Education financière obligatoire au collège, une bonne idée ?

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Tiphaine Saltini (Neuroprofiler)

Désignée opérateur national de la stratégie d'éducation financière par les pouvoirs publics, la Banque de France va délivrer un passeport Educfi aux élèves de 4ème à partir du mois prochain. Malgré ses limites et ses pistes d’amélioration, ce premier cours représente une avancée significative. Chronique juridique de Tiphaine Saltini, directrice générale de Neuroprofiler.

Malgré quelques progrès ces dernières années, la France reste un mauvais élève en matière d’éducation financière au sein de l’Union Européenne, et même au sein des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Selon son étude parue en décembre 2023, la France se classe au 14ème rang sur les 39 pays ayant participé à l’enquête, loin derrière l’Allemagne, l’Irlande, la Suède ou encore l’Estonie. Avec un score total de 12,45/20, les Français détiennent une culture financière légèrement en dessous de la moyenne de l’OCDE, juste derrière l’Espagne et devant le Portugal.

Plutôt bon épargnants

Notamment, les Français maîtrisent insuffisamment le mécanisme des taux d’intérêt et l’impact de l’inflation sur l’épargne. Ils sont par contre plutôt bon épargnants. 51% déclarent avoir mis de l’argent de côté sur un livret d’épargne au cours des 12 derniers mois, 23% avoir placé de l’argent sur une assurance-vie. Cette épargne est néanmoins plutôt réservée à un usage de court terme.

Ces résultats sont par ailleurs fortement influencés par le genre et le statut socio-démographique, et donc source d’inégalités.

Néanmoins, selon trois études 2023 de la Banque de France, l’éducation financière est quand même en léger progrès en France, notamment chez les jeunes de moins de 18 ans.

Leur score de connaissances financières était de 4,3/7 en 2023, vs. 3,8/7 en 2020. Notamment, les jeunes sont relativement confortables sur les sujets de paiement. Ils le sont beaucoup moins sur des questions de calcul d’intérêt et de rapport risque/rendement. Or, 30% d’entre eux ont déjà reçu une offre pour placer, prêter ou emprunter de l’argent par téléphone, internet ou un réseau social.

Loin de la réalité

Selon une autre étude de l’OCDE de novembre 2023, sollicitée par l’Autorité des marchés Financiers (AMF), les jeunes ont également tendance à surestimer leurs connaissances. 73% d’entre eux pensent avoir un niveau élevé, encore loin de la réalité de leurs résultats…

Ainsi, bien qu’en légère progression, le niveau d’éducation financière reste faible et inégalitaire en France, ce qui accentue, dans un contexte d’inflation, un véritable mal-être financier.

Selon l’étude grand public de la Banque de France en 2023, près de 40% des Français ont été à découvert ou encore déclarent avoir du mal à « joindre les deux bouts » au cours des 12 derniers mois. 16% ont été victimes de fraudes (vol de coordonnées bancaires, piratage informatique…).

Selon un sondage de fin 2023 de l’IFOP, 85% des Français sont inquiets sur leur avenir, le sujet financier du pouvoir d’achat venant devant celui du réchauffement climatique (Statista 2024).

Echanges depuis plusieurs années

Pour répondre à cette problématique, la Banque de France, nommée par Bercy opérateur de la stratégie nationale d’éducation financière, échange depuis plusieurs années avec l’Education Nationale pour rendre l’éducation financière obligatoire à l’école.

Fruit de longues années de discussion entre les deux institutions, l’éducation financière fera enfin partie des cours de 4ème et de cycle professionnel à partir de 2024. Il prendra la forme d’un passeport EDUCFI avec 3 objectifs :

  • savoir gérer son argent et prévenir le surendettement ;
  • savoir planifier et épargner ;
  • savoir se protéger contre les arnaques financières ou les pratiques commerciales trompeuses.

Il comprendra une formation de deux heures, qui aura lieu en mars prochain en format diaporama, suivie d’un test sur le fonctionnement d’un budget, d’un compte courant, les principaux moyens de paiement, l’épargne, le crédit et la prévention des arnaques.

Toutes les classes de ce niveau

Cette formation pourra être organisée par un ou plusieurs professeurs ou un membre de la vie scolaire. Un parcours d’auto-formation est déjà mis à disposition en ligne par le ministère pour les enseignants qui souhaitent participer au programme.

Le dispositif avait déjà été testé avec succès en 2021 et 2022 dans 80 classes de l'Hexagone. Il sera étendu en 2024 à toutes les classes de ce niveau.

Ainsi, 750 000 adolescents au total seront formés afin «d'avoir un socle, une base de connaissances pour prendre des décisions averties dans ce domaine. (…) Sans éducation financière à l'école, c'est la culture économique des parents qui influence les enfants. Or, celle-ci varie fortement en fonction de la catégorie socioprofessionnelle de la famille», indique Stéphanie Lange-Gaumand, directrice de l'éducation financière à la Banque de France.

Cette initiative est le fruit de longs travaux entre l’Education Nationale, la Banque de France et les représentants des acteurs financiers Français.

Elle a pour source d’inspiration d’autres pays de l’OCDE qui ont mis en place ce type de cours depuis déjà plusieurs années, comme au Canada, au Brésil, en Belgique ou encore en Espagne.

Projet largement approuvé

Ce projet est largement approuvé par les Français. Selon l’étude 2023 de la Banque de France, 81% des Français y sont favorables.

Néanmoins, dans un contexte de réforme du système du collège, le moment n’est pas forcément le plus approprié pour introduire cette nouveauté.

En plein débat sur l’introduction de cours de théâtre ou sur la vie affective, relationnelle et sexuelle au collège, l’éducation financière représente un nouveau cours que les enseignants devront s’approprier à court terme. Par ailleurs, l’introduction de sujets financiers, parfois encore culturellement mal perçus en France, dans le monde de l’éducation nationale, ne fait pas toujours l’unanimité.

A l’inverse, certains représentants du monde financier qui ont participé aux comités de réflexion sur l’introduction de l’éducation financière à l’école, comme l’Anacofi, présidée par David Charlet, regrettent la faiblesse du nombre d’heures allouées à cette nouvelle discipline. Il est en effet peu réaliste d’avoir un impact sur le manque structurel d’éducation financière en France, et sur des sujets aussi techniques que l’inflation ou le calcul d’un taux d’intérêt composé, en seulement 2 heures de cours sur tout un parcours scolaire…

Format d'apprentissage peu efficace

Par ailleurs, le format d’apprentissage, un diaporama, semble peu efficace pour un apprentissage long terme de concepts complexes. Il va même à l’opposé des recherches en sciences pédagogiques, qui promeuvent un apprentissage actif, idéalement gamifié, sous la forme de micro-learning avec un mélange d’apprentissage avec le professeur et en autonomie via des outils digitaux.

Il n’est pas non plus en ligne avec les résultats de l’enquête menée par l’OCDE en partenariat avec l’AMF en 2023, qui montrait une attente des jeunes investisseurs pour une éducation financière « claire, pratique, ciblée, interactive et au caractère ludique ».

Malgré ses limites et ses pistes d’amélioration, l’introduction de ce premier cours obligatoire représente une avancée significative dans la prise de conscience de l’urgence de l’éducation financière en France.

Il représente également l’aboutissement de longues années de travail de la Banque de France et des représentants des acteurs financiers pour collaborer avec l’Education Nationale.

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