Fiscalité des cryptoactifs : des précisions vagues mais favorables aux particuliers sur le trading non-professionnel

  • Publication publiée :3 octobre 2023
  • Post category:Avis d'expert
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Chronique juridique de Stéphanie Hamis et Baptiste Courtois, associée et collaborateur au sein du cabinet Arsene.

Après le législateur, l’administration fiscale tente d’apporter des éclairages sur le régime fiscal des crypto-monnaies. A la suite de l’entrée en vigueur des nouvelles règles depuis le 1er janvier 2023, un particulier peut désormais voir ses revenus tirés de ses investissements dans les cryptoactifs, qualifiés de bénéfices non commerciaux (« BNC »), s’il exerce ses investissements dans des conditions similaires à celles d’un professionnel. Les conséquences fiscales s’avèrent ainsi bien plus lourdes en comparaison avec une imposition au titre des plus-values des particuliers, auxquelles sont par principe soumis les gains réalisés par des particuliers non-professionnels sur des cryptoactifs.

Les nouveaux commentaires de l’administration apportent peu de précisions mais se révèlent plutôt favorables aux contribuables, dans la mesure où le champ de cette règle semble particulièrement restreint. 

Rappel des règles applicables aux particuliers

Au même titre que le Luxembourg, la Suisse ou le Royaume-Uni, la France considère les monnaies virtuelles comme des actifs incorporels. Leur régime fiscal relève ainsi de celui prévu en matière de plus-values de cession des particuliers. 

Les gains sont réputés réalisés lors de la conversion ou de la cession des cryptoactifs dans une monnaie ayant cours légal. Les opérations d’échange d’actifs numériques qui ne donnent pas lieu à la perception de liquidités sont considérés comme neutres et ne sont pas génératrices d’impôt.

Ainsi, les personnes physiques réalisant des plus-values, directement ou par l’intermédiaire d’une société de portefeuille, sont soumises au prélèvement forfaitaire unique de 12,8% (le « PFU » ou « flax tax ») ainsi qu’aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine au taux de 17,2%. Sur option, ces gains peuvent être soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu.

Depuis 2023, les gains réalisés par des particuliers dans des conditions analogues à celles des professionnels ne sont plus considérés comme relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (« BIC ») mais de celle des bénéfices non commerciaux (« BNC »). Le législateur a ainsi ajouté un paragraphe dans le texte de loi, précisant que sont considérés comme des BNC « Les produits des opérations d'achat, de vente et d'échange d'actifs numériques effectuées dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d'opérations ». Autrement dit, un particulier agissant comme un professionnel peut voir ses revenus tirés de ses investissements dans des cryptoactifs, être requalifiés en BNC et non plus relever du régime des plus-values des particuliers. La fiscalité y afférente s’avère tout à coup moins attrayante. Les gains sont soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu, dont le taux marginal s’élève à 45%, auquel s’ajoutent les cotisations sociales professionnelles (maladie, vieillesse, famille, la CSG/CRDS sur les revenus d’activité).

Les conséquences d’une telle requalification pouvant s’avérer significatives et la frontière entre activité occasionnelle et professionnelle n’étant pas clairement établie par le texte de loi l’administration est venue préciser l’étendue de ce paragraphe dans des commentaires publiés le 28 juin 2023.

Des précisions de l’administration fiscale favorables aux contribuables

L’administration rappelle que les revenus tirés d’une activité de cryptotrading exercée par un particulier dans les mêmes conditions qu’un professionnel, sont imposables en tant que BNC. Il est important de rappeler que ces règles ne s’appliquent que si le contribuable n’est pas un professionnel du cryptotrading. Dans cette dernière hypothèse, ses revenus relèvent de la catégorie des BIC.

Ainsi, l’activité de trading doit être exercée dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité professionnelle pour relever des BNC. L’appréciation doit être faite lorsque des produits sont dégagés lors (i) des opérations d’achats, (ii) de vente et (iii) d’échanges d’actifs numériques, au moyen d’un faisceau d’indices.

La convergence des différents éléments ci-dessous peut conduire à constituer ce faisceau d’indices :

  • La détention, la maîtrise et l’usage d’informations et de techniques d’intervention spécialisée par le contribuable. Autrement dit, le contribuable doit détenir de véritables compétences dans ce domaine.
  • La recherche organisée de ces informations et techniques au profit d’opérations d’achat, de vente et d'échange d'actifs numériques nombreuses et sophistiquées. Une certaine récurrence de l’activité semble ainsi nécessaire. 

Le contribuable doit être particulièrement au fait du marché. Il doit être réputé déployer un véritable savoir-faire, pouvant être caractérisé par les éléments suivants :

  • L'importance des moyens matériels et informatiques utilisés par ce dernier ;
  • Les techniques d'investissement et d'achat-revente ;
  • Les compétences et la formation professionnelles du contribuable.

L’administration précise que la qualification en BNC de revenus tirés de ces opérations ne s'applique qu'à des cas exceptionnels.  Bien entendu, cela suppose que l’activité de cryptotrading ne soit pas officiellement exercée à titre professionnel par le contribuable. Il s’agit donc de qualifier une activité annexe à celle(s) du contribuable, mais qui, par sa récurrence, les connaissances techniques et les moyens mis en œuvre par ce dernier, pourrait laisser penser qu’il agit comme un professionnel. Dans de telles circonstances, peu de contribuables devraient être redressés sur ce fondement, si ce ne sont ceux disposant de compétences et de moyens bien supérieurs à la moyenne et générant des produits réguliers au travers de cette activité. Par ailleurs, aucune précision ne semble être donnée par la loi ou les commentaires sur la prise en compte d’éventuelles pertes sur de telles opérations.

Dans un domaine voisin, les juges français se sont plusieurs fois prononcés sur le traitement fiscal des gains réalisés par les joueurs de poker non-professionnels. Le Conseil d’Etat a notamment considéré que de tels gains pouvaient être regardés comme des BNC alors même que le contribuable exerçait cette activité à titre non-professionnel. Ces gains ont pu être qualifiés de BNC dans la mesure où le contribuable (i) s’adonnait habituellement à cette activité, (ii) était en mesure de maîtriser de façon significative l’aléa inhérent à ce jeu, (iii) par ses qualités et le savoir-faire qu’il avait développé et (iv) que l’activité lui procurait des revenus significatifs.

Bien que ces critères semblent aujourd’hui difficiles à contrôler pour l’administration, les avancées au niveau international et européen, notamment au regard de la transparence, devraient faciliter son action dans un futur proche.

Des obligations déclaratives qui s’intensifient

Les cryptoactifs restent toujours dans le viseur du G20 qui a mandaté l’OCDE pour améliorer les processus d’échanges d’informations entre les administrations des différents pays. Fin 2022, l’OCDE a publié un nouveau Cadre déclaratif applicable aux cryptoactifs (« CARF »), visant à faciliter les échanges d’informations entre les administrations fiscales. Il garantira la transparence des transactions employant des cryptoactifs, grâce à un échange automatique d’informations avec les juridictions de résidence des contribuables sur une base annuelle. Des règles modèles devraient être transposées par les différents Etats dont la France.

Au niveau européen, l’Union Européenne a, quant à elle, publié en juin 2023 le règlement Markets in Crypto-Asset (« MiCA »), visant à définir un cadre réglementaire harmonisé pour le marché des cryptoactifs dans le marché européen. Ce règlement, applicable à compter de 2024, est destiné à protéger les investisseurs en responsabilisant les plateformes face à la perte des cryptoactifs. 

Un cadre déclaratif, obligeant les prestataires de services de cryptoactifs à déclarer les transactions effectuées par les clients résidents de l’Union Européenne a également été introduit dans le projet de directive DAC8. En application de ces règles, les fournisseurs de services de cryptoactifs seraient tenus à une obligation annuelle sur les transactions ainsi qu’à la transmission de certaines informations aux autorités compétentes des autres Etats membres.

Conscientes des difficultés posées par ces nouveaux actifs, les institutions étatiques et internationales s’activent pour harmoniser les règles applicables, et favoriser la transparence et l’échange d’informations en la matière. Nul doute que le flou entourant les cryptoactifs sera progressivement levé dans les années à venir.

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