L’obligation de prévoir une tranche retail lors d’une introduction en bourse devient optionnelle

You are currently viewing L’obligation de prévoir une tranche retail lors d’une introduction en bourse devient optionnelle

Chronique juridique de Guillaume Dolidon, avocat au barreau de Paris, Dolidon Partners

L’Autorité des marchés financiers (AMF), qui souhaite s’inscrire dans le mouvement en faveur de l’attractivité de la place financière de Paris, a annoncé, le 19 mars 2024, que son Collège s’était prononcé en faveur de la suppression de l’obligation, propre à la France, pour les émetteurs lors d’une IPO de prévoir qu’une partie du montant global de l’opération soit destinée aux investisseurs particuliers.

Il est vrai que cette mesure, autrefois animée par le souci d’encourager l’investissement des particuliers sur les marchés financiers, mettait la place parisienne dans une position de singularité et de complexité accrues, alors que les enjeux de compétitivité en matière d’introductions en bourse se jouent sur la simplicité, la rapidité et l’efficience des coûts.

Origine et portée de l’obligation

A la suite d’un travail de réflexion mené par des groupes de professionnels, l’ancien Conseil des marchés financiers (CMF) avait décidé d’édicter en 2000 un ensemble de règles de bonne conduite applicables aux prestataires participant à une introduction en bourse en tant que conseil de la société en question, chef de file ou simple membre du syndicat de placement. Dans un souci de traitement équilibré des investisseurs dans le cadre de l'allocation des titres offerts, ces règles prévoyaient notamment que le prestataire devait faire en sorte de répondre de « manière significative » à la demande des particuliers. Un objectif que le CMF estimait atteint avec la mise en place d'une procédure d'allocation proportionnelle aux demandes formulées et 10 % au moins du montant total de l'opération mis à leur disposition.

L'obligation de prévoir une tranche à destination des investisseurs particuliers avait donc pour origine la préoccupation d'assurer un minimum d'accès d’investisseurs particuliers en France aux opérations d’introduction, dans un contexte où les investisseurs retail revendiquaient cet accès car ces opérations suscitaient alors un fort intérêt du public. Pour certaines d'entre elles, la partie réservée au public (donc 10 % minimum) avait en effet été sursouscrite plusieurs fois (1).

Cette obligation de moyens, qui est généralement présentée comme une spécificité française, résulte de l’alinéa 2 de l’article 315-6 du règlement général de l’AMF en vigueur, qui prévoit que « dans le cadre d’une introduction en bourse, le prestataire chef de file fait ses meilleurs efforts pour qu'il soit répondu de façon significative aux demandes formulées par les investisseurs personnes physiques, cet objectif étant réputé atteint lorsqu’une part minimale de 10 % est mise sur le marché à disposition des investisseurs particuliers. »

Application pratique de l’obligation

Il faut rappeler que l’obligation faite ainsi aux émetteurs n’est qu’une obligation de moyens et que le seuil de 10% visé par le texte n’a que la valeur d’une présomption. Autrement dit, les émetteurs peuvent faire valoir par d’autres moyens qu’ils ont répondu de façon significative aux demandes formulées par les investisseurs personnes physiques.

Dans le passé, la COB avait déjà accepté que la tranche retail soit inférieure à 10 % dans des contextes très particuliers. A titre d’exemple, l’AMF rappelle qu’il avait été accepté que la tranche réservée aux investisseurs particuliers en France soit limitée à 5 % dans certaines émissions transnationales (Wavecom, Intégra, Transgene, Eurofins, Completel ou Trader.com) dans la mesure où ces sociétés avaient accès à un marché réglementé étranger et où les particuliers bénéficiaient d'un véritable flottant en France.

Si, comme le soulignait l’AMAFI en 2022 (2), cette obligation ne peut représenter en tant que telle un enjeu de compétitivité majeur, il faut reconnaître qu’elle est de nature à rendre plus complexe le montage des opérations, à en allonger la durée et donc à renchérir les coûts d’accès aux marchés financiers, enjeux qui eux sont majeurs.

En pratique, cette contrainte oblige en effet les émetteurs à structurer leur opération d’introduction en bourse en séparant deux offres :

  • Une offre à prix ouvert (« OPO ») auprès du public en France, pour respecter l’obligation de réserver une tranche aux investisseurs de détail ;
  • Une placement global auprès d’investisseurs intentionnels établis en France ou en dehors de France (« PG »).

En termes de durée, cette obligation impose par ailleurs aux émetteurs de respecter les termes de l’article 21.1 alinéa 2 du règlement Prospectus qui dispose que « dans le cadre d’une première offre au public d’une catégorie d’actions qui est admise à la négociation sur un marché réglementé pour la première fois, le prospectus est mis à la disposition du public au moins 6 jours ouvrables avant la clôture de l’offre ».

Mise en œuvre de la décision du Collège de l’AMF

Dans un souci de protection de l’épargne, l’AMF précise que son Collège a décidé de maintenir le texte dans une version amendée, de manière à prévoir que si l’émetteur souhaite, dans le cadre de son IPO s’adresser à toutes catégories d’investisseurs (donc y compris des particuliers), alors le chef de file devra s’attacher à éviter tout déséquilibre manifeste entre la demande formulée par les particuliers et celle des institutionnels.

S’agissant de la mise en œuvre de cette décision, le Collège a par ailleurs précisé qu’il évaluerait d’ici trois ans les effets de la mesure sur la participation et le traitement des investisseurs particuliers dans le cadre des IPO réalisées sur le marché réglementé d’Euronext Paris, étant donné que les investisseurs particuliers n’ont cessé de montrer un intérêt croissant pour les opérations boursières pendant ces dernières années comme le démontre le tableau de bord de suivi, dressé par l’AMF.

La décision de l’AMF doit encore être soumise à l’homologation du ministère de l’Economie et des Finances. Elle est présentée comme s’inscrivant dans le cadre des différentes initiatives en faveur de l’attractivité de la place financière de Paris, comme la proposition de loi du député Renaissance Alexandre Holroyd qui souhaite renforcer les capacité de financement des entreprises, notamment via les marchés financiers.

  1. Rapport final sur les introductions en bourse, AMF, 1er décembre 2014.
  2. AMAFI, Faut-il rendre optionnelle la tranche « retail » lors d’une introduction en bourse, 28 novembre 2022.
Partager cet article