Chronique juridique de Marie-Aude Noury, avocat au Barreau de Paris, associée, Squair A.A.R.P.I.
Largement répandue auprès des émetteurs de titres de créance, la pratique des programmes d’émission de titres de créance s’effectue dans le cadre d’un prospectus de base, complété des conditions définitives, et d’un supplément, le cas échéant, à l’occasion d’une émission particulière effectuée dans des délais très courts.
Un supplément est établi notamment en cas de fait nouveau concernant les informations contenues dans un prospectus susceptible d’influencer l’évaluation des valeurs mobilières. La question s’est posée de savoir s’il était possible de prévoir des caractéristiques particulières dans un supplément, comme une nouvelle garantie, ou si de telles modifications constituaient une nouvelle catégorie de titres pour laquelle le supplément ne pouvait être utilisé. C’est cette question et la délimitation des cas d’utilisation du supplément que pose la consultation publique actuellement ouverte par l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) jusqu’au 19 mai 2025[1].
En effet, le règlement (UE) 2024/2809 (Listing Act) a modifié le règlement (UE) 2017/1129 sur le prospectus (Règlement Prospectus) pour y insérer une nouvelle disposition 4 bis au sein de son article 23, selon laquelle un supplément au prospectus de base ne doit pas servir à introduire un nouveau type de valeur mobilière pour lequel les informations nécessaires n'ont pas été incluses dans le prospectus de base, sauf si cela est nécessaire pour respecter les exigences de fonds propres prévues par le droit de l'Union.
Ce principe n’est pas nouveau car il figurait déjà dans le considérant 36 du Règlement Prospectus dans sa version initiale. Force est cependant, comme le souligne le considérant 54 du Listing Act, de constater la difficulté de déterminer ce qu’est une nouvelle catégorie de valeur mobilière et la divergence des pratiques des autorités de supervision en la matière. En vue de résoudre ces divergences entre les États membres, le principe est désormais devenu une règle dont l’interprétation serait encadrée par les lignes directrices de l’AEMF. En effet, l'article 23(8) du Règlement Prospectus demande à l'AEMF d’élaborer, d’ici au 5 juin 2026, des orientations précisant les circonstances dans lesquelles un supplément doit être considéré comme introduisant un nouveau type de valeur mobilière qui n'est pas déjà décrit dans un prospectus de base.
Deux projets de lignes directrices proposés
Dans son document de consultation, l’AEMF propose deux projets de lignes directrices visant, d’une part, à clarifier l’objet d’un supplément et, d’autre part, à préciser les facteurs à prendre en compte lors de l’élaboration d’un prospectus de base afin d’éviter qu’un supplément ne soit perçu comme introduisant une nouvelle valeur mobilière dans un prospectus de base.
Le premier projet de ligne directrice s’appuie sur l’article 23 du Règlement Prospectus et sur l’objet d’un supplément. Un supplément doit fournir à l’investisseur des informations importantes concernant l’évaluation des valeurs mobilières déjà mentionnées dans le prospectus de base. Ce projet considère qu’un supplément qui ajouterait un nouveau type de caractéristique qui n’est pas déjà généralement prévu dans le prospectus de base, par exemple un nouveau type de sous-jacent, une nouvelle garantie, une nouvelle disposition de taux d’intérêt, introduirait de fait de nouvelles valeurs mobilières et ne pourrait être approuvé à titre de supplément. En revanche, l’augmentation du plafond nominal du programme peut s’effectuer dans le cadre d’un supplément.
Le deuxième projet de ligne directrice encourage les émetteurs à fournir des informations générales sur tous les types de titres autres que de capital qu’ils prévoient raisonnablement d’émettre au cours des 12 mois de validité du prospectus de base et à les décrire de manière adéquate dans le prospectus de base, y compris au sujet des facteurs de risques ainsi que des modalités applicables. Tel devrait être le cas, par exemple, si un émetteur prévoit d’émettre des obligations vertes ou des obligations liées à des actions par exemple. De même, si un émetteur souhaite introduire des titres liés à des crypto-actifs en tant que sous-jacents, il ne devrait pas le faire au titre d’un supplément mais le prévoir dans le prospectus de base. La deuxième ligne directrice conduirait potentiellement à une augmentation de la taille du prospectus de base, conséquence cependant non alignée avec l’objectif de concision et d’intelligibilité du prospectus poursuivi par le Listing Act.
À l’issue de la consultation publique, les lignes directrices finales devraient être publiées au quatrième trimestre 2025 pour une entrée en vigueur deux mois plus tard.
Si les orientations proposées par l’AEFM semblent refléter dans une large mesure les pratiques existantes en matière de portée admissible d’un supplément au prospectus de base, elles pourraient conduire cependant à l’avenir à une approche plus restrictive par les autorités de supervision, sans pour autant écarter totalement un risque de divergence d’interprétation sur les cas d’utilisation du supplément.
[1] AEFM, Consultation Paper, Draft Guidelines on supplements which introduce new securities to a base prospectus (ESMA32-1953674026- 5808), 18 février 2025