“La méthode de construction de notre ETF est une première mondiale”

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Jad Comair, un ancien de la Société Générale, est président de Melanion Capital.

Melanion Capital, société de gestion alternative établie à Paris, vient de recevoir l’agrément de l’AMF pour le lancement d’un ETF (Exchange Traded Fund ou fonds coté en Bourse) sur le bitcoin. Pourvu du label Ucits, le Melanion BTC Equities Universe Ucits ETF réplique l’évolution d'un panier d'actions dans le secteur des crypto-actifs moyennant des frais de gestion de 0,75%. Dans cette interview Stratégie, son président Jad Comair détaille l’opération et explique qu’au delà de cette première en Europe, très largement reprise dans la presse internationale, la technique de construction du portefeuille est également inédite. Cotation prévue dans les semaines qui viennent.

Jad Comair, pouvez-vous décrire le parcours qui vous a conduit jusqu’au lancement de cet ETF?

Notre société de gestion de portefeuille a été lancée en 2012 et agréée par l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) en 2013. A l’origine, la société était spécialisée sur une nouvelle classe d’actifs, les contrats à terme sur dividendes, qui consistent à anticiper le niveau de dividendes versés par les sociétés à leurs actionnaires. J’avais travaillé dix ans dans ce domaine à la Société Générale. Nous nous sommes ensuite diversifiés vers d’autres stratégies sur les futures, les options, et les approches quantitatives. Nous avons également développé un programme de "seeding" pour les nouveaux gestionnaires d'actifs. Puis, il y a quelques années, nous nous sommes intéressés à l’environnement des crypto-monnaies, et notamment au Bitcoin. Nous avons mis en place une équipe de recherche pour identifier des idées à proposer à nos clients sur ces thématiques. Et ce qui nous a immédiatement frappés, c’est la quasi-absence de supports éligibles pour les investisseurs institutionnels. Aux Etats-Unis par exemple, rien que cette année, une vingtaine de demandes de création d’ETF sur le bitcoin ont déjà été déposées sans être encore acceptées. La première d’entre elles remonte même à 2013. 

La réglementation Ucits, un gage de solidité et de qualité incontournable en Europe et dans le monde.

Quelle était votre légitimité pour vous lancer dans cette aventure?

Nous avons décidé de relever ce défi en raison de notre connaissance des sujets réglementaires. Nos produits historiques présentaient en outre certaines similitudes avec les crypto-monnaies. En effet, ces dernières n’existent pas vraiment en tant qu’actifs physiques et tangibles au même titre que les dividendes. Nous avons donc trouvé des analogies dans la qualification réglementaire du sous-jacent et la structuration du fonds pour son éligibilité à la réglementation Ucits, un gage de solidité et de qualité incontournable en Europe et dans le monde. Il s’agissait donc plutôt d’une évolution naturelle.

Quelles étapes avez-vous franchies?

La première a justement consisté à rendre éligible la classe d’actifs à un fonds Ucits. Ensuite, il fallait pouvoir la structurer au sein d’un ETF et enfin obtenir un agrément réglementaire auprès de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers). Cela a nécessité plus de deux ans de travail.

En quoi votre ETF diffère-t-il des fonds cryptomonnaies déjà lancés par des promoteurs comme 21Shares ou Vaneck? 

Ce ne sont pas des fonds Ucits et pas non plus des ETF, mais des ETP (Exchange Traded Products) ou des ETN (Exchange Traded Notes). Ces produits ne sont pas éligibles aux fonds Ucits. 

Cette méthode de construction est unique car la plupart des ETF suivent des indices équipondérés ou bien pondérés par leur capitalisation boursière.

Quelle est la particularité de cet ETF?

Sa thématique d’investissement est le bitcoin même s’il n’y est pas directement investi, car le crypto-actif en tant que tel n’est éligible, ni aux fonds Ucits, ni au label Ucits ETF, qui doit respecter certaines contraintes pour bénéficier de l'appellation réglementée.  Pour pouvoir exposer les investisseurs à cette thématique, nous avons conçu un ETF qui suit un indice actions, le Melanion Bitcoin Exposure Index, que nous avons construit. Il est composé d’un panier de 30 actions cotées aux Etats-Unis, au Canada et en Europe dont les entreprises sont présentes dans le domaine des crypto-actifs ou en détiennent à leur bilan. La pondération des titres est déterminée par leur corrélation à l’évolution du bitcoin. Cette méthode de construction est unique car la plupart des ETF suivent des indices équipondérés ou bien pondérés par leur capitalisation boursière. Il s’agit même d’une première mondiale. Nous pouvons l’affirmer car nous avons étudié tous les ETF listés dans le monde. Nous publierons bientôt un papier de recherche pour décrire cette composition d’indice. 

Souhaitez-vous décliner cette méthodologie de construction fondée sur la corrélation pour lancer d’autres instruments?

Oui, c’est envisageable pour d’autres crypto-monnaies, ou encore l’or ou le pétrole. Par exemple, l’action Total Énergies, très présente dans les indices d'actions pétrolières, en raison de sa capitalisation boursière, est faiblement corrélée aux prix du pétrole. Nous sommes en pleine réflexion. De nombreux thèmes sont encore inexplorés, en lien avec ce type de méthodologie, sur le changement climatique, l’alimentation ou encore l’ESG.

La corrélation des actions avec le sous-jacent n’évolue-t-elle pas dans le temps? Comment allez-vous ajuster cet indice en conséquence?

L’indice ne tient compte que de la corrélation historique. Sa pondération est mise à jour tous les trois mois pour tenir compte des évolutions. C’est un processus continu. Néanmoins, la corrélation historique n’est pas un indicateur de la corrélation future.

L’acceptation du bitcoin comme support d’investissement grandit chaque jour un peu plus. Les sondages récents réalisés auprès des investisseurs internationaux le montrent.

La création de cet ETF inédit répond-elle davantage aux attentes des professionnels ou des particuliers?

Surtout les professionnels. Les particuliers peuvent ouvrir un compte auprès d’une plate-forme d’échange de crypto-monnaies et acheter du bitcoin eux-mêmes. Mais les professionnels de la gestion sont contraints dans leur univers de placement. Seules des sociétés commerciales comme Tesla, qui détient un compte chez Coinbase, ont la liberté d’y investir. Nous pensons d’ailleurs que de nombreuses entreprises du CAC 40 en ont fait autant, sans avoir encore communiqué. Notre positionnement est de mettre en place un produit éligible aux professionnels de l’investissement, comme les assurances-vie, les fonds de gestion, les allocataires d’actifs. L’acceptation du bitcoin comme support d’investissement grandit chaque jour un peu plus. Les sondages récents réalisés auprès des investisseurs internationaux le montrent. Nous partageons cette vision. Selon nous, le bitcoin est un actif révolutionnaire au potentiel très important. Grâce au passeport européen octroyé par notre agrément AMF et le label Ucits, nous allons pouvoir distribuer notre ETF partout dans l’Union Européenne.

N’est-ce pas compliqué pour un investisseur institutionnel de justifier de détenir du bitcoin, compte tenu de sa volatilité?

La volatilité du bitcoin est un sujet sensible. Néanmoins, sur les 12 derniers mois, le bitcoin a été moins volatile que l’action Tesla. Par ailleurs, il n’est pas question d’investir 98% de son portefeuille en bitcoin. Cela fait sens pour quelques pourcents, compte tenu de ses vertus diversifiantes dans le cadre de la construction d’un portefeuille robuste. 

Peut-on parler de vertus diversifiantes du bitcoin, s’agissant d’un actif qui n’a pas de valeur intrinsèque et est dépourvu de flux financiers?

Nous entrons dans un débat un peu philosophique en parlant de valeur intrinsèque. Ne peut-on pas dire la même chose de l’or dont la valeur intrinsèque peut également être en doute, même si nous tenons cette idée de nos parents et de nos grands parents. Des coquillages ou encore le sel ont également bénéficié de ce statut dans l’histoire. La valeur intrinsèque d’un actif n’est pas fonction de son caractère tangible, mais plutôt d’une perception et d’une acceptation collective. 

Pourquoi un investisseur particulier souscrirait-il à votre ETF plutôt que d'acheter du bitcoin directement?

Souscrire à notre ETF évite d’ouvrir un compte auprès d’une plate-forme d’échange de crypto-monnaies. L’ETF Bitcoin sera listé dans quelques semaines sur les Bourses. Cela permet de rester dans une gestion traditionnelle de son compte et de son investissement. Détenir des bitcoins sur un wallet comporte aussi le risque de piratage et de perte de ses actifs. Les sociétés présentes dans notre indice risquent certes également ce type de mésaventures, mais dans une moindre mesure, car il s’agit de professionnels et nous en avons 30 en portefeuille.

L’ETF sera t-il éligible à un PEA?

Non, car l’ETF est majoritairement composé d’actions hors Europe et notamment américaines. 

Les banques françaises, dont l’expertise est pourtant reconnue à travers le monde dans les dérivés actions, se montrent encore très réticentes sur ces sujets.

Votre indice ne comprend que 4 valeurs européennes et est largement dominé par les entreprises américaines. Comment l’expliquez-vous? 

L’Europe est très en retard sur les Etats-Unis et la Chine. La France est bien représentée dans l’écosystème crypto, mais davantage au travers des Français qui y travaillent que de la place de Paris. Quelques champions existent en France, comme Coinhouse ou Ledger. Il faut aussi saluer la réglementation PSAN de l'AMF (Prestataire de Service en Actifs Numériques) qui est un  gage de qualité. Toutes les conditions sont réunies pour briller à l’international, mais les efforts doivent être accompagnés par tous les acteurs. Les crypto-actifs sont une chance à saisir. Il y a beaucoup d’initiatives dans la blockchain mais peu dans les crypto et le bitcoin. Aux Etats-Unis, les banques multiplient les possibilités offertes à leurs clients pour investir dans ces actifs. Nous en sommes très loin en Europe. Les banques françaises, dont l’expertise est pourtant reconnue à travers le monde dans les dérivés actions, se montrent encore très réticentes sur ces sujets pour des raisons que je ne m’explique pas. 

   

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