validation téléphonique pour les virements internationaux, sécurisation renforcée des opérations notariées, double canal d’authentification pour les appels de fonds.

Les fraudes aux virements continueront de se développer tant que le facteur humain restera le maillon faible. La gestion patrimoniale doit intégrer un nouveau pilier : la cyber-sécurité des flux financiers.

La jurisprudence ne désengage pas les banques, mais elle rappelle que la vigilance est désormais partagée. Pour les investisseurs, la protection du patrimoine se joue autant dans la stratégie d’acquisition que dans la sécurisation des paiements qui l’accompagnent. Prévenir l’anomalie, c’est protéger son capital.

[1] Cass, com, 12.06.2025, n° 24-13.777, n° 24-13.697, n° 24-10.168

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