Confidentialité juridique accrue : les avantages et limites du Legal Privilege pour les investisseurs

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L'introduction du Legal Privilege en France renforce la confidentialité des avis juridiques internes des juristes d'entreprise, améliorant la protection des investisseurs lors d'opérations de fusion-acquisition et des levées de fonds. Cependant, cette protection ne s'applique pas aux affaires pénales, obligeant les investisseurs à rester vigilants face aux saisies potentielles. L'ajout du Legal Privilege offre une meilleure sécurité juridique, mais les investisseurs doivent continuer à travailler avec des avocats pour garantir une protection adéquate en cas de litiges criminels. Cela renforce la diligence raisonnable des investisseurs dans les transactions impliquant des entreprises françaises. Chronique juridique de Julie Guénand, avocate en défense pénale et éthique des affaires.

En France, la protection des avis juridiques était jusqu’alors seulement garantie par le secret professionnel entre avocats et clients. Les entreprises françaises et leurs investisseurs faisaient donc face à la concurrence des entreprises domiciliées dans d’autres États et notamment ceux de Common Law. En effet, dans ces États, le Legal Privilege assurait déjà la protection des avis juridiques dispensés par les directions juridiques.

Le Legal Privilege est la protection des échanges entre un conseil, avocat ou directeur juridique, et son client ou son entreprise. Il constitue une exception au principe d’ordre public de communication des informations et documents nécessaires lors d’investigations menées par les autorités.

Les juristes français aspiraient depuis plusieurs années à obtenir un Legal Privilege similaire à celui de leurs homologues de la Common Law pour bénéficier du secret dans différentes matières et ainsi renforcer l’influence des directions juridiques.

La protection des actes juridiques des juristes

Le rejet du statut « d’avocat en entreprise »

En 2021, la question de l’instauration du statut « d’avocat en entreprise » était de nouveau discutée et échouait de nouveau. Une partie de la profession estimait que l’avocat en entreprise risquait de perdre son indépendance et de trahir certains des principes essentiels de la profession. En raison de ce rejet, il était nécessaire de réfléchir à une réforme du système judiciaire pour instaurer une confidentialité in rem des consultations juridiques internes pour les juristes d’entreprise.

L’instauration du Legal Privilege

À la suite du rapport sur les états généraux du droit évoquant la nécessité d’instaurer un Legal Privilege en France, un projet de loi d’orientation et de programmation pour la justice pour la période 2023-2027 était déposé. L’objectif était de moderniser et d’optimiser le fonctionnement de la justice en englobant plusieurs aspects et notamment les questions de budget du ministère de la Justice, d’activation à distance d’appareils électroniques, d’utilisation de technologies de communication audiovisuelle lors des gardes à vue, de création d’un Tribunal des activités économiques, etc. Parmi ces mesures figure l’instauration d’un Legal Privilege spécifique pour les juristes d’entreprises en France.

Les 10 et 11 octobre 2023, le Parlement français marquait un tournant majeur dans l’évolution du système judiciaire français en adoptant cette mesure qui constitue une grande victoire pour l’État de droit, la souveraineté économique et la compétitivité des entreprises françaises. L’Assemblée nationale et le Sénat n’ayant pas d’opposition sur le Legal Privilege, le nouvel article 49 est déjà considéré comme définitivement adopté. Les dispositions relatives au Legal Privilege s’appliqueront à compter d’une date qui sera fixée par Décret en Conseil d’État ou au plus tard le 1ᵉʳ janvier 2025.

Désormais, le Legal Privilege accordera une confidentialité aux consultations juridiques internes rédigées par les juristes d’entreprise dans le cadre d’une procédure ou d’un litige en matière civile, commerciale ou administrative. Ces consultations devront être rédigées par le juriste d’entreprise ou les membres de son équipe ayant un master en droit ou équivalent, ayant suivi une formation initiale et continue en déontologie. Elles devront porter la mention « Confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise » et devront être à destination de la direction ou des organes de direction.

En revanche, « La confidentialité n’est pas opposable dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale ».

Cette disposition vise donc à renforcer le poids, la confiance et l’efficacité des directions juridiques, mais elle ne permet pas aux entreprises de faire fi de l’intervention d’un avocat pour préserver le secret en cas de procédure pénale.

L’impact sur les investisseurs : une protection plus grande mais limitée

La protection accrue des avis juridiques

Que l’investisseur réalise une opération de fusion-acquisition ou qu’il entre dans le capital après une levée de fonds, il bénéficie de la protection renforcée des avis et consultations juridiques internes émises par les juristes, à savoir la confidentialité et l’inopposabilité lors de futurs litiges civils, commerciaux ou administratifs.

Dans le cadre de ces opérations, les investisseurs peuvent être amenés à prendre des précautions supplémentaires lorsqu’ils évaluent une entreprise, notamment en examinant de près les risques juridiques potentiels et la manière dont l’entreprise gère ces risques. L'incertitude quant à la confidentialité des informations juridiques internes peut affecter la valorisation de l'entreprise, en particulier si les investisseurs estiment que des risques juridiques importants ne sont pas correctement gérés.

Cette confidentialité accrue favorise donc un environnement propice aux investissements.

Les investisseurs peuvent désormais donner plus de poids à la direction juridique en matière de stratégie et peuvent avoir une plus grande confiance dans les décisions prises par les entreprises. En effet, la gestion du risque juridique est facilitée et les stratégies commerciales et juridiques peuvent être protégées.

En fin de compte, la gestion du Legal Privilege peut devenir un élément important de la diligence raisonnable des investisseurs lors des opérations de fusion-acquisition et des investissements dans des entreprises françaises.

Élargir la protection des avis en matière pénale

Malgré la mise en œuvre du Legal Privilege, les consultations des juristes resteront saisissables par les autorités judiciaires dans le cadre des procédures pénales. Les investisseurs pourront donc pâtir de la saisie des avis juridiques internes à la suite d’une perquisition et doivent se prémunir en la matière.

Il est donc préférable de conserver la réalisation des consultations en matière de risque pénal et des enquêtes internes par les avocats pour bénéficier du secret professionnel.

Certaines autorités de contrôle et autorités judiciaires souhaitent voir les entreprises renoncer au secret professionnel, et au Legal Privilege désormais, pour leur mettre à disposition, en toute transparence, les documents qu’elles souhaitent obtenir.

Ainsi, lorsque les entreprises font face à des perquisitions et saisies, les autorités aspirent toutes les données informatiques (fichiers, datas, emails, etc.) y compris lorsqu’elles sont couvertes par le secret professionnel et rien ne permet aux entreprises de s’assurer de l’absence de consultation ou d’exploitation.

Dans ce cadre, l’article 56-1-1 du code de procédure pénale permet de s’opposer à la saisie de documents et informations couverts par le secret professionnel de la défense dans le cadre d’une procédure pénale. Sur ce point, le secret professionnel demeure donc plus large et protecteur que le Legal Privilege.

L’opposition à la saisie prononcée pendant la perquisition par le juriste d’entreprise permet d’obtenir le déclenchement d’une expertise réduisant les possibilités de recherches et de saisies informatiques par le parquet ou le juge d’instruction qu’aux seuls mots-clés définis contradictoirement devant le Juge des libertés et de la détention.

La présence de l’avocat n’étant pas permise par les textes, les directions juridiques doivent donc veiller à ce que leur opposition soit prise en compte.

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