La Commission européenne refuse d’encadrer la définition SFDR de l’investissement durable

  • Publication publiée :17 août 2023
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Chronique juridique de Guillaume Dolidon, avocat au Barreau de Paris, Dolidon Partners

Le 14 avril, la Commission européenne a publié ses réponses aux questions soumises par les autorités européennes de surveillance s’agissant des difficultés d’interprétation de la réglementation SFDR en matière de classification des produits financiers, et aussi indirectement, aux critiques dont les autorités de régulations locales comme l’AMF ont pu récemment se faire l’écho.

On pourrait presque prendre pour ironique la déclaration de la Commission qui annonçait, le jour-même, par voie de communiqué, que sa contribution allait tout à la fois aider les professionnels de la finance à appliquer la réglementation, et clarifier l’interaction entre SFDR et le cadre plus global de la finance durable. A la lecture des réponses, l’impression est toute autre. En résumé, la Commission considère que la réglementation est parfaitement claire, et qu’il appartient aux professionnels de la finance de s’auto-réguler et d’auto-classifier les produits financiers, sous leur responsabilité.

Les complexités d’application de la réglementation SFDR

Entré en vigueur le 10 mars 2021, le règlement (UE) 2019/2088 du 27 novembre 2019 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur financier, dit « SFDR » ou règlement Disclosure impose aux acteurs des marchés financiers des obligations d’information portant sur le processus de décisions d’investissement et sur la fourniture de conseils, ainsi que sur les produits financiers soumis au règlement. En particulier, SFDR impose à tous les fonds de publier des informations sur la manière dont ils intègrent les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ainsi que l’impact possible de ces risques sur la valeur des investissements.

La philosophie affichée par SFDR est clairement de lutter contre le greenwashing en imposant aux acteurs des marchés financiers (ainsi qu’aux conseillers financiers et conseillers en assurance) qui revendiquent une approche durable de publier des informations pour permettre aux investisseurs d’effectuer leur propre analyse.

SFDR introduit ainsi une classification des produits financiers qui s’articule autour de trois catégories, selon le niveau d’ambition en matière environnementale et sociale :

Les produits financiers dits « article 9 » qui présentent un objectif d’investissement durable.

Les produits dits « article 8 » qui mettent en avant des caractéristiques durables en tenant compte des critères ESG dans le cadre du processus d’investissement, mais sans poursuivre un objectif d’investissement durable.

Les produits qui ne rentrent dans aucune des deux catégories précédentes, qui ne peuvent donc être présentés comme durables et qui constituent la catégorie dite « article 6 ».

Pour tous les produits financiers concernés, SFDR impose la publication d’informations au sein de la documentation précontractuelle (mandats, contrats, prospectus) notamment s’agissant de la manière dont les risques en matière de durabilité sont appréhendés dans les décisions d’investissement, mais aussi sur les incidences de ces risques sur le rendement des produits.

La catégorisation des fonds selon la classification SFDR est effectuée par les sociétés de gestion (SGP) sur une base déclarative. Initialement conçue comme un instrument de transparence, cette classification a cependant rapidement été utilisée par l’industrie de la gestion d’actifs comme un système de labélisation, ce qui n’a pas manqué d’être critiqué, comme une pratique de nature à développer l’écoblanchiment.

Il faut néanmoins reconnaître que la réglementation souffre clairement d’imprécisions, et qu’elle n’aide pas les SGP à l’appliquer. L’« investissement durable » est défini de manière conceptuelle et approximative comme un investissement dans une activité économique qui contribue à un objectif environnemental ou social, sans causer de préjudice significatif à d’autres objectifs environnementaux ou sociaux, et dans une entreprise qui applique de bonnes pratiques de gouvernance. Il n’existe par ailleurs aucun indicateur concret ou exigence minimale pour catégoriser et classifier les produits.

Les critiques de l’AMF

Dans une position publiée le 10 février 2023, l’AMF s’est montrée critique à l’égard de la mise en œuvre de SFDR en précisant notamment qu’elle pouvait engendrer dans les faits un écart important entre les attentes exprimées par les investisseurs et la réalité des pratiques, et même alimenter le greenwashing au détriment du financement d’une économie européenne plus durable.

Pour l’AMF, il était capital que la Commission introduise des critères minimaux qu’un produit financier devrait satisfaire pour être classé dans l’une ou l’autre des catégories visées par SFDR. Il était également nécessaire que la définition de la notion d’investissement durable soit clarifiée, et remplacée par une nouvelle définition bâtie sur des exigences objectives, et notamment correspondre à un alignement minimum avec la Taxonomie de l’Union Européenne qui définit les activités durables sur le plan environnemental.

La Commission opte clairement pour l’auto-régulation

Les réponses de la Commission aux autorités de surveillance et de régulation européennes comme locales ressemblent clairement à une fin de non-recevoir, et à choix assumé d’une politique, celle de l’auto-régulation, au risque de voir se multiplier des disparités dans la mise en œuvre de la réglementation.

En effet, selon la Commission, la définition de l'investissement durable énoncée à l'article 2, point (17), SFDR ne prescrit aucune approche spécifique pour déterminer la contribution d'un investissement à des objectifs environnementaux ou sociaux. Elle ajoute par ailleurs que SFDR ne fixe pas d’exigences minimales au sujet des paramètres à considérer pour définir un investissement durable.

Les acteurs des marchés financiers doivent donc procéder à leur propre évaluation pour chaque produit financier concerné et divulguer la méthodologie qu'ils auront appliquée pour réaliser leur évaluation des investissements durables, y compris la manière dont ils auront déterminé (i) la contribution des investissements aux objectifs environnementaux ou sociaux, (ii) comment les investissements ne causent pas de dommages significatifs à un objectif d'investissement environnemental ou social, et (iii) la manière dont les entreprises bénéficiaires des investissements satisfont à l'exigence de bonnes pratiques de gouvernance.

Selon la Commission elle-même, cette politique confère aux professionnels une responsabilité accrue à l’égard de la communauté des investisseurs, et ces derniers devront donc faire preuve de prudence lorsqu’ils vont mesurer les paramètres clés d’un investissement durable.

De manière presque contradictoire, la Commission européenne a néanmoins annoncé qu’elle entendait lancer début 2023 une évaluation exhaustive de SFDR, ainsi qu’une consultation publique, en se concentrant notamment sur la façon dont la réglementation garantissait la sécurité juridique des parties prenantes, sa facilité d’utilisation et son rôle dans la lutte contre le greenwashing. Dans l’intervalle, les professionnels sont donc mis seuls face à leurs responsabilités, au service des défis en matière environnementale et sociale.

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