Composition administrative : des effets pervers pour celui qui ne transige pas ?

  • Publication publiée :25 janvier 2022
  • Post category:Avis d'expert
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Frank Martin-Laprade, avocat à la Cour et partner du cabinet Jeantet, signe une nouvelle Chronique juridique sur Finascope.fr.

La composition administrative, qui peut désormais être proposée à toute personne mise en cause par le collège de l’AMF – et non plus seulement aux professionnels placés sous la tutelle disciplinaire du régulateur boursier – en ce compris pour des griefs relevant des abus de marché (manquements d’initiés, de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, manipulation de cours…), pourrait bien devenir une « forme de réponse répressive »[1] faisant jeu égal avec la saisine de la commission des sanctions.

Cette alternative, expérimentée à partir de 2010, avait connu un vif succès auprès des professionnels des marchés (prestataires de services d’investissement) auxquels elle était initialement réservée, au point de représenter en 2016 près de la moitié des dossiers faisant l’objet d’une procédure de sanction, ouverte par le collège de l’AMF avec l’envoi d’une notification de griefs à la personne mise en cause, sans que l’organe de jugement ne soit immédiatement saisi[2].

Préserver leur réputation

Il faut dire qu’elle leur permettait, moyennant le versement au Trésor public d’une somme équivalente à celle de l’amende encourue, augmentée le cas échéant d’un montant potentiellement substantiel[3] destiné à indemniser les clients « victimes » des agissements litigieux dont la réalité factuelle n’était pas contesté, de préserver leur réputation, ce bien très précieux pour un intermédiaire financier, dans la mesure où la transaction est certes publique mais n’emporte pas aveu de culpabilité.

Fort de cette réussite, la possibilité d’avoir recours à ce mécanisme plus rapide pour remplir les caisses de l’Etat a donc été étendue par le législateur à l’ensemble des justiciables susceptibles d’être poursuivis pour manquement à la réglementation boursière, à commencer par les sociétés cotées, leurs dirigeants ou leurs actionnaires, mêmes profanes, et les publications d’accords négociés, puis conclus avec le secrétaire général de l’AMF, validés par le collège avant d’être homologués par la commission des sanctions, se sont multipliées.

L'impact n'est plus le même

Il reste qu’à partir du moment où ces transactions peuvent aussi porter sur des abus de marché, à raison de faits qui peuvent donc constituer des infractions pénales, même si le procureur de la république financier n’a pas souhaité engager des poursuites, au terme de la procédure d’aiguillage mise en place pour éviter le cumul avec la procédure de sanction administrative, et non plus seulement sur de simples violations sans gravité de règles professionnelles, leur impact réputationnel n’est plus le même.

En effet, même s’il reste d’usage, pour celui qui accepte de transiger, de veiller à souligner, par une formule type insérée dans le corps du texte de l’accord, que « la composition administrative ne constitue pas une sanction et qu’elle n’emporte pas non plus reconnaissance par lui du bien-fondé des griefs », il n’en demeure pas moins que son « innocence » (présumée en l’absence de condamnation formelle) en prendra assurément un coup.

En effet, les décisions individuelles que les deux organes de l’AMF (collège et commission des sanctions) seraient amenés à prendre dans le cadre de la procédure prévue par l’article L 621-14-1 du code monétaire et financier étant susceptibles de recours et rien n’obligeant la personne poursuivie à conclure un accord qui ne lui conviendrait pas, son adhésion implique qu’il renonce de facto à contester la matérialité des  faits, tels que ceux-ci sont qualifiés juridiquement par l’AMF.

Or, lorsqu’il s’agit de caractériser une information privilégiée, comme c’était le cas en l’espèce pour le directeur général de la société Fleury Michon, la signature d’un tel accord transactionnel donnera immanquablement au lecteur le sentiment que l’AMF avait raison de le poursuivre pour avoir illégalement économisé des pertes à hauteur de 66.000 euros, surtout si elle se combine avec le paiement d’une somme conséquente (225.000 euros)[4].

Match perdu d'avance?

Dans ces conditions, le match pouvait en revanche sembler perdu d’avance pour le directeur administratif et financier de la même société, poursuivi à raison d’un possible manquement d’utilisation de la même information privilégiée (dont l’AMF estimait qu’elle lui aurait fait économiser 24.600 euros), mais qui n’avait pas été jusqu’au bout de la procédure de composition administrative qui lui avait également été proposée[5], sans doute parce que le secrétaire général plaçait la barre trop haut…

Sans surprise, cet initié primaire a effectivement été condamné par l’organe de jugement, mais le montant de l’amende (60.000 euros) prononcée à son encontre extériorise un multiple  (2,4 x les avantages retirés) moindre que celui qui a été retenu pour le directeur général (3,4 x les avantages retirés), peut-être parce qu’il tient compte d’éléments relatifs à sa situation personnelle (revenus, patrimoine, etc…) qui ont convaincu la commission des sanctions de diviser par deux la somme réclamée par le représentant du collège à l’audience[6].

Au final, on peut donc se demander si – pour des atteintes assez similaires portées à leurs réputations respectives – il ne valait pas mieux prendre le risque d’un passage devant l’organe de jugement, pour conserver une chance de diminuer la facture au terme d’un débat contradictoire (d’autant qu’en présence d’une faute intentionnelle, la compagnie d’assurance refusera de la prendre à sa charge dans le cadre de la police RCMS), sachant toutefois que cela rend hasardeuse l’hypothèse d’un recours devant la cour d’appel de Paris, car le président de l’AMF a pour habitude de former systématiquement un recours incident dans un tel cas de figure[7].

[1] Conclusions rapporteur public dans l’affaire Arkéa (CE Assemblée 20 mars 2020, n° 422186, 422274)

[2] A. Marechal et B. Legris (Direction des affaires juridiques de l’AMF), La composition administrative de l'AMF : un premier bilan très positif, Bull Joly Bourse décembre 2016

[3] Il existe un exemple dans lequel la somme versée à titre d’indemnisation a atteint 1 million d’euros

[4] Accord de composition administrative conclu le 4 mars 2021

[5] AMF CDS, Décision n°19 du 29 décembre 2021

[6] https://www.agefi.fr/regulation/actualites/quotidien/20211210/l-amf-pourrait-infliger-120000-euros-d-amende-a-l-333903

[7] 13ieme colloque de la commission des sanctions de l’AMF – Discours de clôture de Robert Ophèle, Président de l’AMF- Lundi 5 octobre 2020

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