Les professionnels du conseil en investissement, qui sont à la fois incités à promouvoir les investissements durables, tenus d’informer leurs clients sur les notions spécifiques qu’ils recoupent pour exprimer leurs préférences, tout en veillant à leur protection, sont clairement mobilisés par l’Union européenne au service de la transition climatique. Chronique juridique de Guillaume Dolidon, avocat au Barreau de Paris (Dolidon Partners)
Le 2 août 2022, alors que l’actualité estivale rappelait les conséquences du dérèglement climatique, est entré en vigueur le règlement délégué (UE) 2021/1253 qui modifie le cadre de la directive MIF 2 en obligeant désormais les intermédiaires qui offrent des conseils en investissement et de gestion de portefeuille à interroger les investisseurs sur leurs préférences en matière de durabilité avant de leur proposer un placement financier. Cette obligation ne s’appliquera cependant aux conseillers en investissements financiers (CIF) qu’à compter du 1er janvier 2023.
En 2018, la Commission publiait un plan d’action intitulé « Financer la croissance durable » avec l’objectif affiché de réorienter les flux de capitaux vers des investissements durables. Depuis, la construction de la convergence entre la finance de marché et les défis environnementaux n’a cessé de s’accélérer, et l’appétit des investisseurs pour les problématiques vertes ne fait que croître.
Pour être attractives auprès des investisseurs, les entreprises qui se financent sur les marchés sont donc clairement appelées à s’impliquer dans la transition écologique, et plus globalement dans les enjeux du développement durable. De récentes études tendent même à démontrer que les instruments financiers orientés vers des entreprises avec un score ESG positif se distinguent par une meilleure performance (1).
Au sein d’un dispositif juridique à la recherche d’un équilibre entre mécanismes incitatifs, protection des investisseurs et intégrité des marchés, les professionnels auprès desquels les investisseurs peuvent souscrire ces produits sont placés en première ligne, parties prenantes de la finance durable.
Obligation d’interroger les clients sur leurs préférence en matière de durabilité
Le règlement dit Disclosure (règlement (UE) 2019/2088 du 27 novembre 2019 sur les informations relatives à la durabilité dans le secteur des services financiers) impose déjà des règles de transparence strictes lors de la fourniture de conseils en investissement, qui obligent les professionnels concernés à communiquer des informations claires sur les critères et enjeux ESG qui sont pris en compte dans la conception des produits proposés à leurs clients, et permettant de mesurer en quoi ils peuvent être considérés comme des investissements durables.
La réglementation va maintenant plus loin. Pour attirer l’attention des épargnants sur l’importance de ces thématiques, les intermédiaires ont désormais l’obligation d’interroger leurs clients de manière active en leur posant certaines questions d’adéquation ciblées, et ainsi mesurer leur intérêt en matière de durabilité.
Comme le rappelle l’AMF dans sa publication du 26 juillet 2022, s’intéresser à la durabilité d’un placement financier, c’est porter de l’attention à ses conséquences environnementales, sociales, au respect des droits de l’homme et à la lutte contre la corruption, éléments extra-financiers qui caractérisent les critères ESG.
Le questionnaire doit permettre au client d’apprécier s’il souhaite utiliser son investissement pour soutenir un projet durable, avant même de lui recommander un placement adapté à son profil.
Devoir de pédagogie
Pour sonder l’intérêt de leurs clients pour des produits d’investissement durables, les entreprises d’investissement doivent également être en mesure d’expliquer aux investisseurs ce que signifie une préférence en matière de durabilité, et les informer sur les notions et les différentes catégories concernées.
Les intermédiaires devront ainsi expliquer la différence entre les différentes catégories que sont les instruments axés sur les activités économiques qui relèvent de la « taxonomie », selon la nomenclature établie par l’Union européenne en 2020, les « investissements durables » au sens du règlement Disclosure ou ceux qui prennent en compte les principales incidences négatives sur les facteurs de durabilité.
Compte tenu de la complexité de ces notions, et en l’absence d’actualisation des orientations de l’ESMA attendue pour le premier trimestre 2023, la mise en œuvre de ce devoir de pédagogie est déjà perçue comme un défi par l’industrie financière (2).
Protection des investisseurs et lutte contre le greenwashing (ou éco-blanchiment)
Pour prévenir les pratiques abusives qui sont de nature à tromper les investisseurs sur la contribution réelle des entreprises et des produits financiers au respect des engagements en matière de durabilité, les entreprises d’investissement doivent s’abstenir de recommander des placements qui ne correspondraient pas effectivement à une expression de préférences individuelles, et expliquer les raisons de cette abstention.
En pratique, ces obligations vont sans doute conduire les conseils financiers à alourdir le niveau de leurs diligences en matière d’adéquation et à se doter des moyens appropriés pour tenir leurs engagements.
En matière de « Taxonomie », les activités économiques sont considérées comme durables, pour autant qu’elles soient alignées avec l’un des 6 objectifs environnementaux déterminés par l’Union européenne, sans nuire pour autant aux 5 autres. A titre d’exemple, l’AMF rappelle que si la production d’électricité au moyen de panneaux solaires est une activité qui permet objectivement de lutter contre les changements climatiques, il convient cependant de vérifier qu’elle ne nuit pas aux autres objectifs et de s’assurer notamment que les composants utilisés ne nuisent pas au contrôle et à la prévention de la pollution.
Les entreprises d’investissement viennent donc renforcer la riposte à la menace des changements climatiques, et la tâche pour elles aussi sera lourde.
(1) « Les fonds actions ESG enregistrent de meilleures performances sur les marchés mondiaux », L’info durable, 22 août 2022
(2) « Les orientations MIFID II sur les préférences en matière de durabilité », Tiphaine Saltini, Finascope, 1er août 2022.