Précisions sur l’information délivrée au débiteur cédé par la société en charge du recouvrement de sa créance

  • Publication publiée :18 octobre 2022
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Chronique juridique de Xavier de Kergommeaux, avocat au Barreau de Paris, associé, Clément Vandevooghel, avocat au barreau de Paris, Counsel et Agathe Llorens, avocat au barreau de Paris, collaboratrice, chez Gide Loyrette Nouel A.A.R.P.I

Par un arrêt rendu le 15 juin 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation affirme que, si la société de gestion d'un fonds commun de titrisation peut assurer elle-même tout ou partie du recouvrement des créances cédées au fonds, sous réserve de la notification des débiteurs cédées, cette notification n'a cependant pas à être préalable aux poursuites et peut résulter de l'assignation délivrée aux débiteurs aux fins de recouvrement.

Une information concomitante suffisante

L'interprétation de l'article L.214-172 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1432 du 4 octobre 2017, est au cœur du litige opposant un fonds commun de titrisation, représenté par sa société de gestion, à un couple de débiteurs.

Cet article prévoit, qu'en principe, le recouvrement des créances transférées à un fond commun de titrisation continue d'être assuré par le cédant ou l'entité qui en était chargée avant leur transfert. Toutefois, il permet également que tout ou partie du recouvrement de ces créances peut être assuré directement par la société de gestion ou par toute autre entité qu'elle aurait désignée, sous réserve que chaque débiteur soit informé de ce changement.

Cette seconde hypothèse était concernée en l'espèce. En effet, un établissement de crédit, détenteur d'une créance résultant d'un prêt souscrit par un couple, a délivré à ce dernier un commandement de payer valant saisie immobilière, puis a par la suite cédé ladite créance à un fonds commun de titrisation. Poursuivant le recouvrement de la créance, la société de gestion, représentant le fonds, a assigné le couple de débiteurs à une audience d'orientation devant le juge de l'exécution.

Par une décision rendue le 19 mars 2020, la cour d'appel de Chambéry a déclaré irrecevable l'action de la société de gestion, faute de qualité pour agir, et l'a condamnée à payer au couple de débiteurs la somme de trois mille euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Si la cour d'appel ne remet pas en cause la cession au fonds commun de titrisation de la créance de l'établissement de crédit sur le couple, elle estime cependant que, comme la société de gestion ne démontre pas avoir informé les débiteurs préalablement à l'assignation, son action en recouvrement ne saurait donc être déclarée recevable.

La société de gestion, en tant que représentant légal du fonds, s'est donc pourvue en cassation, et soutient, qu'en exigeant une information des débiteurs préalable à l'assignation et en jugeant que l'assignation ne valait pas information des débiteurs, la cour d'appel aurait ainsi violé l'article L. 214-172 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1432 du 4 octobre 2017, applicable au jour de l'assignation. Elle estime en effet que cet article confère à la société de gestion, en tant que représentant légal du fonds, qualité légale pour assurer, y compris par la voie d'une action en justice, tout ou partie du recouvrement des créances transférées au fonds et indique que chaque débiteur est informé de ce changement « sans autre précision sur les modalités de cette information ».

La Cour de cassation fait droit à la demande de la société de gestion. Au visa de l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier, elle affirme qu' « il résulte de ce texte que la société de gestion d'un fonds commun de titrisation qui assure tout ou partie du recouvrement des créances cédées à ce fonds, doit en informer chaque débiteur, cette information pouvant résulter de l'assignation délivrée au débiteur aux fins de recouvrement ».

La Cour de cassation déclare ainsi que l'information du débiteur cédé n'a pas à être préalable à l'acte de recouvrement exercé par la société de gestion du fonds, et qu'une information concomitante à l'exercice du recouvrement est suffisante.

Une solution bienvenue

Cette solution est surprenante en ce qu'elle rompt avec la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, pourtant établie de longue date.

La Cour de cassation s'est notamment déjà prononcée sur l'interprétation de l'article L.214-46 du Code monétaire et financier, qui établissait les règles relatives au recouvrement des créances cédées avant la réforme opérée par l'ordonnance n°2013-676 du 25 juillet 2013. Assez similairement aux dispositions de l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier, cet article énonçait que tout ou partie du recouvrement pouvait « être confié à un établissement de crédit ou à la Caisse des dépôts et consignations, dès lors que le débiteur en [était] informé par lettre simple ». Dans une décision rendue le 21 janvier 2004, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait affirmé que, si ce texte n'imposait pas que l'information du débiteur soit postérieure à l'acte confiant le recouvrement des créances à l'établissement de crédit, il exigeait cependant que « le débiteur [ait] été informé de l'identité de celui-ci avant la mise en œuvre du recouvrement ». La cour énonçait donc de manière non équivoque que l'information du débiteur cédé devait nécessairement être faite préalablement à l'exercice de tout acte de recouvrement par l'établissement de crédit à qui le recouvrement des créances était confié.

Plus récemment, dans une décision rendue le 9 septembre 2020, la Cour de cassation a pu réaffirmer cette solution en énonçant que « s'il résultait des dispositions combinées des articles L. 214-46, L. 214-49-4 et L. 214-49-7 du code monétaire et financier […] que la société de gestion d'un fonds de titrisation n'avait pas qualité pour agir en recouvrement des créances qui avaient été cédées à celui-ci par bordereau, sauf si elle avait été désignée à cet effet et si le débiteur en avait été informé par lettre simple ». Ici encore la cour de cassation faisait de l'information préalable du débiteur cédé une condition nécessaire à l'exercice par la société de gestion de tout acte de recouvrement.

La Cour de cassation allait même jusqu'à préciser que la sanction attachée à l'absence d'information préalable du débiteur cédé était celle de l'absence de qualité, pour la société de gestion, à agir en paiement des créances cédées.

Ainsi, au regard de la jurisprudence antérieure, cette nouvelle solution proposée par la Cour de cassation peut surprendre. Ce revirement ne peut trouver une explication uniquement de la rédaction de l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier issue de l'ordonnance du 4 octobre 2017. Si l'ordonnance reconnait la possibilité pour la société de gestion de prendre en charge le recouvrement des créances cédées et laisse libre le choix du support de cette information, elle ne vient pas pour autant autoriser la concomitance de l'information et de l'acte de recouvrement.

L'explication se trouve peut-être dans la récente évolution de la rédaction de l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier, issue de la loi PACTE, ayant ajouté que l’information devant être adressée au débiteur peut l’être « par tout moyen, y compris par acte judiciaire ou extra-judiciaire » et consacrant ainsi expressément la concomitance de la délivrance de l'information au débiteur et de l'exercice du recouvrement. Sans opérer un véritable revirement de jurisprudence, la Cour de cassation viendrait donc uniquement interpréter l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier à la lumière de cette nouvelle disposition.

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