20 ans de l’AMF : un bilan en demi-teinte pour la Commission des sanctions ?

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Chronique juridique de Frank Martin Laprade, avocat à la Cour, Partner du cabinet Jeantet et enseignant chercheur associé à l'Université Paris Sud (XI).

Comme souvent avec ce type d’exercice, le dernier colloque de la Commission des sanctions (12 octobre 2023) n’a pas échappé à l’expression d’une certaine auto-satisfaction, monsieur Maxence Delorme, l’actuel directeur des affaires juridiques de l’AMF, se félicitant ainsi des résultats d’une enquête parue dans le rapport annuel pour 2022, selon laquelle 83% des personnes interrogées considèrent que l’organe de jugement se montre « équitable » ; une appréciation qui n’est cependant peut-être pas partagée par tous ceux qui ont fait l’objet d’une condamnation ?

S’il est vrai que la lecture du recueil de jurisprudence (outil « pédagogique » voulu par l’AMF) peut donner le sentiment que la Commission des sanctions ne condamne qu’à coup sûr, c’est-à-dire lorsque les mis en cause l’ont bien mérité, l’énoncé du taux de confirmation de ses décisions par les juridictions de recours (le conseil d’Etat pour les professionnels et la cour d’appel de Paris pour les autres) qui serait de 92% (voire 100% en 2020 et 2021) (1), loin de conforter cette impression que le « juge de première instance » n’a jamais tort, nous semble plutôt de nature à susciter des doutes quant à l’équi d’un système, tellement infaillible (?) que cela finit par en devenir suspect

Fierté dans la voix

Même si c’est pour se défendre de ne mesurer l’efficacité d’un organe de jugement qu’à l’aune des sommes obtenues, de nombreux intervenants à la première table ronde (bilan et perspective) ont évoqué – non sans une certaine fierté dans la voix chez certains d’entre eux - le montant cumulé des sanctions prononcées en 20 ans, à savoir 507 millions d’euros (ce qui ne représente toutefois que l’équivalent d’une seule année - moyenne - pour l’autorité de la concurrence, comme sa vice-présidente, Madame Fabienne Siredey-Garnier, l’a malicieusement souligné, en attribuant cela au fait qu’elle peut aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires des sociétés sanctionnées, alors que cette possibilité est également offerte par l’article L 621-15 du code monétaire et financier au régulateur boursier qui peut même aller jusqu’à 15%).

A cet égard, Madame Valérie Michel-Amsellem, ancienne présidente de la chambre 5-7, a parfois semblé partager elle-aussi le sentiment que le rôle de la Commission des sanctions ne devrait pas se limiter à être l’instrument d’une répression se manifestant pas des amendes toujours plus élevées (le montant maximum qui avait été multiplié par 60 en 2008 pour passer à 100 millions d’euros vient tout juste d’être approché en 2022) (2), puisqu’elle avance l’idée qu’on pourrait la doter de la capacité d’imposer des mesures alternatives de remédiation, mais elle s’empresse d’ajouter qu’il ne faudrait pas que cela la conduise à « se substituer à l’AMF dans sa fonction de régulateur » (3)oubliant visiblement que « la Commission des sanctions c’est encore l’AMF » (4).

« Second » juge pénal

Or, une piste d’évolution consisterait justement à ce que l’AMF renonce à se prendre pour un « second » juge pénal, jalousant les prérogatives du Parquet National Financier (PNF) en matière de perquisitions (5), vers lequel elle est par exemple contrainte de se tourner, en effectuant un signalement plutôt qu’en empruntant la voie de l’aiguillage inventée en 2016 pour éviter le cumul des poursuites et des sanctions (non bis in idem), afin qu’un multirécidiviste soit condamné à une peine de prison ferme, l’AMF se portant alors partie civile, ce qui lui a permis d’obtenir 1 euro en réparation de son « préjudice moral » (?) et de se faire rembourser ses propres frais d’enquête (6).

Ainsi, maître Jean-Philippe Pons-Henry, avocat associé du cabinet Gide, a-t-il vanté les mérites d’une phase de dialogue et de concertation préalable, pendant laquelle les acteurs du marché (praticiens et agents du régulateur côte à côte) pourraient définir tous ensemble (le cas échéant à l’aide de contrôles « SPOT » pour prendre le pouls du terrain) des lignes directrices et les « bonnes pratiques » destinées à encadrer la mise en œuvre et le respect des normes dont l’interprétation est souvent difficile à stabiliser, surtout lorsqu’elles sont nouvelles et/ou d’origine européenne, au lieu de passer tout de suite à la répression.

Transaction simplifiée

De même, de nombreux représentants de l’AMF ont fait allusion à la création prochaine d’une procédure dite de « transaction simplifiée » pour traiter du cas des manquements (bénins) à des obligations déclaratives, ce qui ne pourrait qu’être salué comme un progrès, tant la sévérité dont a pu faire preuve la Commission des sanctions, dans des dossiers sans victimes (7), interrogeait sur les raisons pour lesquelles la voie (alternative) de la composition administrative n’avait pas été privilégiée, alors que le régulateur français pourrait prendre exemple sur son homologue américain (SEC) qui intervient principalement en matière transactionnelle et réserve la punition (par le juge pénal) aux cas (intentionnels) les plus graves (8).

Si elle abandonnait son actuelle orientation « répressive », l’AMF aurait peut-être moins l’occasion de se plaindre de devoir subir les contraintes procédurales issues de la jurisprudence européenne (thème de la seconde table ronde), dont maître Patrice Spinosi, avocat aux conseils, rappelle pourtant qu’elles n’ont jamais abouti à alourdir ou à ralentir excessivement la justice française, l’histoire montrant qu’elle s’est toujours adaptée avec pragmatisme, tant il est vrai qu’elle ne saurait exister sans le respect absolu des droits de la défense et des autres libertés fondamentales garanties par la CEDH.

A cet égard, monsieur Mattias Guyomar, juge à la cour de Strasbourg, souligne que l’approche globale retenue (ex post) par la CEDH peut certes la conduire à analyser l’ensemble d’une procédure nationale, pour en conclure qu’au final certains manquements ont été compensés par la suite (le recours de pleine juridiction devant un juge impartial pouvant ainsi justifier une certaine tolérance vis-à-vis de l’autorité administrative décisionnaire « en première instance »), mais cela ne saurait constituer un « blanc-seing » libérant chacun des maillons de la chaîne de son impérieuse obligation de se conformer aux principes posés par la convention.

Legal privilege

C’est d’ailleurs pourquoi il a immédiatement repris madame Sophie Baranger, secrétaire générale adjointe de l’AMF, lorsque celle-ci a – sans doute un peu trop rapidement – déclaré que « l’article 8 relatif à la vie privée n’est pas opposable à l’AMF », par opposition avec le secret professionnel des avocats (dont l’AMF redoute qu’il soit étendu au « legal privilege » des juristes d’entreprise), alors qu’elle voulait probablement dire que ce texte (qui est naturellement applicable en France) ne devait pas empêcher totalement les enquêteurs de faire leur travail.

En clôture de ces échanges sur la nécessaire protection des droits de l’Homme qui résulte des efforts combinés de la CEDH, de la CJUE et du conseil constitutionnel (QPC), ce qui encouragerait les juges français à jouer un rôle « normatif » d’après monsieur Christophe Soulard, premier président de la cour de cassation, il est assez ironique d’observer que madame Marie-Anne Barbat-Layani, la nouvelle présidente de l’AMF, a appelé de ses vœux la faculté pour le collège de prononcer des injonctions sous astreinte, alors que l’article L 621-14 du code monétaire et financier lui offre déjà la possibilité d’atteindre ce résultat, mais en passant par le président du tribunal judiciaire de Paris (statuant en référé) : souhaiterait-elle donc s’affranchir de tout contrôle judiciaire, comme pour les notifications de griefs (9) ?

1- D-Schmidt, « Délit de manipulation de cours : qualification incertaine de l’élément matériel de l’infraction », BJB juillet-août 2023, p. 19.
2-SAN-2023-01 - Décision de la Commission des sanctions du 30 décembre 2022 à l'égard de la société H2O AM LLP et de MM. Bruno Crastes et Vincent Chailley
3- N.Raulot, « Comment l’AMF peut améliorer l’efficacité de ses sanctions »; www.finascope.fr (13 octobre 2023)
4-Conclusions de Monsieur Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public dans l’affaire Arkéa (CE Assemblée, 20 mars 2020, Nos 422186, 422274) https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/arianeweb
5-F.Martin Laprade, « L’étendue du domaine des saisies lors des visites autorisées en droit boursier » ; « Différences et points communs entre les visites domiciliaires (administratives) et les perquisitions (pénales) » (en collaboration avec M. Robin) in Dossier « Les visites domiciliaires : l’étendue des saisies revisitée par la Cour de cassation », Revue Lamy Droit des Affaires, Octobre 2023
6- F.Martin Laprade, « Et si le PNF s’emparait du contentieux des « abus de marché » ? », Option Finance n°1719 - Lundi 25 septembre 2023
7-SAN-2020-04 - Décision de la Commission des sanctions du 17 avril 2020 les sociétés Elliott Advisors UK Limited et Elliott Capital Advisors L.P. ; SAN-2021-11 - Décision de la Commission des sanctions du 17 juin 2021 à l'égard de la société Consellior SAS ; SAN-2022-09 - Décision de la Commission des sanctions du 11 juillet 2022 à l'égard des sociétés AFI ESCA, AFI ESCA Holding, AFI ESCA IARD, AFI ESCA Luxembourg, Dôm Finance et de M. Christian Burrus (le cabinet Jeantet étant intervenu dans ces 2 derniers dossiers)
8-F.Martin Laprade (en collaboration avec J. Sulman), « L’AMF bientôt plus puissante que son homologue américaine ?» Petites Affiches n°39, 24 février 2005.
9-CA Paris, Pôle 5 - Chambre 7, 7 juillet 2022, RG n°21/14466 (dossier suivi par le cabinet Jeantet)

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