La suspension du cours de bourse sur Euronext Paris est-elle suffisamment contrôlée ?

  • Publication publiée :4 juillet 2023
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Chronique juridique de Guillaume Dolidon, avocat au barreau de Paris. 

La suspension d’un instrument financier, qui entraîne l’arrêt temporaire de sa cotation, et la suppression de tous les ordres non exécutés, peut s’avérer nécessaire dans certaines circonstances, notamment lorsqu’il s’agit d’empêcher des dysfonctionnements du marché, préserver l’égalité des investisseurs ou prévenir des mouvements spéculatifs.

Pour autant, la suspension de la cotation vient aussi heurter certains principes directeurs du droit boursier tels que la libre négociabilité des titres, ou celui de la transparence et de l’égalité d’accès à une information exacte, précise et sincère. En effet, pendant la suspension, qui peut durer plusieurs jours, les investisseurs ne peuvent plus négocier les actions concernées, et se retrouvent privés d’une information transparente sur les causes de cette suspension.

Alors que la cotation des titres de la société Adocia est toujours suspendue depuis le 1er juin 2023 dans l’attente de la publication d’un communiqué de presse, et que le cours de bourse de la société SES-Imagotag, après avoir été suspendu le 21 juin 2023, s’est effondré de plus de 50% après la reprise de sa cotation, le débat ne cesse d’être relancé sur la nécessité d’encadrer et de contrôler davantage les cas de suspension de titres sur la Bourse de Paris, surtout lorsqu’elles sont à l’initiative des émetteurs (1).

La décision de suspension de cotation et ses circonstances

La suspension de cotation d’un titre est effectuée par Euronext, le plus souvent à la demande de l’émetteur, ou à sa propre initiative ou dans des cas plus rares, à celle du président de l’AMF. Pour chaque suspension, Euronext publie un avis qui mentionne l’origine et les motifs de la suspension, sa date d’effet, et les conditions de reprise de la cotation. A défaut, l’avis indique que la cotation est suspendue jusqu’à nouvel avis.

Les règles de marché d’Euronext stipulent que l’entreprise de marché « peut, de sa seule initiative ou sur demande motivée de l’émetteur concerné, suspendre la négociation d’un titre pour empêcher ou arrêter un fonctionnement erratique du marché » (Article 4403/2 des règles de marché d’Euronext). Lorsque cette demande émane de l’émetteur, c’est généralement qu’il considère qu’un événement ou une circonstance est susceptible d’avoir un impact sur le cours de bourse. A titre d’exemple, on peut citer la publication des résultats d'une étude sensible concernant un produit de la société, lorsque le titre va faire l'objet d'une offre publique, ou encore la publication d'un communiqué financier ou une annonce de mise en redressement judiciaire. La suspension de cotation peut également être demandée par une société lorsque des rumeurs circulent qui sont susceptibles d'influer sur le cours. Euronext peut elle-même décider de suspendre la cotation d’un titre lorsqu’elle considère que l’émetteur est en infraction avec les règles de marché.

Dans des cas particuliers, le président de l’AMF peut également demander que le cours soit suspendu. C’est notamment le cas « lorsqu’un événement exceptionnel perturbe le fonctionnement régulier d’une plateforme de négociation », pour une durée maximale de deux jours de négociations consécutifs (L. 421-16 I du code monétaire et financier), chaque fois qu’il considère qu’une offre au public ou l’admission aux négociations sur un marché réglementé est contraire à la réglementation, pendant dix jours de négociation consécutifs au plus (Article 213-1 du règlement général de l’AMF), ou encore à la suite du dépôt d’une offre publique (Article 231-15 du règlement général de l’AMF).

Si la suspension initiée par l’AMF est à la fois encadrée en termes de justification et de délai, on note en revanche que le cadre est beaucoup plus flou lorsque la demande est à l’initiative de l’émetteur, et surtout qu’il n’existe pas de durée maximum de suspension dans cette hypothèse.

Les principaux risques liés à la suspension

L’un des problèmes majeurs lié à la suspension de la cotation est le déficit d’information pour les investisseurs, qui se retrouvent temporairement privés de liquidité, et donc exposés au risque de prendre des décisions non éclairées au moment de la reprise des échanges. Il existe également un risque que la suspension de la cotation soit utilisée de manière abusive pour manipuler le marché, dissimuler des informations négatives ou créer une fausse impression de stabilité.

Lorsque le cours est suspendu pendant une période prolongée, le risque de volatilité se trouve aussi particulièrement accru, et peut entraîner des variations brutales au moment de la reprise des cotations, au détriment du marché dans son ensemble.

La nécessité de restreindre les délais, comme la justification des cas de suspension

Au-delà des cas spécifiques qui sont de l’initiative de l’AMF, il n’existe pas en France de durée maximale de suspension de cotation. La suspension peut parfois durer plusieurs mois. On a même connu des cas extrêmes avec le Comptoir des Entrepreneurs dont la cotation avait été suspendue du 8 juin 1993 au 19 mai 1995. Depuis le 1er juin 2023, la société Adocia a demandé la suspension de la cotation de ses actions, et la cotation à date n’a toujours pas repris. En 2021, c’était le cours de la société Solutions 30 qui avait été suspendu pendant 10 jours.

Les Bourses de nombreux pays encadrent les délais de suspension. Selon les règles de la Deutsche Börse, la suspension de cours doit être levée au plus tard à la fin de la journée de négociation suivante. En Italie, la Consob a établi une limite de cinq jours ouvrés. Enfin, aux États-Unis, la cotation d'une action ne peut en général être suspendue pour une période supérieure à dix jours ouvrés, sauf certaines circonstances spécifiques.

Dans l’intérêt de l’intégrité du marché, il serait souhaitable que les conditions de suspension à la demande de l’émetteur soient davantage restreintes, et qu’Euronext soit invitée à exercer une supervision active de ces suspensions.

Dans tous les cas, une utilisation illégitime de la suspension de cours est susceptible d’être sanctionnée par la Commission des sanctions de l’AMF, lorsqu’elle caractérise des abus de marché, tels que la diffusion de fausses informations, ou encore une manipulation de cours. C’est ainsi que la Cob avait infligé en 1992 une sanction au dirigeant de la société les Beaux Sites, pour avoir publié des communiqués inexacts qui annonçaient l’existence de négociations sérieuses et imminentes sur des prises de participations majoritaires, après avoir demandé la suspension temporaire de la cotation, dans le seul but de maintenir artificiellement le niveau élevé du cours des titres.

Un investisseur pourrait par ailleurs rechercher la responsabilité civile d’un émetteur en se fondant sur la théorie de l’abus de droit, faute qui est de nature à engager la responsabilité de son auteur, lorsque la victime est en mesure de démontrer une intention de nuire ou, à défaut, que le titulaire du droit l’a exercé sans motifs sérieux ou légitimes. L’abus de droit peut ouvrir droit à réparation au profit de la victime, sous la forme d’une allocation de dommages-intérêts.

(1)La durée excessive des suspensions de cours commence à agacer les investisseurs, Laurence Boisseau, les Echos, 31 octobre 2022.

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