Encourager les introductions en bourse de PME en ouvrant les droits de vote multiples

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Chronique juridique de Guillaume Dolidon, avocat au barreau de Paris.

Parmi les attributs fondamentaux de l’associé, on distingue classiquement les droits financiers, les droits patrimoniaux et les droits politiques. Le droit politique, c’est principalement le droit de participer aux décisions collectives, et d’exprimer un vote, avec le principe classique selon lequel une action donne une voix. Ce principe cependant n’est pas absolu, et la loi autorise notamment la création d’actions de préférence sans droit de vote, les actions à droit de vote double, et même les actions à droit de vote multiples, sauf pour les sociétés cotées.

Au début du 20ème siècle, les actions à votes multiples, qu’on désignait plus souvent d’actions à vote plural, avaient été créées au départ pour garantir les fondateurs de sociétés contre un renversement de majorité obtenu par un achat spéculatif de titres en bourse, puis après la guerre de 1914, pour défendre les sociétés contre des prises de contrôle étrangères. Cette possibilité avait été supprimée en 1933 à la suite de vives critiques, au point même qu’on parlait de « fascisme actionnaire », certaines sociétés octroyant plus de cent voix par action (1).

Le sujet des droits de vote multiples revient régulièrement, dans un contexte où il s’agit tout à la fois de renforcer l’attractivité des places financières comme la France, et aussi de faciliter le financement des entreprises, notamment des PME de croissance ou innovantes, très gourmandes en fonds propres. On considère en effet que l’un des principaux problème qui dissuade les fondateurs et les groupes d’actionnaires familiaux de faire appel aux marchés boursiers est la crainte de perdre le contrôle de leur entreprise une fois qu’elle sera cotée.

La seule limite à la règle « une action-une voix » pour les sociétés cotées françaises est la possibilité d’attribuer des droits de vote doubles

Dans les sociétés par actions, le droit de vote est attaché aux actions, et en principe, un actionnaire a autant de voix que d’actions. Ce principe impératif est rappelé par l’article L. 225-122 I du code de commerce qui dispose que « le droit de vote attaché aux actions de capital ou de jouissance est proportionnel à la quotité de capital qu’elles représentent et chaque action donne droit à une voix au moins ».

Par dérogation à ce principe, les statuts peuvent autoriser l’attribution d’un droit de vote double aux actions entièrement libérées et inscrites au nominatif depuis plus de deux (2) ans. (Art. L. 225-123 du code de commerce et L. 22-10-46 du même code). Depuis la loi dite Florange, le droit de vote double est même de droit dans les sociétés dont les actions sont admises sur un marché réglementé, sauf si les statuts en disposent autrement.

A l’occasion de la loi Pacte du 22 mai 2019, le législateur a ouvert une autre dérogation, en permettant la création d’actions de préférence à droits de votes multiples, mais sauf pour les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation (Art. L.228-11 alinéa 1 du code de commerce).

Une mesure de protection pour les fondateurs, facteur d’attractivité indéniable pour les places financières

Le sujet est revenu à l’actualité en France en septembre 2022, lorsque le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP) a rendu un rapport sur l’opportunité de permettre aux sociétés cotées de créer des droits de vote multiples, et concluant de manière positive en proposant d’ouvrir cette faculté aux sociétés au moment de leur introduction en bourse pour maintenir l’attractivité de la place financière de Paris.

Dans son rapport, le HCJP proposait en synthèse :

  • D’exclure du champ d’application du nouveau dispositif les sociétés « déjà » cotées ;
  • De conditionner l’attribution de ces droits aux actionnaires qui exercent une fonction de direction exécutive et à la détention en continu d’une quotité minimum du capital social (20%) ;
  • De soumettre la création des droits de vote multiples au travers les actions de préférence (avec intervention du commissaire aux avantages particuliers, et interdiction pour le bénéficiaire de prendre part au vote) ;
  • D’offrir aux statuts la liberté de prévoir le nombre de droits de vote multiples, leur durée et les résolutions d’assemblées générales sur lesquelles les droits de vote multiples peuvent s’exercer (à l’exception des résolutions du Say on Pay, de la procédure des conventions réglementées et la désignation du commissaire aux comptes).

Suivant la même position que le HCJP, le Conseil de l’Union Européenne a publié à la fin de l’année 2022 une proposition de directive qui s’inscrit dans le « Listing Act Package » sur les structures avec actions à votes multiples dans les entreprises qui demandent l'admission à la négociation de leurs actions sur un marché de croissance des PME.

Si les risques d’abus existent, comme celui de la crainte de voir dissociés le pouvoir et la responsabilité, les exemples nord-américains, ou plus proche, celui des Pays-Bas, montrent que les dispositifs permettant aux sociétés cotées d’octroyer des droits de vote multiples offrent une attractivité indéniable pour les entreprises, notamment les plus jeunes ou à forte croissance, en ce qu’elles offrent une protection indéniable contre les prises de contrôles hostiles, ou même les initiatives des fonds activistes, permettant ainsi de privilégier les stratégies sur le long terme.

(1) Traité de droit commercial, G. Ripert, R. Roblot, par M. Germain, Tome 1, 16ème édition, p. 854.

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