Plaidoyer en faveur des ETI familiales

  • Publication publiée :18 janvier 2022
  • Post category:Avis d'expert
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Caroline Ruellan : "Les ETI familiales sont précurseurs de la RSE moderne, notamment au regard de leur contribution sociale et sociétale."

Par Caroline Ruellan. Pour la présidente fondatrice du cabinet de conseil SONJ et présidente du Cercle des Administrateurs, la gouvernance se révèle essentielle dans l’entreprise familiale, plus encore que dans toute autre entreprise. Elle canalise notamment les ressorts familiaux, autorisant l’entreprise à grandir, à innover, à se transformer tout en respectant la cohésion familiale, sans laquelle l’entreprise sera tôt ou tard menacée.

Le 21 janvier 2020, Emmanuel Macron lançait la « Stratégie Nation ETI » afin de mettre en avant le rôle structurant des 5.400 ETI dans notre économie. La catégorie d’entreprise intermédiaire (ETI) née en 2008 avec la loi de modernisation de l’économie a pour objectif essentiel de combler l’une des lacunes de l’économie française, l’absence d’un étage intermédiaire entre nos groupes mondialisés et la myriade de PME, souvent trop hexagonales.

Championnes de la création d’emplois en France, les sociétés de 250 à 4 999 salariés ont créé 22 % d’emplois de plus que les PME et microentreprises, entre 2009 et 2019, et 7,4 fois plus que les grandes firmes. Pourtant, la France compte seulement 5.400 entreprises de taille intermédiaire (ETI), contre 12.500 en Allemagne.

Or, plus de 75% de ces ETI ont un actionnariat familial et 60% des entreprises effectuant un chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros en France sont contrôlées par des familles.

Un actif économique majeur

Ces entreprises familiales constituent un actif économique majeur et contribuent au rayonnement de la France à l’étranger. Elles sont source de développement du territoire, de fierté tant locale que nationale. Ainsi, entre 2009 et 2015, alors que les grandes entreprises détruisaient 80.000 emplois, ces entreprises en ont créé plus de 300.000.

Il n’est donc pas étonnant que l’on fasse de plus en plus état de leur forte résilience, au cœur laquelle se trouve, le plus souvent, la famille détentrice. Si elle porte l’héritage, elle donne aussi le souffle, la vision, la volonté de pérennité et de transmission. Elle distille et porte un patrimoine immatériel constitué d’un arsenal de valeurs qui nourrissent le projet entrepreneurial à travers les générations et au-delà des écueils.

Historiquement, les ETI familiales font montre d’un attachement manifeste à leurs salariés et à leurs familles ainsi qu’aux bassins territoriaux dans lesquels elles se déploient. Ce faisant, elles sont précurseurs de la RSE moderne, notamment au regard de leur contribution sociale et sociétale.

Or, cette contribution prend ses racines dans un tropisme paternaliste historique, tel qu’il a pu prospérer notamment au XIXème siècle où l’entreprise apportait à ses ouvriers, en plus de leur emploi, l’éducation, le logement, les soins médicaux, démontrant que la « performance » ne se réduisait pas au seul enrichissement des actionnaires.  

S'affranchir de la financiarisation de l'économie

Les parties prenantes, comprises comme les personnes et groupes subissant un risque du fait de l’activité de l’entreprise selon la définition du rapport Sénard-Notat, sont ainsi souvent « parties intégrantes du projet entrepreneurial ». Les entreprises familiales favorisent le temps long, l’investissement, la prise de risque et l’innovation. Forte de ce socle familial, elles osent s’affranchir de la financiarisation de l’économie.

Pour autant, ces entreprises familiales se déploient dans un environnement particulier qui n’est pas exempt de certains obstacles. L’existence d’un socle familial puissant peut porter son lot de perturbations humaines de nature à déstabiliser l’entreprise. Elles peuvent être en proie à des tensions, parfois graves au point de compromettre le futur de l’entreprise, conséquence d’un environnement familial désuni, voire disloqué, comme a pu le montrer la cession du groupe Lacoste en son temps.  

Le poids de la généalogie, qui ne cesse de croître structurellement sous la pression du temps, menace à chaque génération nouvelle de tendre l’entreprise, de la gripper si un alignement entre vie des affaires et arbre généalogique n’est pas solidement renouvelé et investi par tous. L’articulation de « l’affectio familiae » qui unit la famille d’une part et de « l’affectio societatis » qui unit les associés d’autre part, peut se révéler délicat et se jouer aux dépens de l’intérêt de l’entreprise qui, rappelons-le, ne saurait être celui de la famille.

Passage à haut risque

En particulier, le moment de la transition, c’est à dire de la transmission du pouvoir, constitue un passage à haut risque. C’est parce que cette transition cristallise souvent les préférences, les rancœurs, les jalousies et les ambitions que le chantier « Stratégie Nation ETI » a pris le soin de retenir parmi les six axes majeurs celui de « faciliter la transmission des ETI ».

Or, plus que dans toute autre entreprise, la gouvernance se révèle essentielle dans l’entreprise familiale. Et puisque gouvernance familiale et gouvernance d’entreprise sont intimement liées, le choix d’un modèle de gouvernance doit s’opérer en miroir avec la famille et les valeurs qui la définissent. Porteuse d’une certaine conception de l’entreprise, seule une gouvernance structurée peut permettre d’attirer les talents que l’arbre généalogique n’est pas toujours en mesure d’apporter.

La gouvernance permet de préserver la cohésion familiale, au-delà de l’enchevêtrement de l’affect et des intérêts économiques et financiers. Elle permet aussi de remédier aux défis portés par l’arrivée irrésistible des nouvelles générations, avides de sens et d’un exercice plus horizontal du pouvoir. Elle canalise les ressorts familiaux, autorisant l’entreprise à grandir, à innover, à se transformer tout en respectant la cohésion familiale, sans laquelle l’entreprise sera tôt ou tard menacée.

Elle organise enfin la pérennité de l’entreprise et de ses valeurs, laquelle passe notamment par l’éradication de toute forme de conflits d’intérêt, dont on sait qu’ils fissurent tôt ou tard l’édifice social. Bref, elle permet enfin le changement dans la continuité, subtile mutation qui fait la force de l’ETI familiale.

Co-construction et co-décision

Car la gouvernance est avant tout une question d’état d’esprit des dirigeants, d’autant plus que 57% d’entre eux estiment que leurs entreprises appartiennent autant à leurs actionnaires qu’à leurs collaborateurs, et qu’ils ne sauraient en être les propriétaires lorsqu’ils ont eux même reçu cet actif matériel et immatériel en héritage. Or, cette conviction doit impérativement s’exprimer dans des processus de co-construction et de co-décision tant au niveau stratégique qu’opérationnel.

La solidité et le développement des ETI représente un enjeu majeur. L’initiative « Stratégie Nation ETI » ne saurait en conséquence être ni formelle ni convenue. Elle constitue un rappel urgent pour accompagner, encourager et permettre le déploiement de nos ETI, notamment familiales, afin de doter notre pays d’un tissu d’entreprises homogène, cohérent et complet, c’est à dire, de la PME à l’entreprise cotée devenue internationale.

L’écueil le plus redoutable serait que le chantier lancé le 21 janvier 2020, qui vise notamment à développer une «culture ETI» au sein de l’administration, à renforcer l’accès des ETI aux compétences ainsi aux capacités d’investissement se distille sous l’effet de la myopie pandémique, et ne soit en conséquence pas suivie de dispositions concrètes et puissantes. Il en va de l’attractivité de la France de demain.

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