Contribuer à protéger la biodiversité est un enjeu essentiel, économique comme sociétal pour l’avenir du monde. Pour les investisseurs, le déclin de la biodiversité représente des risques non négligeables dont il faut tenir compte dès maintenant. Explications de Valérie Demeure, directrice de l’analyse ESG chez Ofi Invest Asset Management.
La biodiversité en danger
La biodiversité recouvre l’ensemble des milieux naturels et des formes de vie et leurs interactions. Toutefois, la biodiversité est aujourd’hui en danger. Selon l’IPBES, sur les huit millions d’espèces connues sur la Terre, un million seraient menacées. Le WWF estime, quant à lui, que 69 % des populations vertébrées ont disparu depuis 1970. Notre capital naturel, le stock de ressources renouvelables ou non - plantes, animaux, air, sol, eau, minéraux - et les services écosystémiques gratuits créés par ce dernier au bénéfice de l’homme et des autres espèces, s’épuise.
Destruction et artificialisation des milieux naturels, surpêche, déforestation, braconnage, changement climatique, pollutions de l’eau, de l’air, des sols, espèces exotiques envahissantes, l’activité de l’homme est directement responsable du déclin actuel de la biodiversité. Il est donc urgent d’agir.
L’accord cadre pour la biodiversité de Kunming Montréal adopté à la suite de la COP 15 en décembre 2022 est une première étape. Cet accord définit quatre objectifs et 23 cibles pour réduire les menaces sur la biodiversité, et conserver et utiliser durablement les ressources. Ce cadre attend des investisseurs (1) qu’ils rendent publics leurs risques de dépendances et impacts sur la biodiversité. Des attentes relayées par la réglementation européenne, avec la directive Sustainable Finance Disclosure (SFDR) et, en France, par l’article 29 de la loi Énergie Climat.
Risques liés à la perte de biodiversité pour les investisseurs et pour les entreprises
Pour les investisseurs, le déclin de la biodiversité représente des risques non négligeables dont il faut tenir compte dès maintenant.
Le premier de ces risques est le risque physique. De nombreux secteurs d’activités, tels que l’agriculture sylviculture, le textile, producteurs et distributeurs d’énergie, dépendent très fortement des services écosystémiques. La perte de biodiversité risque d’affecter à terme l’accès aux matières premières et ressources dont elles ont besoin pour exercer leur activité. C’est donc leur activité opérationnelle et toute leur chaîne de valeur qui risque in fine d’être impactée, de générer une dévaluation de leurs actifs, et d’impacter tant leur rendement que leur capacité à rembourser leurs dettes.
Il existe aussi un risque de transition car les entreprises issues des secteurs les plus dépendants de la biodiversité et les plus exposés à sa dégradation vont devoir s’adapter,opérer une transition vers une économie préservant la diversité biologique, et se soumettre à de nouvelles contraintes réglementaires qui induiront des coûts supplémentaires : taxation en faveur de la conservation et la restauration de la biodiversité, sanctions éventuelles. Côté investisseurs, la réglementation demande de mesurer l’empreinte des portefeuilles liée à la dégradation de la biodiversité et, à terme, de s’inscrire sur des trajectoires de réduction de cette empreinte.
Enfin, il faut aussi tenir compte des risques réputationnels liés à la mauvaise gestion de ces impacts (scandales, pollution de grande ampleur, rejets toxiques, amendes (2)...).
Ces risques peuvent à terme se transformer en risque systémique car les impacts sectoriels, voire nationaux, liés à la perte de biodiversité risquent de miner les marchés et les valeurs des investissements à long terme.
Comment les investisseurs peuvent-ils agir ?
Tout d’abord, pour mieux flécher leurs investissements, appréhender les risques liés à la biodiversité, et monter en compétence sur cette problématique complexe, les investisseurs peuvent rejoindre des coalitions qui proposent des grilles d’analyse pour collaborer et partager leurs connaissances, et/ou permettent de mutualiser leurs actions d’engagement auprès d’émetteurs fortement exposés sur ces enjeux, telle que Finance for Biodiversity Pledge ou Nature Action 100. Ils peuvent également mener des engagements individuels ou s’associer à des organisations de la société civile sur des thématiques précises, telles que la lutte contre la pollution plastique ou la lutte contre la déforestation.
À travers la notation des performances ESG des émetteurs, les investisseurs regardent également le niveau de maturité des entreprises dans la gestion des impacts environnementaux liés à l’érosion de la biodiversité, aux rejets toxiques, à la gestion de l’eau ou encore des déchets. Ils opèrent également un suivi des controverses liées à leur activité (pollutions, déforestation, disparition d’espèces) et s’en servent pour sensibiliser les entreprises. Le nouveau cadre publié en septembre par le groupe de travail TNFD (3) offre un cadre (4) complet pour mener à bien ces analyses, appréhender les impacts positifs et négatifs, et permet de renforcer leur vigilance.
Enfin, pour rendre compte publiquement de leurs efforts, les investisseurs, notamment en France, publient des indicateurs de mesure d’empreinte biodiversité de leur portefeuille. Il s’agit là d’une première étape vers plus de transparence, qui reste néanmoins imparfaite car, à date, aucune métrique ne permet de rendre compte de cette empreinte dans sa totalité. À terme, il leur est demandé de se fixer une trajectoire de réduction des impacts liés à la perte de biodiversité basée sur la science, une ambition nécessaire au regard de l’ampleur des enjeux, mais quasi impossible à réaliser aujourd’hui en l’absence de données et de métriques communes.
(1) Via la cible 15 de cet accord cadre.
(2) L’affaire Thames Water au Royaume-Uni en est un exemple.
(3) La Taskforce on Nature-related Finance Disclosure (TNFD) a été créée pour aider les différents acteurs à identifier et rendre compte
des risques liés à la nature.
(4) Méthodologie LEAP (« Locate » : situer les connexions avec la nature ; « Evaluate » : évaluer les dépendances et impacts ;
« Assess » : estimer les risques et opportunités ; « Prepare » : préparer la réponse stratégique et le reporting).