Confronté à l'essor des nouveaux modes d'investissement prisés par les jeunes, le régulateur vient de lancer une vaste campagne d’éducation financière intitulée « Les mystères d’Investipolis ». Elle invite les jeunes investisseurs à plonger dans une ville imaginaire où ils sont confrontés à divers choix d'investissement. Chronique juridique de Tiphaine Saltini, fondatrice de Neuroprofiler.
Rapidité, impact, transparence. Les aspirations des jeunes investisseurs tranchent avec celles des générations passées. L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) en a fait le constat ces dernières années, via de nombreuses études sur les attentes et pratiques financières des jeunes investisseurs.
La dernière date d’octobre 2024, publiée dans la « Lettre de l'Observatoire de l’épargne » de l’AMF. Elle présente les résultats d'une étude menée en 2024 auprès de plus de 1 000 investisseurs français, en partenariat avec l’OCDE.
Cette dernière constate que, depuis la période du confinement Covid, plus d’un million de personnes ont commencé à investir, que ce soit en crypto-actifs (54%), en bourse (41 %), en fonds indiciels cotés (ETF) (15 %), ou encore à travers des plateformes de financement participatif (30 %), sous forme d’actions, d’obligations ou de prêt à intérêt. L’investissement durable a aussi connu un succès particulier auprès de ces jeunes investisseurs, 80% cherchant à avoir un impact dans leurs investissements.
Environnement financier gamifié
Cette évolution a été catalysée par un environnement financier de plus en plus numérique et « gamifiée », destinés à une population jeune et connectée. Internet, et plus spécifiquement les réseaux sociaux, jouent ainsi un rôle central dans la manière dont les investisseurs se forment et s’informent. L’étude montre que 41 % des investisseurs utilisent des contenus en ligne pour apprendre à investir, et 35 % recherchent activement des discussions et des avis d'autres investisseurs avant de prendre une décision. Le « Youtuber » tend ainsi à remplacer le banquier comme conseiller financier.
L'AMF souligne également l’émergence de nouvelles pratiques d’investissement, rendues possibles par les innovations technologiques. Par exemple, 22 % des investisseurs en actions ou ETF ont recours à l’investissement fractionné, qui permet d'acheter une fraction d'une action ou d'un ETF, rendant ainsi les marchés plus accessibles aux petits investisseurs. Par ailleurs, 20 % d'entre eux utilisent l’investissement programmé, qui consiste à automatiser leurs placements à intervalles réguliers, et 21 % s’inspirent des décisions d’autres investisseurs, une pratique rendue populaire par l'essor des réseaux sociaux et des plateformes de trading communautaire.
Cette évolution pose néanmoins plusieurs défis au régulateur français. Si l’accès à une information plus abondante et diversifiée peut aider les investisseurs à mieux comprendre les marchés, il peut aussi les exposer à des contenus trompeurs ou peu fiables.
La « Lettre de l’Observatoire de l’épargne » met ainsi en avant l'importance de renforcer l'éducation financière, en particulier chez les jeunes, pour leur permettre de mieux évaluer les risques associés à certains types d’investissements et de naviguer dans un environnement financier de plus en plus complexe.
Notamment, ces jeunes investisseurs se tournent massivement vers les crypto-actifs, que 54 % d’entre eux détiennent, et cherchent à réaliser des gains rapides, comme en témoignent les 73 % d’entre eux qui déclarent vouloir « gagner beaucoup d'argent très rapidement » grâce à leurs investissements. En parallèle, ces jeunes investisseurs tendent à surestimer leur niveau de connaissances financières, ce qui les expose à des risques accrus, notamment en termes d'arnaques et de mauvais choix d'investissement. Ils ont également sensibles à la gamification, 89% d’entre eux déclarant jouer à des jeux vidéos.
Avec l'OCDE et la Commission européenne
C’est dans ce contexte que l’AMF vient de lancer une vaste campagne d’éducation financière intitulée « Les mystères d’Investipolis ». Cette initiative, déployée en partenariat avec l’OCDE et avec le soutien financier de la Commission européenne, s’inscrit dans le second volet de la coopération entre l'AMF et ces institutions, visant à mieux protéger les jeunes investisseurs et à leur offrir des outils pour comprendre les marchés financiers. La campagne s’inspire de l’univers du jeu vidéo et de la bande dessinée, deux formes d'expression particulièrement populaires chez les jeunes.
« Les mystères d’Investipolis » invite les jeunes investisseurs à plonger dans une ville imaginaire où ils sont confrontés à divers choix d'investissement. Ils croisent sur leur chemin plusieurs personnages, comme la Pilote, la Navigatrice, Biface ou Lucy Clopédie, qui jouent des rôles de guides ou d’imposteurs. Le but est d'aider les jeunes à développer leurs connaissances financières, à découvrir leur profil d’investisseur et à mieux comprendre les risques liés à leurs décisions d’investissement. La campagne se décline en vidéos, jeux, bandes dessinées et infographies interactives, afin de toucher un large public via les réseaux sociaux, principal canal d'information pour les 18-24 ans.
La campagne met l’accent sur quatre priorités principales. D’abord, elle encourage les jeunes à s’informer avant d’investir, en consultant des sources fiables et variées. Ensuite, elle vise à améliorer leurs connaissances financières, en particulier concernant les investissements à risque élevé, comme les crypto-actifs. La campagne aide aussi les jeunes à mieux se connaître en tant qu’investisseurs, pour aligner leurs choix d'investissement sur leur profil de risque personnel. Enfin, elle sensibilise les jeunes aux nombreuses arnaques qui circulent sur les marchés financiers, souvent via les réseaux sociaux ou les plateformes en ligne.
Cette stratégie éducative s’inscrit pleinement dans la mission de l’AMF de protéger les épargnants et de veiller à la bonne régulation des marchés financiers. Elle marque également une première étape dans une stratégie d’accompagnement plus durable des nouveaux investisseurs via une meilleure éducation financière, déjà initiée l’an dernier avec la mise en place de cours d’éducation financière obligatoires au collège.