Directives de l’Esma sur l’évaluation des préférences en matière d’investissement durable

  • Publication publiée :27 septembre 2022
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Tiphaine Saltini est fondatrice et directrice générale de Neuroprofiler.

Deux mois après l'entrée en application du règlement délégué sur l'évaluation des préférences de durabilité des investisseurs, l'Autorité européenne des marchés financiers (Esma) vient de publier ses lignes directrices, très attendues par les professionnels de l'investissement. Tiphaine Saltini, directrice générale de Neuroprofiler, les analyse dans cette nouvelle Chronique juridique de Finascope. 

L’obligation d’évaluer les préférences en matière d’investissement durable

En août dernier, l’évaluation des préférences des particuliers en matière de d’investissement durable est devenue obligatoire pour toutes les institutions financières européennes fournissant des services de conseil ou de gestion de portefeuille.

Cette nouvelle réglementation s’applique en vertu des directives DDA et MiFID (voir le règlement délégué correspondant).

Le régulateur définit la notion d’investissement durable comme un instrument financier qui s’aligne sur au moins un des trois critères ci-dessous :

a) un instrument financier qui est investi dans des investissements durables sur le plan environnemental, au sens de l’article 2, paragraphe 1, du règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil, dans une proportion minimale déterminée par le client ou le client potentiel ;

b) un instrument financier qui est investi dans des investissements durables au sens de l’article 2, paragraphe 17, du règlement (UE) 2019/2088 du Parlement européen et du Conseil, dans une proportion minimale déterminée par le client ou le client potentiel ;

c) un instrument financier qui traite les principaux impacts négatifs sur les facteurs de durabilité, les éléments qualitatifs ou quantitatifs qui le démontrent étant déterminés par le client ou le client potentiel.

La publication de guides d’orientation pour accompagner les institutions financières dans la complexe mise en oeuvre de la réglementation

Cette nouvelle directive soulève de nombreux enjeux d’implémentation.

En effet, l’offre ESG reste encore limitée, et peu alignée avec les exigences strictes de la taxonomie européenne. Les informations ESG sont encore peu disponibles. Enfin, la prise en considération des préférences à la fois financières et extra-financières des clients dans la recommandation de produits bouscule les processus traditionnels de conseil d’un point de vue à la fois humain et informatique.

Pour accompagner les institutions financières dans cette délicate mise en œuvre, les régulateurs européens Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) et European Insurance and Occupational Pensions Authority (EIOPA) ont publié des guides d’orientation pour le secteur bancaire (23 septembre) et de l’assurance (20 juillet).

Les lignes directrices sont complétées par un rapport sur les retours des différentes parties à la consultation publique sur le projet de lignes directrices sur l’intégration des préférences client en matière de durabilité.

Nous résumons ci-dessous les principales lignes directrices de ces deux guides d’orientation.

Guides d’orientation de l’ESMA et de l’EIOPA sur l’évaluation des préférences en matière de durabilité

Reconnaissance de la difficulté de mise en oeuvre de cette nouvelle réglementation

Les guides d’orientations reconnaissent tout d’abord que la mise en œuvre de la nouvelle réglementation ESG est délicate étant donné les différentes échéances des autres réglementations et le manque de données ESG.

Néanmoins, ces dernières ne donnent pas pour autant beaucoup plus de flexibilité aux institutions financières, qui devront faire leurs “meilleurs efforts” pour mettre en œuvre la directive à moyen terme.

Plus de pédagogie

Par ailleurs, les orientations sont beaucoup plus claires que dans leur première version.

Celles de l’EIOPA sont notamment illustrées par des tableaux et des graphiques. Les termes et les formulations sont moins ambigus et plus pragmatiques. C’est notamment le cas pour les définitions des points a, b et c.

EU Taxonomie: est un système de classification qui établit une liste d’activités économiques environnementalement durables. La Taxonomie ne fixe pas de liste d’activités économiques socialement durables. Les investissements durables ayant un objectif environnemental peuvent être alignés ou non sur la Taxonomie.

Investissement durable : un investissement dans une activité économique qui contribue à un objectif environnemental ou social, à condition que l’investissement ne nuise pas de manière significative à un autre objectif environnemental ou social et que les entreprises bénéficiaires de l’investissement suivent des pratiques de bonne gouvernance.

Principales incidences négatives : il s’agit des incidences négatives importantes sur les facteurs de durabilité liés aux questions environnementales et sociales (employés, respect des droits de l’homme, lutte contre la corruption…).

Plus de flexibilité sur les délais d’implémentation

Reconnaissant les divers enjeux autour de l’implémentation de ces nouvelles réglementations, l’ESMA, dans sa publication du 23 septembre, repousse la date d’application de son guide d’orientation de 6 mois à compter de la date de publication de ses versions traduites, période initialement fixée à 2 mois.

Par ailleurs, l’ESMA conseille aux institutions financières de collecter “activement” les préférences ESG de tous leurs clients dans un délai de 12 mois après l'entrée en application de la directive.

Plus d’éducation financière pour les clients

Par ailleurs, l’ESMA souligne l’importance de l’éducation financière pour les conseillers et les particuliers sur ces sujets nouveaux de l’investissement durable, mais aussi sur les mécanismes des produits financiers de manière plus large.

Elle mentionne que le sujet sera prioritaire ces prochaines années.

Plus de flexibilité sur le positionnement du questionnaire sur les préférences en matière d’investissement durable

Dans le premier projet de lignes directrices de l’ESMA et de l’EIOPA, il était recommandé de placer la section relative à l’évaluation des préférences en matière de durabilité à la fin des questionnaires d’adéquation. Les nouvelles orientations donnent plus de flexibilité.

Aux fins de l’évaluation de l’adéquation, il est important que les assureurs et les intermédiaires d’assurance obtiennent des informations sur les préférences en matière de durabilité au cours de la collecte d’informations sur les objectifs d’investissement ; ces informations peuvent être recueillies en tant que dernier élément de la collecte d’informations sur les objectifs d’investissement. Toutefois, dans ce dernier cas, cela ne devrait pas empêcher le client, de sa propre initiative, d’évoquer ses préférences en matière de durabilité dans une partie antérieure de la collecte d’informations.

Orientations sur l’intégration des préférences en matière de durabilité dans l’évaluation de l’adéquation en vertu de la directive sur la distribution d’assurances (DDA), Juillet 2022.

Plus de flexibilité sur la collecte des principales incidences négatives

Dans le guide d’orientation de l’EIOPA, une catégorisation des principales incidences négatives est clairement suggérée : environnement, questions relatives aux employés, respect des droits de l’homme, questions relatives à la lutte contre la corruption et à l’anti-corruption.

Ce n’était pas le cas dans le premier projet de lignes directrices de l’ESMA/EIOPA.

Néanmoins, l’ESMA précise que ce type de liste est juste un suggestion et que les institutions financières sont libres d’en définir d’autres.

Par ailleurs, les directives EIOPA et ESMA étaient contradictoires sur la nécessité de collecter des informations sur les PAI que le client souhaite prendre en considération de manière quantitative ET (EIOPA) ou OU (ESMA) qualitative.

Le guide d’orientation de l’ESMA clarifie ce point en donnant la flexibilité de capture ces PAI de manière quantitative ou qualitative.

Processus lorsque le client a des préférences ESG, mais ne souhaite pas donner plus de détails

Les orientations EIOPA donnent également plus de détails sur la situation où les clients déclarent avoir des préférences ESG, mais ne sont pas disposés à donner plus de détails sur leur appétence pour a, b ou c.

Cette situation peut être assez courante car les clients peuvent être réticents à répondre à un long questionnaire évaluant leurs préférences ESG en utilisant des termes techniques tels que taxonomie, PAI, SFDR… après un questionnaire d’adéquation qui est déjà assez long et laborieux.

Dans ce cas, selon le guide de l’EIOPA, l’institution financière doit poser des questions supplémentaires au client pour vérifier qu’il n’a vraiment aucune préférence spécifique concernant les points a), b) ou c).

Si le client maintient sa position, l’institution financière peut toujours recommander un PAI dont les caractéristiques de durabilité correspondent le mieux possible aux préférences du client, en tenant compte des préférences en matière de durabilité telles qu’exprimées par le client dans des termes généraux.

L’ESMA reste plus flou sur le sujet, suggérant uniquement de prévoir un processus pour ce type de situation.

Processus lorsqu’aucun produit ne correspond aux préférences du client en matière de durabilité

Compte tenu des défis mentionnés précédemment, il est très fréquent qu’aucun produit ne corresponde exactement aux préférences du client en matière de durabilité.

Ce sera particulièrement le cas en ce qui concerne l’alignement sur la taxonomie, où de nombreux clients peuvent souhaiter un alignement élevé sur la taxonomie, alors que les produits actuellement disponibles sur le marché ont souvent un alignement maximum de 20%.

Auparavant, les directives demandaient aux institutions financières de faire passer le questionnaire aux clients pour adapter leurs préférences en matière de durabilité. Étant donné le nombre très élevé de combinaisons possibles de a, b et c, cela aurait impliqué de répondre aux questionnaires un grand nombre de fois jusqu’à trouver la combinaison exacte correspondant aux produits disponibles dans l’institution financière.

Dans leurs guides d’orientation, l’EIOPA et l’ESMA adoptent une approche plus pragmatique.

L’institution financière aura la possibilité de montrer aux clients les produits qui correspondent le mieux à leurs préférences ESG, et de leur demander s’ils sont prêts à modifier leurs préférences ESG pour investir.

Conclusion

Les deux guides d’orientation, bien que plus pédagogiques que leur version de consultation, n’apportent pas de modifications majeures aux textes initiaux.

Bien conscients des difficultés de mise en œuvre de cette nouvelle réglementation MiFIDII, les régulateurs ne semblent néanmoins pas prêts à rendre l’évaluation des préférences en matière de durabilité moins granulaire ou plus adaptée à la réalité de l’offre ESG actuelle.

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