Faut-il instaurer un permis d’investir comparable au permis de conduire ?

  • Publication publiée :21 novembre 2023
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Les résultats de l’étude récente de l’OCDE sur les nouveaux épargnants sont très intéressants. La motivation et le comportement de ces nouveaux investisseurs interrogent sur la pertinence du cadre législatif issu de MIF 2. Surtout, ils mettent en exergue la nécessité de donner une nouvelle impulsion à l’éducation financière et aussi peut-être de créer un permis d’investir. Chronique juridique de Laurent Degabriel, Chief Strategy Officer de Neuroprofiler.

L’OCDE vient de publier (Novembre 2023) une étude intéressante sur les nouveaux investisseurs particuliers en France. Ce rapport, qui se fonde également sur les travaux de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers), étudie les personnes qui ont investi pour la première fois depuis la pandémie de Covid-19, soit près de 800 000 personnes.

Des investisseurs jeunes

Ces nouveaux investisseurs sont principalement des hommes (64%) et disposent de revenus et d’un patrimoine, supérieurs à la moyenne des Français. Ils vivent dans des centres urbains. Surtout, ils sont jeunes car plus de la moitié de ces nouveaux investisseurs a moins de 35 ans (contre 20% des investisseurs traditionnels). Les 18-24 ans représentent même 22% de ces investisseurs contre 6% des investisseurs traditionnels.

Les trois quarts de ces investisseurs détiennent plus d’un produit financier. La nature de ces investissements se révèle sensiblement différente de celles des autres investisseurs avec une très forte présence des crypto-actifs (54%) qui sont parfois leur seul investissement. Les jetons non fongibles sont aussi beaucoup plus présents (13% contre 7% pour les investisseurs traditionnels). A l’inverse, les investissements plus traditionnels tels que l’assurance-vie ou les actions cotées sont moins fréquents (respectivement 33% contre 47% et 24% contre 36%) que chez les autres investisseurs.

De nouveaux modes d’investissement

Ces nouveaux investisseurs ont effectué leurs transactions via des moyens numériques et sont grands utilisateurs de ce que l’AMF appelle les néo-courtiers au détriment des banques traditionnelles.

Même si une présence aussi forte de crypto-actifs peut poser question, les éléments révélés par l’étude sont plutôt positifs. Voir arriver de nouveaux investisseurs avec des profils de risque plus agressifs se révèle être plutôt une bonne chose pour un pays qui cherche, comme le continent auquel il appartient, à développer ses marchés financiers.

Les résultats de reste de l’étude sont en revanche un peu plus préoccupants , surtout lorsqu’on les regarde dans le cadre de la réglementation sur la protection des investisseurs particuliers, MIF 2.

MiF 2, à travers ces différentes composantes directives et réglementations auxquelles il faut ajouter les lignes directrices de l’ESMA, a fortement renforcé les règles de commercialisation des produits financiers. La vérification du caractère adapté du placement financier au besoin de l’épargnant a été rendue beaucoup plus rigoureuse. Les dernières évolutions réglementaires ont même étendu ces obligations aux préférences en matière de finance durable.

Ce cadre réglementaire est-il adapté aux motivations des nouveaux investisseurs ?

En effet, certains de ces derniers ont bien commencé à investir parce qu’ils s’intéressent à la finance durable. Mais pour près d'un tiers d’entre eux, c’est la curiosité, le plaisir ou le jeu qui les ont conduits à investir, notions qui entrent assez peu dans le cadre de MIF 2.

Un faible niveau de culture financière

Les nouveaux investisseurs affichent un niveau de connaissance financière relativement faible. Près de la moitié d’entre eux ont du mal à comprendre les notions de diversification, ou d’incidence de l’inflation sur l’épargne. De la même façon, seul 42% d’entre eux n’intègrent la notion que le rendement passé d’un investissement ne reflète pas forcément son rendement futur.

MIF 2 n’a pas permis et n’avait d’ailleurs pas pour objectif d’adresser le sujet de l’éducation financière. Le manque de culture financière non seulement de la population en général mais aussi des personnes qui s’intéressent aux investissements financiers reste donc entier. On a du mal à voir comment les initiatives actuelles des pouvoirs publics pourraient changer cela et surtout suffisamment rapidement pour faire comprendre aux nouveaux investisseurs que l’investissement n’est pas un jeu. Les projets autour de la nouvelle Retail Investment Strategy (RIS) de la Commission Européenne accordent peu d’importance à l’éducation financière.

Devant ce constat maintes fois répété, ne serait-il pas temps d’obliger les établissements financiers à prendre en charge une partie de l’effort que représente l’éducation financière ?

Un nouvel élan et de nouvelles techniques pour l’éducation financière

Dans ce domaine, ne faudrait-il pas aussi sortir des sentiers battus et utiliser les recettes du numérique qui semblent si bien réussir aux néo courtiers qui captent une part croissante des investissements. De plus, une très grande majorité de ces nouveaux investisseurs a déclaré jouer à des jeux vidéo en ligne. La gamification peut et doit être utilisée pour l’éducation financière. Les nouveaux investisseurs sont en forte demande d’informations ludiques et interactives. Il faut en profiter !

Ces techniques sont simples à mettre en place mais leur coût semble dépasser les moyens des autorités en charge de l’éducation financière. D’où la nécessité que l’industrie financière participe activement à cette démarche.

Plus de 5 ans après la mise en application de MIF, n’est-il pas aussi temps de passer à la vitesse supérieure en matière d’évaluation des préférences de l’épargnant ?

On pourrait tout d’abord faire passer le profilage de l’investisseur, avec la détermination de sa tolérance au risque et de ses objectifs, de son stade administratif et bureaucratique actuel à celui du numérique et des sciences cognitives.

On pourrait ensuite considérer que le profil issu de ce processus numérique soit la propriété de l’investisseur et non de la banque auprès de laquelle il a accompli la démarche. Cela permettrait d’éviter à ce dernier de répéter l’exercice de profilage dés qu’il change d’établissement financier. Il aurait ainsi une sorte de « permis d’investir » qui lui permettrait de mieux « conduire » dans les marchés financiers.

Enfin et surtout, ce permis d’investir pourrait aussi inciter les nouveaux investisseurs à respecter quelques règles fondamentales dans le choix de leurs investissements afin d’éviter de trop grandes déceptions sur la performance de ces mêmes investissements.

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