De l’art délicat de l’information durable

You are currently viewing De l’art délicat de l’information durable

CSRD, SFDR, l'actualité récente de ces deux piliers du plan d'action pour la finance verte montre les difficultés d'une information durable pertinente, comparable et fiable. Chronique juridique de Marie-Aude Noury, avocat au Barreau de Paris, associée, Squair A.A.R.P.I.

L’ambition du plan d’action pour la finance durable de la Commission européenne afin de réorienter les flux de capitaux vers des investissements durables en vue d’une meilleure croissance s’articule autour de l’information durable. Transparence et comparabilité de l’information que doivent produire les entreprises, c’est l’ambition de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises.

Transparence de la prise en compte de la durabilité dans le processus d’investissement par les gestionnaires d’actifs et les investisseurs institutionnels, c’est l’objectif du règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) sur la publication d’information en matière de durabilité dans le secteur des services financiers. Ces deux corpus de réglementation font l’objet d’une actualité récente démontrant les difficultés d’une information durable pertinente, comparable et fiable.

Un reporting de durabilité sous le prisme de la matérialité

L’ambition de la directive CSRD est de promouvoir un reporting uniforme au sein de l’Union européenne, en raison des disparités observées, afin de permettre la comparabilité de données fiables. L’un des objectifs de la CSRD est en outre de procurer les données environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) qui sont nécessaires pour les acteurs des marchés financiers afin de répondre à leurs obligations de transparence au titre du règlement SFDR.

Dans ce cadre, l’EFRAG a proposé un premier jeu de normes générales de reporting de durabilité (European Sustainability Reporting Standards, ci-après les « normes ESRS »). Ces projets de normes ont fait l’objet de révisions et ont été adoptés dans leur version finale par la Commission européenne par acte délégué le 31 juillet 2023. Les normes ESRS entreront en vigueur une fois adoptées par le Parlement européen et seront d’application directe dans chacun des Etats membres. Au fil des débats, le visage du reporting de durabilité a changé, oscillant entre l’objectif d’uniformité et la complexité en pratique des exigences pour les entreprises. Les normes ESRS, telles qu’adoptées, placent le reporting sous le prisme de la matérialité.

Seules les informations ESG au titre des normes ESRS considérées par l’entreprise comme matérielles devront être publiées, à l’exception des normes générales ESR1 relatives aux exigences générales (General Requirements) et ESR2 relatives aux informations générales (General Disclosures) dont l’application est obligatoire.

Les informations sur le climat n’ont plus à être obligatoirement publiées mais seulement si elles sont considérées comme matérielles par l’entreprise. Cependant, l’entreprise devra publier une explication détaillée des conclusions de son évaluation l’ayant conduit à considérer que ces informations ne sont pas matérielles.

Pour les autres informations, elles sont à produire si l’entreprise considère qu’elles sont matérielles. Les entreprises peuvent expliquer les raisons pour lesquelles elles ont considéré l’information comme n’étant pas matérielle.

Si une entreprise conclut qu’une information résultant d’autres réglementations européennes en particulier le règlement SFDR n’est pas importante, elle doit explicitement indiquer que l’information n’est pas matérielle. Elle devra recenser dans un tableau les informations requises et mentionner où elles figurent dans le reporting de durabilité ou porter la mention « non matérielle », selon le cas.

L’appréciation de la matérialité par l’entreprise s’effectue selon le principe de double matérialité, c’est-à-dire que l’entreprise doit apprécier les risques et opportunités que les facteurs ESG ont pour l’entreprise (matérialité financière) mais aussi les risques et opportunités que présente l’entreprise pour la société et l’environnement (matérialité d’impact).

On pressent déjà l’importance de l’assurance conférée par l’audit du reporting de durabilité, et symétriquement, le rôle du comité d’audit en la matière. Dans ce travail d’appréciation, d’évaluation et, le cas échéant, de justification surgit avec force la question grandissante de la responsabilité de l’entreprise au titre de l’information durable.

Dans l’exercice d’évaluation de la matérialité, les entreprises auront besoin d’être guidées, et ce, afin d’assurer une interprétation cohérente. Un premier projet de guide pour l’évaluation de la matérialité a été publié par l’EFRAG à l’occasion de la réunion publique du 25 août 2023. Ce projet de guide, qui aura vocation à évoluer, aborde le principe et la méthodologie de la double matérialité ainsi que les liens avec les normes de reporting du GRI (Global Reporting Initiative) et de ISSB (International Sustainability Standards Board).

La version finale des normes ESRS prévoit également un échelonnement dans le temps des exigences sur certains sujets ou pour certaines entreprises.

Le règlement SFDR à l’heure de la révision

Deux ans après son entrée en vigueur, le règlement SFDR a soulevé de nombreuses difficultés d’application. Bon nombre résultent de l’imprécision de la notion d’investissement durable, qui malgré les appels à plus de clarification, relève selon la Commission européenne avant tout de la méthodologie employée par le gérant.

Les acteurs des marchés financiers doivent communiquer sur le caractère durable de leur investissement et la classification des fonds en fonds article 9 ou article 8 s’opère, sur une base déclarative, selon le niveau de durabilité.

Si la transparence en matière d’investissement durable est souhaitée, elle suscite de plus en plus les craintes de greenwashing, en l’absence de terminologie précise. Les autorités de contrôle dont le rôle initial était d’accompagner les acteurs dans l’application de la réglementation européenne en matière de finance durable sont désormais appelées à renforcer les contrôles sur les classifications opérées par les gestionnaires d’actifs.

C’est dans ce cadre que la Commission européenne a lancé une consultation publique le 13 septembre 2023 sur la révision du règlement SFDR, et en particulier au regard de la classification en fonds article 9 ou article 8 compte tenu des critiques qu’elle suscite au titre du greenwashing.

Il conviendra également que soit confirmée la manière dont les acteurs des marchés financiers prendront en compte l’absence de production d’information de la part des entreprises soumises à la CSDR pour cause de non-matérialité lorsque celles-ci leur sont nécessaires pour remplir leurs obligations d’information au titre du règlement SFDR.

La communication d’information durable révèle toute sa complexité par l’impératif d’homogénéité, de comparabilité et de fiabilité tout en s’inscrivant dans une nécessaire proportionnalité et progressivité des exigences pour les entreprises et les acteurs des marchés financiers. L’attention sera portée sur le sérieux de la méthodologie et des diligences effectuées pour délivrer l’information durable. C’est dans l’exercice de cet art délicat que s’inscrira le champ des responsabilités des entreprises et des acteurs des marchés financiers au titre de l’information durable.

Partager cet article