La CSRD et son impact sur les marchés et les investisseurs

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La directive européenne du 14 décembre 2022 fixe de nouvelles obligations de reporting extra-financier. Elle a un impact majeur sur les marchés et les investisseurs. En les aidant à faire des choix éclairés, elle peut être contraignante. Chronique juridique de Julie Guénand, avocate au sein du cabinet Veil Jourde.

La prise en compte du sigle ESG et des normes ESRS dans le reporting

La directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), entrée en vigueur le 1er janvier 2024 et transposée en droit français par l’ordonnance du 6 décembre 2023 et le décret du 30 décembre 2023, impose de nouvelles obligations aux entreprises en matière de reporting. En effet, les entreprises doivent, parallèlement au reporting des données financières, produire un rapport de durabilité plus complet, couvrant un certain nombre d’informations non financières, qui est intégré aux rapports de gestion annuels.

Dans leurs rapports annuels sur leurs données extra financières, associés au bilan financier, les entreprises doivent aborder l’ensemble des dimensions liées au développement durable : la dimension environnementale, sociale et de gouvernance de l’entreprise. (ESG)

Les entreprises doivent résumer l’ensemble des informations concernant :

  • Leur impact environnemental, telle que la consommation d’énergie, les émissions de gaz à effet de serre, l’impact des activités sur la biodiversité et l’environnement ;
  • Leur impact social, tel que le traitement des employés et la responsabilité sociale, le respect des droits de l’Homme telles que les conditions de travail, l’inclusion, la diversité au sein du conseil d’administration ;
  • La gouvernance, tel que l’éthique et la lutte contre la corruption, la mise en place de structures de contrôle interne, la transparence sur la rémunération des dirigeants.

Pour construire ce rapport, elles doivent suivre les Normes Européennes de Reporting en matière de Durabilité (ESRS), développées spécifiquement pour que le reporting extra-financier des entreprises soit encore plus transparent et plus comparable.

Ces normes définissent les indicateurs spécifiques à rapporter et créent un langage commun afin de permettre les comparaisons entre les informations des différentes entreprises.

L’élargissement du champ d’application de l’obligation

La CSRD, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, élargit considérablement le périmètre des sociétés concernées par cette obligation : plus de 50 000 entreprises sont désormais couvertes par une telle directive et in fine de telles obligations.

En effet, sont concernées par l’application de cette directive les grandes entreprises cotées sur le marché réglementé qui dépassent 40 millions d’euros de chiffre d’affaires net ou 20 millions d’euros de total de bilan, et le nombre moyen de 500 salariés.

Une entrée en application progressive est prévue pour les autres entreprises :

  • À compter du 1er janvier 2025 (reporting en 2026) pour toute autre grande entreprise, c’est-à-dire celles qui dépassent deux des trois critères suivants : nombre moyen de 250 salariés, 40M€ de chiffre d’affaires net et 20M€ de total de bilan ;
  • À compter du 1er janvier 2026 (reporting en 2027) pour les PME cotées sur un marché réglementé, à l’exception des microentreprises.

Un choix stratégique plus éclairé pour les investisseurs

Les investisseurs ont dorénavant la possibilité de consulter le rapport de durabilité de l’entreprise et de connaître et analyser toutes ses informations et performances extra financières, notamment en matière de développement durable et d’impact ESG.

Cette nouvelle obligation donne des armes aux investisseurs, pour qu’ils évaluent pleinement les risques non-financiers qui pourraient affecter la valeur de leurs investissements. En effet, ils peuvent désormais distinguer les entreprises plus risquées, aux performances ESG moindres, des entreprises plus attractives ayant des pratiques durables solides.

Cet objectif de transparence des informations et performances non financières est davantage facilité par le fait que les informations doivent être publiées sous un format numérique standardisé facilitant un accès plus large pour les investisseurs, les régulateurs et le public. Cette publicité de l’information permet aux investisseurs de comparer les entreprises pour orienter au mieux leur choix.

Les informations données aux investisseurs sont d’autant plus fiables et cohérentes, que les rapports de durabilité font l’objet d’une certification et d’un audit indépendants.

Mais une fiabilité de l’information relative

Néanmoins, la fiabilité de l’information est critiquée. Il n’est pas certain que les contrôleurs indépendants, dans leur champ de compétences, disposent des outils efficaces pour relever toute information de l’entreprise qui serait erronée, fausse ou embellie.

Pour garantir la véracité des performances de l’entreprise en matière de responsabilité sociale, l’auditeur peut mener des enquêtes internes, notamment auprès des salariés. Cependant, l’entreprise disposera toujours d’une marge de manœuvre pour amplifier ses résultats en matière de responsabilité sociale ; sans que les dispositifs tels que les enquêtes internes puissent pallier ces lacunes. De la même manière, l’évaluation de l’impact environnemental d’une entreprise constitue une tâche extrêmement complexe, que l’auditeur ne pourra pas évaluer parfaitement.

Ainsi, l’objectif de transparence de la directive demeure ainsi nuancé par cette marge de subjectivité. Il est donc essentiel de reconnaître que les investissements dans des fonds impacts, basés sur des critères ESG comportent davantage de risques, lorsque les informations ne sont pas totalement vérifiables. Il est primordial pour les investisseurs de rester vigilant et de s’assurer au mieux que les actions des entreprises correspondent réellement à leurs engagements.

Des critère ESG, reflets imparfaits de la valeur de l’entreprise

Les marchés financiers sont des marchés, qui sont, par nature, globaux et dont les titres circulent librement à travers les frontières. Les différences dans la manière dont les critères ESG sont interprétés et priorisés selon les pays ont des répercussions notables sur la valorisation des entreprises par les investisseurs.

En effet, une entreprise respectée sur le marché européen pour ses pratiques durables pourrait ne pas obtenir la même reconnaissance sur le marché américain, influençant non pas sa valeur intrinsèque mais la perception de sa valeur par les investisseurs. L’avance certaine de la France, premier pays au sein des Vingt-Sept à avoir transposé la directive, pourrait créer une distorsion du jeu économique et de la concurrence, entre les entreprises des différents Etats membres, rendant ainsi les comparaisons plus difficiles pour les investisseurs. Certains pays de l’Union européenne n’ayant toujours pas transposé la directive, ne sont pas encore soumis aux mêmes règles strictes.

Ces divergences de sensibilité aux enjeux environnementaux et sociaux influent sur la manière dont les entreprises sont évaluées et perçues sur le marché et peut perturber les choix stratégiques des investisseurs.

Et un choix contraint

Les considérations sociales, environnementales et de gouvernances sont des éléments tellement incontournables dans la valorisation d’une entreprise qu’elles deviennent une contrainte pour les investisseurs, qui doivent considérer les critères ESG dans leurs décisions, pour mesurer le niveau de durabilité et de responsabilité d’une entreprise ainsi que ses risques et opportunités.

Cette approche des pratiques ESG ne relève pourtant pas du cœur du métier de l’investisseur, dont l’analyse était jusqu’à présent limité aux performances financières.

S’ils ne prennent pas en compte ce rapport de durabilité et les informations qui y figurent, les investisseurs prennent le risque que leurs investissements ne soient pas aussi viables que ce qu’ils pensent, car l’entreprise sera moins préparée aux enjeux et défis émergents en matière de responsabilité sociale et environnementale.

De plus, ils prennent le risque d’une atteinte à leur réputation, qui pourrait générer un préjudice financier important. En effet, un investisseur qui se tournerait davantage vers des sociétés cotées aux pratiques peu durables ou impliquées dans du greenwashing pourrait, plus tard, se retrouver exclu d’opportunités futures. Les émetteurs, de plus en plus soucieux de leur impact environnemental et social, pourraient refuser l’accès à l’investissement à ceux qui n’intègrent pas les critères ESG dans leurs décisions d’allocation de capital.

Les investisseurs négligents pourraient donc être marginalisés par un grand nombre d’entreprises. A long terme, le préjudice financier qui réside dans la difficulté des investisseurs à diversifier leurs portefeuilles et à accéder aux opportunités financières dans des secteurs en pleine transition, est non négligeable.

Ainsi, pour éviter toute atteinte à leur réputation et toute perte financière considérable, les investisseurs sont contraints d’orienter leurs portefeuilles vers des entreprises alignées sur des objectifs ESG et qui démontrent une véritable démarche de durabilité.

Cette contrainte est d’autant plus importante que les investisseurs doivent aussi se conformer à des règles de divulgation de leurs propres pratiques d’investissements responsable, à travers le règlement Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), complémentaire à la CSRD.

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