Chronique juridique de Marie-Aude Noury, avocat au Barreau de Paris, associée, Squair A.A.R.P.I.
Les émetteurs sont confrontés à des obligations croissantes de publication d’informations extra-financières, pour répondre aux attentes des investisseurs et aux exigences réglementaires.
En particulier, la directive 2022/2464 du 14 décembre 2022 (CSRD) prescrit, selon un calendrier progressif annoncé, la publication d’informations en matière de durabilité (rapport de durabilité). Par ailleurs, certaines grandes entreprises doivent au titre de loi n°2017-399 du 27 mars 2017 - ainsi qu’à l’avenir les entreprises qui seront soumises au devoir de vigilance au titre de la directive 2024/1760 du 13 juin 2024 (CSDD)[1]- publier un plan de vigilance, incluant notamment les mesures d’identification et de prévention des risques concernant leur chaîne de valeur.
Des obligations de publication d’informations durables précises
La CSRD prévoit l’inclusion d’un rapport de durabilité au sein du rapport de gestion préparé chaque année par le conseil d’administration pour l’assemblée générale des actionnaires. Le rapport de gestion fait partie du rapport annuel, rendu public par les émetteurs au titre de la directive 2004/109/CE dite directive transparence. Le rapport de durabilité comprend des informations environnementales, de gouvernance et sociales particulièrement détaillées devant, sous le prisme de la double matérialité, répondre à un millier de points de données (data points) posés par les normes d’information en matière de durabilité (normes ESRS)[2], certaines informations étant obligatoires en toute hypothèse.
Conformément au Listing Act[3], les émetteurs devront inclure, ou incorporer par référence, leur rapport de durabilité dans le prospectus ou le document d’enregistrement universel.
Les émetteurs cotés sur le marché réglementé qui devaient établir une déclaration de performance extra-financière (DPEF) établiront un rapport de durabilité en 2025 au titre de l’exercice 2024. Ils sont mieux préparés du fait de leur expérience au titre de la DPEF à laquelle ils étaient jusqu’alors astreints. Cependant, la nouveauté de l’exercice vient du niveau de détail posé par la multitude des data points des normes ESRS, entre le niveau des informations à produire et les omissions qui ne doivent pas altérer la portée des informations.
Le Listing Act, par ailleurs, augmente les cas d’exemption de prospectus[4]. La communication des émetteurs qui décideraient de faire appel aux marchés dans ce nouveau cadre devra répondre aux exigences de qualité et d’exhaustivité.
Un défi de gouvernance
La qualité de l’information durable dépend de la mise en place d’un processus de collecte, de suivi et de vérification de l’information. Émanation du conseil d’administration, le comité d’audit (ou tout autre comité spécifique) est investi d’un rôle particulier quant à l’intégrité, le suivi et l’audit de l’information durable au même titre que l’information financière.
La CSRD et le devoir de vigilance placent le conseil d’administration au cœur d’une gouvernance revisitée, en tenant compte des parties prenantes comme l’invite déjà la loi Pacte. La mission du conseil d’administration est à la mesure des nouvelles obligations - et des nouvelles responsabilités - pour l’émetteur au titre de l’information durable communiquée et s’accompagne naturellement de l’exercice d’une vigilance raisonnable[5] par ses membres au regard des enjeux de durabilité et de l’information durable à produire. Le rapport annuel contient l’attestation par les personnes responsables de l’émetteur que le rapport a été établi conformément aux normes ESRS.
Le contentieux durable
De nouveaux contentieux ont récemment émergé au titre du devoir de vigilance de la loi française ainsi que de la soft law, notamment le say on climate. Ces contentieux sont à l’initiative d’une diversité d’acteurs, notamment des parties prenantes.
Des émetteurs ont été attraits en justice pour insuffisance de leur plan de vigilance. La Cour d’appel de Paris dans sa chambre 5-12 dédiée à ce contentieux a rendu trois arrêts le 18 juin 2024 précisant les conditions procédurales d’une telle action. Un jugement du tribunal judiciaire de Paris du 8 décembre 2023 rendu sur le fond a condamné pour la première fois une entreprise à remédier aux insuffisances de son plan de vigilance, cependant sans astreinte.
Au titre de la CSRD, toute personne pourra demander au juge d’enjoindre, sous astreinte, la production de l’information durable requise au titre de l’article L. 238-1 du Code de commerce. Le défaut de production du rapport de durabilité pourra également conduire à l’exclusion des marchés publics, et ce à partir du 1er janvier 2026, comme l’est le défaut d’élaboration d’un plan de vigilance lorsqu’on y est tenu.
L’information durable est susceptible également de générer de nouveaux risques de responsabilités pour les émetteurs et, le cas échéant, ses dirigeants sur des fondements classiques du droit des sociétés et des marchés financiers (qualité de l’information, prospectus etc.). L’information ne doit être ni fausse ni trompeuse. Toute information susceptible d’être qualifiée de privilégiée relève des dispositions du Règlement n°596/2014 sur les abus de marché. Une attention toute particulière sera dévolue aux estimations, objectifs et informations prospectives relatifs à la durabilité, à l’instar notamment des profit warnings.
[1] Marie-Aude Noury, « L’émergence d’un devoir de vigilance européen pour les entreprises », Finascope, 30 avril 2024
[2] Règlement délégué (UE) 2023/2772 de la Commission du 31 juillet 2023
[3] Adopté le 8 octobre 2024 et qui entrera en vigueur 20 jours après sa publication au JO de l’UE
[4] Marie-Aude Noury, « Le Listing Act : bientôt une réalité ? », Finascope, 8 août 2024
[5] Voir en particulier ESRS 1 et ESRS 2