Le talon d’Achille de la directive FIA

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Philippe Gianviti, avocat à la Cour (NMW)

La Commission européenne a récemment publié ses propositions de modification de la directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (FIA), mais elles pourraient ne pas résoudre certaines des incertitudes juridiques dont l’AEMF (ESMA) avait suggéré l’élimination. Chronique juridique de Philippe Gianviti, avocat à la Cour, NMW

L’intention initiale des rédacteurs de la directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil européen (en date du 8 juin 2011) sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (FIA) était de prévenir une crise systémique pouvant résulter de l’absence de toute réglementation harmonisée, au sein de l’Union européenne, sur la gestion des placements alternatifs collectifs autres que les placements collectifs en valeurs mobilières et instruments financiers, lesquels font l’objet d’un cadre juridique harmonisé depuis une directive adoptée le 20 décembre 1985, plus connue sous le nom de directive OPCVM.

Trop ambitieux et par conséquent trop large

Les rédacteurs de la directive FIA ont ainsi posé des conditions à l’exercice de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services dans le cadre de la commercialisation de fonds d’investissement alternatifs, en établissant des règles communes et en exigeant un contrôle/une licence au niveau de chaque État membre.

Assurément, ils sont parvenus à l’objectif qu’ils s’étaient fixés mais le cadre juridique qu’ils ont créé s’est révélé trop ambitieux et, par conséquent, trop large.

La littérature conséquente générée par la directive FIA a – principalement des points de vue et commentaires de régulateurs, d’avocats et d’universitaires – est probablement le signe qu’elle a soulevé plus de problèmes qu’elle n’en a résolus.

Dans la section 15 de sa lettre à la Commission européenne datée du 18 août 2020, l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) a reconnu que certaines incertitudes résiduelles subsistaient au cœur même de la directive FIA, à savoir ses concepts et définitions clés.

Des différences dans les transpositions nationales

L’AEMF a expliqué qu'«il est difficile d’expliquer les différences structurelles et économiques et de faire la distinction sur une base juridiquement solide entre les véhicules qui relèvent de la directive FIA et ceux qui ne le font pas ».

Elle en a conclu que les définitions figurant dans la directive FIA étaient « trop vagues et pas assez précises », ce qui pourrait conduire à des « mises en œuvre nationales différentes » et « continuer à conduire à l’incertitude et à la fragmentation dans l’ensemble du marché unique »...

Les avocats savent à quel point les définitions sont essentielles dans un instrument législatif, réglementaire ou contractuel et à quel point les conséquences peuvent être brutales si un mot utilisé se révèle trop vague. La Cour européenne des droits de l’homme évalue désormais formellement la qualité des lois des États membres et considère que des termes vagues non définis utilisés dans les instruments législatifs ou réglementaires conduisent à des décisions arbitraires constitutives d’une violation de la Convention européenne des droits de l’homme.

Les mots peuvent être le talon d’Achille d’une loi même guidée par des intentions nobles, si ces mots sont obscurs et peuvent donner lieu à des interprétations contradictoires.

Dans sa brochure intitulée « guidelines on the AIFMD » pour « Lignes directrices sur la directive FIA » (AEMF/2013/611), l’AEMF a fourni quelques explications sur les définitions et concepts clés de la directive FIA.

La modeste tentative de l’AEMF de les clarifier n’est rien de plus qu’un avis sans base juridique solide bien que la directive FIA lui ait confié la responsabilité de certaines questions relatives à l’application de la directive.

En effet, l’avant-dernière phrase de l’article 4 de la directive FIA confie à l’AEMF le soin de publier des projets de normes techniques de réglementation afin d’assurer des conditions uniformes d’application de la directive AIFM, alors que le pouvoir d’adopter des normes telles que des règlements juridiquement contraignants est délégué à la Commission européenne conformément à la dernière phrase de l’article 4.

Remèdes intéressants et pertinents

Il n’est toutefois pas certain que la Commission européenne dispose du pouvoir d’interpréter les définitions de la directive FIA. Ces définitions pourraient être considérées comme faisant partie de l’épine dorsale de la directive plutôt que comme une « condition uniforme d’application ».  Par conséquent, le pouvoir de donner une substance à de telles définitions releverait de la compétence exclusive du Parlement européen et le Conseil européen.

Lorsque la Commission européenne a entamé le processus de révision de la directive FIA, l’AEMF avait suggéré certaines mesures correctrices intéressantes et pertinentes dans la lettre précitée du 18 août 2020.

Il est généralement admis qu’une entité ayant une « finalité commerciale ou industrielle générale » n’est pas un fonds relevant du champ d’application de la directive FIA et que son gestionnaire n’est pas tenu d’être agréé en tant que société de gestion par le régulateur d’un État membre.  C’est en tout cas le point de vue adopté par l’AEMF à la section 12 de ses lignes directrices sur la directive FIA, mais cette règle n’est pas formulée de manière expresse dans la directive FIA.

À cet égard, l’AEMF avait suggéré d’ajouter dans la directive FIA une définition propre au(x) « objectif(s) commercial(s) ou industriel(s) général(s) en relation avec des projets immobiliers ».  

Parmi les intentions des rédacteurs de la directive FIA figurait celle de réglementer toutes formes d’investissements mis en commun sous gestion déléguée, y compris ceux dans l’immobilier, mais certaines situations restent floues.

Les structures qui construisent des projets immobiliers et les gèrent devraient-elles être considérées comme des fonds relevant du champ d’application de FIA ? Faut-il faire une distinction entre les actifs construits par la structure et ceux qu’elle n’a fait qu’acquérir et gérer ?

Il semble que les États membres de l’UE ne partagent pas la même approche lorsqu’il s’agit d’apporter une réponse à ces questions.

L’AEMF a également indiqué que la directive FIA devrait définir le concept d’attentes de rendement collectif (« pool retourned’s » expectations).  En réalité, cette expression n’apparaît pas dans la directive elle-même, mais l’AEMF a considéré dans ses lignes directrices que la directive s’appliquaitaux investissements effectués « en vue de générer un rendement commun ».

Une définition de la politique d’investissement

Plus intéressant encore, l’AEMF a suggéré une définition de la « politique d’investissement ».

Aussi étrange que cela puisse paraître, la directive FIA ne fournit aucune définition de ce concept, bien qu’il s’agisse du principal critère utilisé pour savoir si une structure sera un fonds entrant ou non dans son champ d’application.

La directive FIA dispose ainsi qu’elle s’applique aux investissements réalisés et gérés dans le cadre d’une « politique d’investissement ».

A la section 12 de ses lignes directrices sur la directive FIA, l’AEMF a fourni quelques éclaircissements en affirmant qu’une politique d’investissement suppose que « les investisseurs ne disposent d’aucune possibilité d’action ou de contrôle au jour le jour ».

Mais la base légale de l’AEMF pour définir le champ d’application de la directive reste fragile comme souligné ci-dessus.

Le 25 novembre 2021, la Commission européenne a finalement publié un projet de proposition de future directive modifiant la directive AIFM (COM/2021/721 final).

Une déception

Cette proposition est une déception dans la mesure elle ne reprend pas toutes les réflexions de l’AEMF, en particulier celles visant à modifier les définitions de la directive AIFM, ce qui aurait été de nature à améliorer la lisibilité de la directive AFM et aurait participé à une meilleure coordination au sein des États membres de l’UE.

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