La Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) vient de sanctionner lourdement un conseiller en investissement financier (« CIF ») pour non-respect des règles applicables à son statut, dans le cadre de l’exercice d’une activité non réglementée de conseil en gestion de patrimoine. Chronique juridique de Muriel Goldberg-Darmon, docteur en Droit, avocate associée du cabinet Cohen & Gresser, Guillaume Guérin et Pierre Wolman, avocats du cabinet Cohen & Gresser.
Dans une décision du 4 novembre 2024[1], la Commission des sanctions a prononcé une sanction pécuniaire d’un million d’euros à l’encontre d’un CIF ainsi qu’une interdiction pour ses deux dirigeants d’exercer la profession de CIF pendant une durée de 5 ans.
En l’espèce, la société de gestion d’un fonds commun de titrisation (le « FCT »), dont l’objet était d’acquérir des créances commerciales d’entreprises, était conseillée par un CIF pour la sélection de ces créances. La Commission des sanctions de l’AMF reprochait au CIF d’avoir exercé une activité de conseil en gestion de patrimoine[2], sans respecter tant les règles de bonne conduite que les règles d’organisation applicables au CIF, bien que le CIF ne fournissait pas de conseil en investissement[3].
Rappelons en effet que le conseil en gestion de patrimoine ne constitue pas un service d’investissement et n’est pas réglementé en tant que tel, même si plusieurs associations professionnelles encadrent cette activité. Il est cependant visé par le Code monétaire et financier comme une activité pouvant être exercée par un CIF[4], sans y être défini.
Le non-respect par le CIF des règles de bonne conduite
La Commission des sanctions de l’AMF a retenu la violation par le CIF de son obligation d’« agir d'une manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts des clients »[5], pour n’avoir « pas vérifié que les créances dont elle recommandait l’acquisition au FCT […] respectaient les critères d’éligibilité fixés par le règlement de ce fonds, alors qu’elle s’y était contractuellement engagée et qu’elle attestait par ses recommandations que tel était le cas ».
Cette décision relative à l’application des règles de bonne conduite est conforme à la position recommandation AMF DOC 2006-23[6] et à la jurisprudence[7] de la Commission des sanctions, selon lesquelles les obligations de bonne conduite s’appliquent à un CIF fournissant un conseil en gestion de patrimoine.
Le non-respect par le CIF des règles d’organisation
Pour la première fois à notre sens, un CIF a été condamné pour ne pas avoir pris en compte, dans ses procédures internes, ses autres activités de conseil en gestion de patrimoine. La décision de la Commission des sanctions a retenu trois manquements relatifs au non-respect de certaines règles d’organisation du statut de CIF dans le cadre de l’exercice de conseil en gestion de patrimoine.
Premièrement, la Commission des sanctions a constaté que le CIF « ne disposait d’aucune procédure ou disposition opérationnelle lui permettant de prévenir, gérer et traiter tous conflits d’intérêts liés à ses relations de proximité avec ses actionnaires »[8]. Cette situation résultait du fait que :
- le CIF avait embauché l’épouse du directeur administratif de la société avec laquelle le CIF était en relation directe pour les cessions au FCT des créances litigieuses précitées, et
- l’actionnaire du CIF avait mis en relation le CIF avec la majorité des sociétés dont les créances avaient été acquises par le FCT sur les conseils du CIF.
Deuxièmement, la Commission des sanctions a constaté que le CIF exerçait son activité de conseil en gestion de patrimoine « sans disposer des ressources humaines ni d’autres moyens adaptés »[9]. La Commission des sanctions a en effet considéré que le CIF « ne disposait pas de moyens techniques susceptibles de pallier l’insuffisance établie de ses moyens humains »[10].
Troisièmement, la Commission des sanctions a constaté que le CIF ne disposait pas « de procédure de traitement des réclamations, de procédure de LCB-FT et, [pendant une certaine période] de procédure encadrant l’exercice de son activité, en particulier sa mission de vérification de l’éligibilité des créances recommandées au FCT par le CIF »[11]. A ce titre, la Commission des sanctions a précisé que le fait de n’avoir qu’un seul client ne permettait pas au CIF de s’exonérer de l’obligation de mettre en place des procédures proportionnées à sa taille et à sa structure.
Ainsi, les CIF doivent être alertés sur le fait que lorsqu’ils exercent une activité de conseil en gestion de patrimoine, ils se doivent de respecter l’ensemble des obligations relatives au statut de CIF, comme s'il s'agissait d'un service d'investissement. Cette contrainte est d’autant plus importante que le conseil en gestion de patrimoine concerne non seulement les personnes physiques, mais également les professionnels, tels qu’une société de gestion.
[1] AMF CDS, 4 novembre 2024, SAN-2024-10.
[2] La Commission des sanctions a constaté à ce titre que le CIF « a analysé la situation propre du [FCT] et lui a fourni des recommandations adaptées, en particulier à ses objectifs d’investissement, dans des actifs qui ne sont pas des instruments financiers ».
[3] Article L. 321-1 et D. 321-1 du Code monétaire et financier, le conseil en investissement est un service d’investissement et constitue « le fait de fournir des recommandations personnalisées à un tiers, soit à sa demande, soit à l'initiative de l'entreprise qui fournit le conseil, concernant une ou plusieurs transactions portant sur des instruments financiers ».
[4] Article L. 541-1 II du Code monétaire et financier.
[5] Article L. 541-8-1 1° du Code monétaire et financier.
[6] Position - recommandation AMF - DOC-2006-23 - Questions-réponses relatives au régime applicable aux conseillers en investissements financiers.
[7] AMF CDS, 9 juillet 2015, SAN-2015-14 / AMF CDS, 1er juillet 2019, SAN-2019-09 / AMF CDS, 7 juin 2016, SAN-2016-07, confirmée par Conseil d’Etat, 19 mai 2017, n°401804.
[8] En violation des articles L. 541-8 3° du Code monétaire et financier et des articles 325-8, 325-29 I et 325-30 du règlement général de l’AMF.
[9] En violation des articles L. 541-8 du Code monétaire et financier et des articles 325-10 et 325-18 du règlement général de l’AMF.
[10] La décision mentionne que le CIF ne disposait en 2018 « que de trois emplois temps plein (ETP) pour un volume de créances de 152 millions d’euros » et le FCT acquis « en moyenne plus de 9 500 créances par mois » de septembre 2016 à juin 2021.
[11] En violation des articles L. 561-4-1 du Code monétaire et financier et des articles 315-51, 321-147, 325-11, 325-12, 325-12-1, 325-20, 325-22 et 325-23 du règlement général de l’AMF.