Distribution transfrontalière des fonds : la Commission européenne interroge, mais les limites demeurent

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Le 19 mars, la Commission européenne dévoilait sa stratégie pour une « Union de l’investissement et de l’épargne ». L’objectif affiché est d’orienter davantage l’épargne des ménages européens. Pour cela, une gestion d’actifs plus efficace, accessible et intégrée est considérée comme un levier essentiel. Dans cette dynamique, la Commission a lancé une consultation ciblée sur l’intégration des marchés de capitaux. Mais si cette initiative interroge l’efficacité de la distribution transfrontalière des fonds, dans les faits, celle-ci demeure limitée pour les clients non professionnels hors du régime OPCVM, entre restrictions réglementaires pour les fonds d’investissements alternatifs (labellisés ou non) et logiques nationales en matière d’épargne réglementée ou de barrières opérationnelles. Chronique juridique de Valentine Baudouin, Partner Compliance & Regulatory au sein de Regvantage.

La consultation ciblée lancée par la Commission européenne dans le cadre de l’Union de l’investissement et de l’épargne comprend plus de 350 questions, dont plus de 50 portent sur la gestion d’actifs (partie 5)[1], avec une attention particulière portée aux freins à la distribution transfrontalière des fonds alternatifs dans le cadre de la directive AIFM.

Plusieurs questions abordent directement la fragmentation du marché et les difficultés opérationnelles liées au passeport AIFM. Ainsi, la Commission s’interroge sur la fluidité de l’accès au marché unique pour les gestionnaires d’actifs («Dans le contexte du cadre européen, les dispositions actuelles sur le passeport pour la commercialisation sont-elles suffisamment simples et proportionnées pour permettre la commercialisation fluide des fonds dans le marché unique ?» - question 27), ou encore sur les différences nationales en matière de support de commercialisation ( «Les différences nationales en matière dexigences sur les documents de commercialisation constituent-elles un obstacle à la distribution ?» - question 30).

Les réponses à cette consultation pourraient conduire à des évolutions réglementaires attendues dès la fin 2025. Comme le précise la Commission :

«Les mesures proposées feront lobjet de propositions législatives dici au quatrième trimestre 2025 […], en particulier pour lever les obstacles à la distribution transfrontalière des fonds et pour réduire les barrières opérationnelles rencontrées par les gestionnaires d’actifs. »

État des lieux de la commercialisation des fonds d’investissement alternatifs en Europe

Le régime européen issu de la directive AIFM repose sur le principe de la libre prestation de services par les gestionnaires d’actifs. Toutefois, en pratique, la commercialisation transfrontalière des fonds d’investissement alternatifs (FIA) à destination des clients non professionnels reste largement encadrée par les législations nationales. En France, la Position-Recommandation DOC-2014-03 de l’AMF précise que les FIA gérés par une société de gestion agréée dans un autre État membre ne peuvent être commercialisés que vis-à-vis des clients professionnels. La commercialisation auprès de clients non professionnels n’est envisageable que si deux conditions sont réunies : la conclusion d’une convention de reconnaissance mutuelle entre l’AMF et l’autorité de supervision d’origine, et la mise en place d’un instrument d’échange d’informations et d’assistance mutuelle.

À ce jour, aucune convention de ce type n’a été conclue, notamment entre l’AMF et la CSSF luxembourgeoise. En conséquence, les FIA européens distribués en France sont réservés aux clients professionnels au sens strict de la directive MiFID II, à l’exclusion des clients avertis — une catégorie qui ne s’applique qu’aux FIA français gérés par des sociétés de gestion établies en France.

Ce régime a des implications concrètes sur les circuits de distribution. Lorsqu’un investisseur ne relève pas de la catégorie des clients professionnels par nature, un conseiller en investissements financiers (CIF) est tenu de le considérer comme client non professionnel, quel que soit son niveau de patrimoine. Dès lors, un FIA de droit étranger, même doté d’un passeport pour une distribution auprès de clients professionnels, ne peut être proposé à un investisseur particulier par un CIF. Ce cadre exclut ainsi de facto une grande partie du réseau de distribution français des FIA européens, limitant sensiblement leur accès à la clientèle non professionnelle.

Si des labels européens comme ELTIF 2.0 sont conçus pour faciliter l’accès des épargnants aux investissements à long terme, les spécificités nationales continuent de conditionner leur mise en œuvre effective

ELTIF 2.0 : des structurations nationales demeurent nécessaires

Présenté comme une formidable opportunité de lever des capitaux, non seulement auprès des clients professionnels habituels, mais également auprès d’investisseurs de détail des 27 États membres de l’UE, le label ELTIF 2.0 permet en principe une distribution harmonisée des fonds en Europe. Ce cadre constitue une exception notable au régime de commercialisation des FIA, en instaurant un passeport de distribution unique, sans distinction entre clients professionnels et non professionnels.

Sur le plan réglementaire, un fonds labellisé par l’AMF en France ou la CSSF au Luxembourg peut bénéficier du passeport ELTIF pour être distribué dans l’ensemble des États membres. Toutefois, ce passeport se confronte dans la pratique aux particularités des marchés nationaux, notamment en matière de distribution via l’assurance-vie, d’aspects opérationnels ou de reconnaissance des structurations juridiques.

En France, par exemple, le Code des assurances limite l’éligibilité des ELTIF 2.0 en unités de compte aux seuls véhicules de droit français, ce qui exclut par exemple les ELTIF luxembourgeois. Les structures maître-nourricier ne sont pas davantage éligibles. En effet, le même code précise que lorsque les unités de compte incluent des FIA nourriciers, le fonds maître doit lui aussi répondre aux critères d’éligibilité définis par cet article. Autrement dit, pour qu’un ELTIF nourricier soit éligible à l’assurance-vie, son fonds maître doit également être un ELTIF de droit français.

En dehors de l’assurance-vie, pour la distribution en compte titres, les gestionnaires d’actifs sont en outre confrontés aux pratiques nationales en matière de souscriptions rachats et de tenue du registre des porteurs de parts qui restent des points d’écart entre pays européens. La France utilise le modèle CSD (Central Securities Depository) pour la très grande majorité des organismes de placement collectif distribués aux investisseurs de détail quand le Luxembourg par exemple pratique plus le modèle Transfer Agent.

Les gestionnaires d’actifs européens doivent ainsi, pour ces raisons, constituer des véhicules français parallèles s’ils souhaitent accéder à l’épargne réglementée ou faciliter, d’un point de vue opérationnel, la distribution en compte-titres. Néanmoins, des différences d’interprétation entre régulateurs nationaux peuvent émerger sur des aspects structurants de la documentation ou des stratégies d’investissement appliquées aux véhicules parallèles. L’AMF indiquait par exemple, lors du second Q&A France Invest sur l’application du Règlement ELTIF du 24 février 2025, que «les véhicules parallèles en France et au Luxembourg sont instruits indépendamment. Les retours de lacteur et du régulateur peuvent être différents, ce qui peut entraîner des divergences dinterprétation entre autres autorités nationales compétentes. Nous avons parfois pu demander des ajustements sur les stratégies dinvestissement afin de garantir la sécurité juridique. Certaines autorités ont également demandé des ajustements du prospectus. »[2]

En outre, bien que l’AMF ait confirmé dans ce même Q&A qu’une société de gestion étrangère peut, via le passeport AIFM, gérer un ELTIF français destiné à des investisseurs de détail, nombre de gestionnaires étrangers continuent de recourir à des sociétés de gestion françaises, souvent plus expérimentées dans la structuration de fonds domestiques, tout en conservant la gestion financière par voie de délégation.

Ces éléments montrent que, si le cadre ELTIF 2.0 offre une ouverture réglementaire européenne, sa mise en œuvre dépend étroitement des modalités de distribution propres à chaque marché, et de leur articulation avec les cadres nationaux, qu’ils soient juridiques, fiscaux, opérationnels ou prudentiels.

Malgré ces constats, on ne peut que se réjouir de toute initiative visant à lever les obstacles réglementaires ou opérationnels à la distribution des fonds, la gestion d’actifs étant l’un des secteurs clés pour accompagner la croissance des entreprises au sein de l’Union européenne.

[1] https://finance.ec.europa.eu/regulation-and-supervision/consultations-0/targeted-consultation-integration-eu-capital-markets-2025_en

[2] https://www.franceinvest.eu/wp-content/uploads/2024/06/Questions-membres-France-Invest-pour-le-Webinaire-ELTIF-2.pdf

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