Au-delà de l’art numérique : enjeux juridiques et fiscaux des NFTs pour créateurs et collectionneurs

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Axel Sabban (Revo Avocats) et Arnaud Touati (Hashtag Avocats)

Les NFTs, représentant une innovation clé dans le secteur numérique, attirent créateurs, collectionneurs et investisseurs mondiaux. Associés à des œuvres d'art numériques, ils redéfinissent la propriété et la valeur en ligne. Toutefois, leur nature unique et leur intégration à la blockchain soulèvent des défis juridiques et fiscaux complexes tant pour les juristes que pour les acteurs du marché des NFTs. Chronique juridique d'Arnaud Touati, avocat associé du cabinet Hashtag Avocats et Axel Sabban, avocat fiscaliste chez Revo Avocats.

À ce jour, il n’existe aucune définition légale ou officielle d’un NFT en droit français ou droit européen. Sur ce point, la doctrine est unanime quant au fait que juridiquement l’exercice de qualification du NFT est complexe, au regard de la multiplicité des usages et applications.

Le NFT est tout d’abord un jeton, c’est-à-dire un enregistrement d’un fichier numérique sur un registre distribué et décentralisé. Ensuite, le jeton est non fongible, c’est-à-dire que le fichier numérique est unique.

Dans le cadre de la qualification juridique des jetons non fongibles (NFT), il est essentiel de distinguer les NFT en tant qu'actifs numériques et ceux qui relèvent de la qualification des titres financiers.

En effet, un NFT peut être considéré comme un actif numérique lorsqu'il représente un droit de propriété ou d'usage sur un bien ou un service numérique. Cependant, tous les NFT ne correspondent pas nécessairement à cette définition au sens du code monétaire et financier et leur qualification juridique dépendra de leurs caractéristiques.

La nature hybride des NFTs rend ainsi bien compliqué l’application d’un régime unique et harmonisé.

NFT et droit de la propriété intellectuelle

Les NFTs, souvent associés à des œuvres d'art numériques, interagissent de manière significative avec la propriété intellectuelle. En droit français, toute œuvre de l'esprit, y compris numérique, bénéficie de la protection du droit d'auteur dès sa création. Toutefois, l'acquisition d'un NFT ne transfère pas automatiquement les droits d'auteur relatifs à l'œuvre concernée, la cession de ces droits par exemple est soumise à des règles spécifiques établies par le code de la propriété intellectuelle.

Lors de la vente d'un NFT, le créateur a la possibilité d'inclure ou non les droits d'auteur dans la transaction. Cette décision doit être explicitement mentionnée dans les termes du contrat de vente pour éviter toute ambiguïté sur l'étendue des droits cédés.

Par ailleurs, le NFT, en tant qu'instrument probatoire, facilite la preuve de la propriété. En effet, la blockchain, en facilitant la traçabilité entre un auteur et son œuvre, simplifie l'administration de la preuve en matière de droit d'auteur. Elle aide à établir de manière plus aisée la paternité ou la titularité des droits sur une œuvre.

Panorama des responsabilités des obligations et de la fiscalité des créateurs de NFT

Pour les vendeurs des NFTs, les revenus générés sont soumis à l'impôt. En France, une approche générale consiste à retenir que ces revenus peuvent être considérés comme relevant de la fiscalité des particuliers (PVAN), lorsqu'ils s'inscrivent dans la gestion d'un patrimoine privé. En revanche, si la vente devient une activité régulière (quasi professionnelle ou professionnelle), elle pourrait être requalifiée en bénéfices non commerciaux (BNC) ou en bénéfices industriels et commerciaux (BIC), entraînant une imposition différente. La distinction entre activité occasionnelle et habituelle est donc cruciale pour déterminer le régime fiscal applicable.

Dans le cas des créateurs de NFTs, cette distinction entre activité privée et (quasi) professionnelle est moins pertinente. En effet, pour ces créateurs, notamment lorsqu'ils agissent en tant que personnes physiques, il est généralement admis qu'ils exercent une gestion d'entreprise, incompatible avec la gestion d'un patrimoine privé, et relèvent ainsi du régime BNC, sauf dans des cas spécifiques où l'activité pourrait être reclassée en BIC. C’est donc la nature fiscale de l’activité des créateurs de NFT qui détermine l'application du régime BNC ou BIC, sans qu'il y ait nécessairement une notion d'intensité dans leur activité.

Les créateurs doivent également prendre en compte les implications fiscales des droits d'auteur liés à leurs œuvres numériques. Les revenus générés par la cession de droits d'auteur peuvent être soumis à un régime fiscal spécifique, différent de celui des ventes de NFTs.

La déclaration des revenus issus de la vente de NFTs peut être complexe, surtout si les transactions sont effectuées en cryptomonnaies. Les créateurs doivent tenir une comptabilité précise de leurs ventes et des prix de conversion en euros pour assurer une déclaration fiscale correcte. La volatilité des cryptomonnaies peut également affecter la valeur des revenus déclarés.

Enfin, il convient de noter que ces créateurs exerçant une activité de gestion d'entreprise (même occasionnellement), ils entrent par nature dans le champ d'application de la TVA. Sauf à se prévaloir d'un dispositif d'exonération sectorielle ou territoriale spécifique, il est donc nécessaire de collecter la TVA sur le montant des ventes réalisées ou des droits d’auteur perçus.

Panorama des enjeux des obligations fiscales des collectionneurs de NFT

Les collectionneurs de NFTs en France sont également confrontés à des problématiques fiscales lors de la revente de leurs tokens. Les plus-values réalisées sur la vente de NFTs peuvent être soumises à l'impôt. En effet, si ces transactions sont considérées comme des cessions d'actifs numériques, elles relèvent du régime fiscal des plus-values sur actifs numériques, avec une fiscalité à 30% (incluant l'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux). En revanche, si les transactions ne sont pas qualifiées d'actifs numériques, et sauf en présence d’une qualification fiscale spécifique (ex : objet d’art), elles relèvent alors de la fiscalité des plus-values sur biens meubles, avec un taux d'imposition pouvant atteindre 36,2%, incluant les prélèvements sociaux.

En France, les plus-values réalisées sur la vente de biens meubles sont exonérées d'impôt si le montant de la vente est inférieur à 5 000 euros. Cette règle pourrait s'appliquer aux NFTs si ceux-ci sont classés comme biens meubles. La qualification d’objet d’art emporte quant à elle l’application d’une taxe forfaitaire de 6%, calculée sur le prix de vente, sauf en cas d’option pour le régime de plus-value sur biens meubles.

Concernant l'échange de NFTs contre d'autres NFTs ou contre des cryptomonnaies, ces échanges sont générateurs de plus-values seulement s'ils ne sont pas qualifiables d’actifs numériques. La détermination de la base imposable dans de tels échanges peut être complexe, surtout en l'absence de conversion en monnaie fiduciaire. Les collectionneurs doivent donc tenir un registre précis de leurs acquisitions et ventes de NFTs pour une déclaration fiscale adéquate. Attention, comme toujours la volatilité des prix des NFTs et des cryptomonnaies utilisées pour les transactions exige une attention particulière pour évaluer correctement les gains ou pertes réalisés.

Litiges en émergence dans le monde des NFTs et leurs implications juridiques

Les litiges impliquant des NFTs commencent à mettre en lumière des défis juridiques complexes, notamment pour les créateurs, les collectionneurs et les investisseurs dans le secteur des sneakers de luxe. L'affaire opposant Nike à StockX l’illustre parfaitement. Dans ce litige, Nike reproche à StockX d'avoir porté atteinte à ses droits de propriété intellectuelle. En effet, StockX a lancé une série de NFTs représentant des modèles de chaussures Nike. Toutefois, même si cette affaire met en exergue la problématique de la contrefaçon dans le contexte numérique des NFTs, les principes juridiques fondamentaux relatifs à la protection de la propriété intellectuelle et à la lutte contre la contrefaçon restent évidemment applicables.

En réaction à l’émergence de litiges impliquant des NFTs, les autorités réglementaires et les législateurs du monde entier commencent à reconnaître la nécessité d'encadrer ce marché. Cette reconnaissance se traduit par des initiatives visant à clarifier la classification juridique des NFTs, à établir des normes pour la protection des droits d'auteur et à définir des cadres fiscaux appropriés. Les tendances actuelles montrent un mouvement vers une réglementation qui équilibre l'innovation technologique avec la protection des consommateurs et des créateurs.

Les changements législatifs et réglementaires auront un impact significatif sur le marché des NFTs. Une réglementation claire et équilibrée peut augmenter la confiance des investisseurs, stimuler la créativité et assurer une concurrence équitable, et à l’inverse, une réglementation trop restrictive pourrait freiner l'innovation et limite

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