Le législateur tente de clarifier le périmètre du régime fiscal des investisseurs privés et celui des professionnels du crypto-trading. La charge fiscale de l’un ou l’autre des statuts étant sensiblement différente, les nouvelles précisions apportées au caractère professionnel du crypto-trading devraient permettre de rassurer bon nombre d’investisseurs particuliers. Toutefois, l’éclaircie pourrait être de courte durée face à l’ingéniosité des acteurs de la blockchain qui créent sans cesse de nouveaux produits toujours plus innovants facilitant les transactions. Chronique juridique de Stéphanie Hamis, associée et Charline Pham, collaboratrice du cabinet d'avocats Arsene.
I/ La naissance de la fiscalité des actifs numériques
De manière surprenante, l’administration fiscale a intégré relativement tôt ces nouveaux actifs dans l’assiette de certains impôts. Ainsi, dès 2014, les comptes d’actifs numériques intégraient la base taxable des droits de succession et de donation.
Après quelques hésitations sur la qualification fiscale des revenus issus des cryptoactifs (plus-values de cession de biens meubles, revenus de capitaux mobiliers, bénéfices industriels et commerciaux), la définition des actifs numériques par la loi Pacte en 2018 a permis de faire émerger un régime fiscal dédié aux revenus issus de la cession de monnaies virtuelles ou de jetons numériques (i.e., utility tokens).
Néanmoins, ce régime sui generis inauguré en 2019 ne concerne que les gains réalisés à titre occasionnel par les particuliers.
La multiplication des transactions depuis les smartphones était donc susceptible de faire basculer le vendeur de l’autre côté de la frontière et de le faire entrer dans le monde des professionnels impliquant l’application du barème progressif de l’impôt sur le revenu, Urssaf et autres cotisations. A compter de 2023, cette frontière entre l’investissement personnel et l’activité professionnelle devrait s’éclaircir. Le législateur a souhaité protéger les investisseurs personnes physiques en précisant les conditions dans lesquelles le crypto-trading doit être considéré comme exercé à titre professionnel.
II/ Les personnes physiques et l’investissement occasionnel
A l’inverse de certains pays, la France ne taxe pas les plus-values latentes. L’impôt n’est susceptible de devenir exigible qu’en cas de cession ou d’échange d’actifs numériques impliquant une contrepartie en monnaie ayant cours légal, le bénéfice d’un service ou encore la remise d’un bien identifiable. Afin de tenir compte des échanges de différentes crypto-monnaies, il a été précisé que les opérations d’échanges d’actifs numériques qui ne donnent pas lieu à la perception de liquidité demeurent considérées comme neutres.
Ainsi, l’échange de bitcoins (BTC) contre des Binance Coin (BNB) ne génère pas de plus-value imposable. A l’inverse la conversion en euros initiée sur une plateforme de trading constitue, elle, un fait générateur d’imposition.
Les gains constatés directement par les personnes physiques ou bien par l’intermédiaire d’une société de portefeuille soumise à l’impôt sur le revenu sont soumis à un taux forfaitaire de 12,8% et aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine au 17,2%.
Nouveauté : A compter des revenus générés en 2023, vous aurez la possibilité d’opter pour l’application du barème progressif de l’impôt sur le revenu. Cette option diffère de l’option globale qui s’applique aux dividendes, intérêts, plus-values et certains produits d’assurance-vie. Cette option est limitée aux plus-values sur crypto-actifs. Celle-ci ne devrait présenter qu’un intérêt lorsque le taux moyen d’imposition du foyer est inférieur à 12,8% (taux forfaitaire d’impôt sur le revenu).
Bien que le taux effectif d’imposition soit identique au prélèvement forfaitaire unique (« PFU »), il s’agit d’un régime distinct. Ces plus-values sur actifs numériques ne sont considérées ni comme des revenus de capitaux mobiliers (dividendes, intérêts, …) ni comme des plus-values sur valeurs mobilières (cession d’actions).
S’agissant de la détermination de la plus-value, la méthode retenue emprunte au système de la valeur liquidative du PEA. La plus-value attachée à chaque opération de cession doit être déterminée au niveau du portefeuille d’actifs numériques en fonction de prix d’acquisition et de la valeur globale des actifs. Le formulaire n°2086 « Déclaration des plus ou moins-values suite à des cessions d’actifs numériques » vous aidera à déterminer le montant de cette plus-value imposable.
Point d’attention : Un cédant ne peut détenir qu’un seul portefeuille d’actifs numériques. La notion de portefeuille diffère donc de celle de crypto wallets que vous pouvez détenir sur différentes plateformes de stockage (Binance, eToro, Coinbase,…). Il conviendrait donc de calculer une plus-value réalisée sur une plateforme en tenant compte de tous les wallets détenus sur le même site ou d’autres plateformes.
A la différence des cessions de valeurs mobilières, les éventuelles moins-values ne sont imputables que sur les plus-values d’actifs numériques réalisées au titre de la même année. Le report au titre des années suivantes n’est pas admis.
Si le prix de cession global de vos opérations est inférieur à 305 euros, vous bénéficierez d’une exonération. Toutefois, vous n’échapperez pas à l’obligation de déclaration des comptes d’actifs numériques que vous détenez à l’étranger. Ce formulaire est à souscrire en ligne en même temps que votre déclaration d’impôt sur le revenu.
III / Les nouveaux critères de l’investissement professionnel
Les gains issus d’opérations d’achat-revente d’actifs numériques présentant un caractère habituel étaient, jusqu’à maintenant, soumis à la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (« BIC »). Le résultat net a donc vocation à être soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu (45% au-delà d’un revenu net imposable supérieur à 160 336 euros) et aux cotisations sociales professionnelles (maladie, vieillesse, famille, la CSG/CRDS sur les revenus d’activité).
Au regard du nombre de transactions et des gains importants réalisés résultant de la nature volatile des marchés cryptos, beaucoup d’investisseurs se sont inquiétés de voir leurs revenus d’investissement requalifiés en revenus professionnels par l’administration fiscale.
La loi de finances pour 2022 est venue préciser les conditions dans lesquelles la frontière de l’investissement professionnel est susceptible d’être franchie et réaffecter les revenus à la catégorie des bénéfices non commerciaux (« BNC »). Ce passage de la catégorie des BIC aux BNC ne modifie pas les règles d’imposition.
A compter des gains réalisés en 2023, seront considérés comme des revenus professionnels « les gains issus d’opérations d’achat, de vente et d’échanges d’actifs numériques effectuées personnellement dans des conditions analogues à celle des professionnels ».
A titre d’exemple, le bénéfice de frais de transaction préférentiels octroyés par les plateformes de trading en contrepartie d’un engagement sur le volume de transactions ou encore l’utilisation d’outils professionnels ou de pratiques de trading élaborées pourront être considérés comme analogues aux conditions d’investissement des professionnels. Ces critères ont vocation à être précisés par décret.
Toutefois, ce critère de professionnalité est calqué sur le régime des opérations de bourse. En conséquence, il paraît envisageable de s’en inspirer. Ainsi, l’administration fiscale a pu préciser que « la détention, la maîtrise et l'usage d'informations et de techniques d'intervention spécialisées ainsi que leur recherche organisée au profit d'opérations boursières nombreuses et sophistiquées (couverture, report…) sont des critères essentiels ».
Au regard de cet éclairage, le trading sur instruments dérivés ayant pour sous-jacents des crypto-actifs devrait être considéré comme l’apanage des professionnels. Or ces instruments structurés se développent notamment via la titrisation de prêts de crypto-monnaies offrant des retours sur investissement encore intéressants même sur un marché en forte baisse. L’accès à ces nouveaux produits est par ailleurs extrêmement simple et mis en avant commercialement par les plateformes de trading.
L’autre grande question qui fait douter de l’adaptation de ces critères au monde de la crypto demeure l’utilisation des « bot ». Ces robots de crypto réalisent un trading automatisé généralement basé sur des algorithmes issus de l’analyse constante des marchés. Au regard des précisions apportées dans le cadre du régime des opérations de bourse, il devrait être considéré que dès lors que le bot n’intervient pas dans le cadre d’une gestion entièrement pilotée (réalisant lui-même les arbitrages) et qu’il se borne à faire des propositions d’investissement, l’investisseur est susceptible d’être considéré comme professionnel (imposé en BNC).
L’une des solutions alternatives pourrait être d’envisager de structurer l’activité de crypto-trading au travers d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés. Dans ce cas, l’ensemble des gains diminués des charges liées à l’activité seront soumis à environ 25%. Les bénéfices peuvent ainsi être distribués sous forme de dividendes soumis au PFU de 30% au profit du ou des actionnaires personnes physiques et ne sont en principe soumis à cotisations sociales. Bien que les régimes de faveur d’apport de titres permettant de ne pas être imposé immédiatement ne devraient à ce stade pas être applicables aux crypto-actifs, le régime de faveur de la mise en société d’entreprise individuelle devrait demeurer envisageable.