OPA obligatoire : quand l’AMF enjoint, mais ne contraint pas

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Le 13 mai, l’AMF a annoncé publiquement enjoindre Danae Groupe à déposer un projet d’offre publique d’achat visant les actions de la société Entreprendre. Chronique juridique de Guillaume Dolidon, avocat au barreau de Paris, Dolidon Partners.  

L’histoire commence assez simplement, il y a un peu plus d’un an. Par voie de communiqué en date du 17 mai 2024, la société Danae Group, qui se présente comme un acteur international des médias et de la communication, annonce un rapprochement amical avec la société Entreprendre (société cotée sur Euronext Growth Paris), concrétisé par l’acquisition hors marché le 6 mai 2024 (au travers de la filiale Groupe Entreprendre) d’un bloc de contrôle représentant 85,38% du capital, et 75,68% des droits de vote, auprès de Monsieur Robert Lafont, célèbre patron de presse et fondateur du groupe du même nom.

Le même jour, le nouvel actionnaire majoritaire annonce logiquement qu’il déposera « dans les prochaines semaines » auprès de l’AMF un projet d’offre publique d’achat simplifiée obligatoire portant sur le solde des actions non détenues, ainsi que ses modalités financières. Danae Group indique également au public que, quel que soit le résultat de l’offre, il n’a pas l’intention d’engager une procédure de retrait obligatoire, et qu’il souhaite donc maintenir la cotation des actions.

De manière tout aussi usuelle, il est rappelé qu’un expert indépendant sera désigné pour rendre son rapport sur les conditions de l’offre, et que le conseil d’administration de la cible devra rendre un avis motivé sur l’intérêt de l’offre, et sur ses conséquences pour la société, ses actionnaires et ses salariés.

Un procès-verbal de l’assemblée générale de la société Entreprendre en date du 28 juin 2024 annoncera plus tard la désignation effective de l’expert indépendant, et rappellera l’imminence du dépôt d’une offre public d’achat obligatoire. La suite devient plus mystérieuse et moins banale. Un communiqué de presse publié le 29 octobre 2024, soit près de 6 mois après l’acquisition, annonce que les équipes des deux sociétés « travaillent actuellement sur le projet d’OPAS ».

Plus d’un an après le fait générateur de l’offre publique d’achat obligatoire, que l’acquéreur s’engageait pourtant à déposer volontairement, l’AMF annonce publiquement le 13 mai 2025 qu’elle a enjoint à Danae Group, qui en a été informée le 23 avril 2025, de déposer un projet d’offre publique d’achat visant les actions de la société Entreprendre, et ce dans un délai d’un mois, arrivant donc à échéance le 23 mai 2025.

Au moment où ces lignes sont écrites, l’échéance est dépassée, et pourtant toujours aucun projet d’OPA à l’horizon. Si la pratique de l’autorité de régulation a déjà connu quelques marques de rébellion dans le passé de la part d’initiateurs refusant de déposer une offre publique bien qu’obligatoire (affaire Billon en 2004 pour un exemple), elle s’est retrouvée ici confrontée à un cas inédit : celui de l’acquéreur qui annonce mais qui ne fait pas, et devant lequel elle se retrouve relativement désarmée. En effet, si l’AMF peut condamner les comportements, en prononçant des mesures de sanctions pécuniaires à l’encontre des auteurs d’un manquement à l’obligation de déposer une offre publique, son pouvoir directe de contrainte, de fait, est très limité en la matière.

Le principe de l’obligation de dépôt d’un projet d’OPA et ses sanctions

Le règlement général de l’AMF dispose en son article 234-2 que lorsqu'une personne physique ou morale, agissant seule ou de concert au sens de l'article L. 233-10 du code de commerce, vient à détenir plus du tiers des titres de capital ou plus du tiers des droits de vote d'une société, elle est tenue à son initiative d'en informer immédiatement l'AMF et de déposer un projet d'offre visant la totalité du capital et des titres donnant accès au capital ou aux droits de vote, et libellé à des conditions telles qu'il puisse être déclaré conforme par l'AMF.

Dans l’affaire Danae Group, s’agissant d’une prise de participation à hauteur de 85,38% du capital, la caractère obligatoire de l’offre publique d’achat à déposer immédiatement ne faisait aucun doute, et l’acquéreur s’engageait publiquement à l’effectuer.

A défaut d’avoir procédé au dépôt obligatoire d’une offre publique, la personne concernée s’expose à des sanctions, dont la plus connue est la privation automatique des droits de vote des actions qui excèdent le seuil de franchissement.  Le défaut de dépôt, en ce qu’il est de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs, et au bon fonctionnement des marchés, peut également être constitutif d’un manquement qui peut être sanctionné par la commission des sanctions. Enfin, il ne faut pas oublier que les actionnaires minoritaires qui considèrent avoir subi un préjudice à raison de l’inexécution de l’obligation de déposer un projet d’offre peuvent également introduire une action en responsabilité civile à l’encontre du contrevenant.

Le pouvoir d’injonction de l’AMF en matière d’OPA, ou l’autorité sans les moyens

L’arsenal disponible offre également des mesures de contraintes. En effet, pour vaincre la résistance des actionnaires récalcitrants, le code monétaire et financier prévoit (article L. 621-14, III) que le président de l’AMF peut demander en justice qu'il soit ordonné à la personne qui est responsable de la pratique relevée de se conformer aux règlements européens, aux dispositions législatives ou réglementaires, de mettre fin à l'irrégularité ou d'en supprimer les effets. Le juge saisi est alors libre d’assortir sa décision d’une contrainte financière, en condamnant la personne visée à une astreinte (voir affaire Billon en 2004 en matière d’OPA, et affaire Dynamic Treasure Group Limited en 2022 en matière de déclarations de franchissements de seuils).

L’AMF dispose également d’un pouvoir d’injonction propre qui est défini par l’article L. 621-14, II du code monétaire et financier, et qui s’applique schématiquement aux manquements aux obligations résultant des dispositions législatives et réglementaires ou des règles professionnelles qui visent à protéger les investisseurs contre les opérations d’initié, les manipulations de marché et la divulgation illicite d'informations privilégiées, ou à tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs, au bon fonctionnement des marchés. Son domaine d’application est donc très large, puisqu’il correspond globalement au pouvoir de sanction de l’AMF.

Ce pouvoir d’injonction directe de l’AMF est néanmoins entouré de garanties procédurales, car il est notamment exercé par le collège (et non par le président de l’AMF), et il suppose, avant sa mise en œuvre, que la personne visée ait été mise en mesure de présenter ses explications (ce qui est le cas dans l’affaire Danae Group, l’AMF rappelant que la société a été en mesure de faire part de ses observations). En revanche, le régulateur à la différence du juge, ne dispose pas de pouvoir d’astreinte, ce qui limite notablement son pouvoir coercitif, voire en vide toute substance.

C’est la raison pour laquelle, en 2020, l’AMF préconisait elle-même d’amender l’article L. 621-14 du code monétaire et financier afin qu’elle soit dotée elle-même d’un pouvoir d’astreinte en matière d’injonction administrative, lequel n’est possible qu’en cas d’injonction judiciaire demandée par l’AMF (1). Dans ce sens, une proposition de loi adoptée par le Sénat en janvier 2023 (et déposée à l’Assemblée nationale en juillet 2024) tendant à renforcer la protection des épargnants proposait de modifier les termes de l’article L. 621-14 en permettant au collège de l’AMF d’assortir son injonction d’une astreinte dont il fixerait le montant et la date d’effet.

L’usage de la mesure de l’injonction de l’AMF est relativement rare, et encore plus dans sa version administrative directe, ce qui rend la décision notable. Face à une violation largement consommée, on s’étonne que l’AMF n’ait pas préféré la saisine du juge pour contraindre Danae Group de manière plus efficace et exemplaire, ce qui laisse planer un autre (petit) mystère dans cette affaire.

(1) AMF, Communication sur l’activisme actionnarial, avril 2020.

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