L’intelligence artificielle et la gestion de fortune, qu’en disent les régulateurs ?

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Tiphaine Saltini (Neuroprofiler)

Le secteur de l’intelligence artificielle pourrait-il bientôt révolutionner le monde de la gestion de fortune et de l’investissement? Chronique juridique de Tiphaine Saltini, directrice générale de Neuroprofiler.

L’Intelligence Artificielle (IA), et notamment l’IA générative, fait maintenant partie de notre quotidien. Après avoir acquis plus d’un million d’utilisateurs en cinq jours, ChatGPT compte, en juillet 2024, 181 millions d’utilisateurs par mois. 92% des entreprises de Fortune 500 utilisent à présent l’IA générative dans leur process (source: ChatGPT Statistics).

300 millions d’emplois pourraient être impactés à terme à l’échelle mondiale, avec néanmoins l’espoir d’un gain de productivité qui devrait permettre de générer une croissance économique globale d'environ 7 000 milliards de dollars sur 10 ans (Source : Goldman Sachs).

Percevoir, raisonner et agir

Ces évolutions rapides et récentes sont pourtant le fruit de longues décennies de recherche académique, remontant notamment aux travaux d’Alan Turing et von Neuman dans les années 1950. Les récents progrès en matière de puissance de calcul et d’infrastructure cloud en ont néanmoins permis l’incroyable essor ces dernières années.

Yann Le Cun, qui dirige la recherche fondamentale sur l’IA au sein du groupe Meta Platforms et tenait une chaire au Collège de France sur le sujet, définit l’intelligence artificielle comme une « capacité, pour une machine, d’accomplir des tâches généralement assurées par les humains : percevoir, raisonner et agir. Elle est inséparable de la capacité à apprendre, telle qu’on l’observe chez les êtres vivants ».

Le domaine de la gestion de fortune n’échappe pas à cette révolution. Amélioration de l’efficacité, personnalisation des services financiers, éducation financière, robo-advising, optimisation automatique de portefeuille, … les applications se multiplient dans ce secteur.

Analyser les tendances du marché

Par exemple, Morgan Stanley a intégré ChatGPT pour aider ses conseillers financiers à accéder rapidement à des informations, à générer des résumés de recherches complexes et à améliorer l'efficacité des communications internes et avec les clients.

Son concurrent américain, JPMorgan, utilise des solutions basées sur l'IA, notamment des modèles de langage, pour analyser les tendances du marché, fournir des conseils personnalisés aux clients et automatiser certaines tâches administratives.

En Europe, UBS ou encore Santander s'en servent pour personnaliser l'expérience client via des chatbots et des assistants virtuels.

Face à ces rapides évolutions, l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a publié en juin un communiqué sur l’usage de l’intelligence artificielle dans le secteur financier. Le régulateur identifie notamment les applications suivantes :

  • Service client (chatbots, assistants virtuels…)
  • Automatisation et personnalisation de la gestion de portefeuille
  • Évaluation du profil client en ligne avec les directives MIFII (tolérance au risque, préférences ESG, objectifs d’investissement…)
  • Conformité (analyse automatique des nouveautés réglementaires, identification des comportements non conformes…)
  • Gestion des risques
  • Détection de fraudes
  • Efficacité opérationnelle (génération de rapport, entrée de données…)

Sous-estimation des erreurs

Néanmoins, l’ESMA avertit aussi dans son rapport sur les risques potentiels associés à l’utilisation de l’IA dans le secteur financier:

  • Sous-estimation des erreurs liés à l’Intelligence Artificielle. L’IA, notamment l’IA générative, est en effet encore source de nombreuses erreurs, notamment concernant des informations d’actualité. ChatGPT se base par exemple principalement sur des informations antérieures à 2021.
  • Manque de transparence. L’IA peut avoir un effet “black box”, ces résultats n’étant pas toujours expliqués ou justifiés.
  • Sécurité et protection des données. Les serveurs de nombreuses solutions d’IA restent aujourd’hui américains et pas toujours conformes aux standards RGPD.
  • Fiabilité, liée, par exemple, à la qualité des données qui ont été fournies pour entraîner le modèle IA.

Afin d’encadrer l’utilisation de cette nouvelle technologie, l’ESMA demande aux institutions financières d’avertir leurs clients en cas d’utilisation de l’IA, de tester les algorithmes utilisés, et de s’assurer qu’ils soient utilisés par des employés qualifiés sur le sujet.

Par ailleurs, dans le cas plus particulier de l’évaluation du profil d’investissement, l’ESMA exige de mettre en place des mesures de contrôle pour bien vérifier que les produits financiers recommandés correspondent au profil du client.

Afin d’enrichir ces premières réflexions, le Commission Européenne a lancé un appel à la manifestation d’intérêt des acteurs financiers afin de participer à des ateliers pratiques dédiés à ce sujet lors du second semestre 2024. En France, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) s’est déjà positionnée pour y participer.

Une riche actualité réglementaire sur ce sujet en plein effervescence s’annonce donc dans les prochains mois!

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