Difficiles à mettre en oeuvre, les nouveaux textes en matière de finance durable exposent les sociétés cotées à un risque contentieux accru. Chronique juridique de Muriel Goldberg-Darmon, docteur en Droit, avocate associée du cabinet Cohen & Gresser, Louise Le Guilchet et Pierre Wolman, avocats du cabinet Cohen & Gresser.
La lutte contre l’écoblanchiment (ou greenwashing) est l’une des préoccupations principales des autorités françaises et européennes en matière de finance durable. Dans ce contexte, les autorités ont mis en place au cours de ces dernières années un cadre réglementaire visant à accroitre la transparence des informations fournies aux investisseurs et ainsi contraindre les acteurs de la place à aligner leur communication avec leurs pratiques effectives.
L’entrée en application progressive du règlement Taxonomie et de la directive CSRD (Corporate Sustainable Reporting Directive) au sein de l’Union européenne en est l’illustration. Ces deux textes, qui renforcent considérablement les obligations en matière de reporting extra-financier, confrontent néanmoins les sociétés cotées à un risque contentieux accru.
La multiplication des exigences pesant sur les entreprises en matière de reporting extra-financier
Le règlement Taxonomie et la directive CSRD visent notamment à accroitre le contenu et la comparabilité des informations fournies aux investisseurs en matière de durabilité.
Ainsi, depuis le 1er janvier 2022, l’article 8 du règlement Taxonomie impose aux entreprises soumises à l’obligation de publier une déclaration de performance extra-financière en vertu du droit de l’Union européenne d’inclure dans cette déclaration des indicateurs clés de performance en matière de durabilité. Ces indicateurs visent à mettre en lumière la part « durable » du chiffre d’affaires, des dépenses d’investissement et des dépenses d’exploitation de l’entreprise. Les entreprises doivent également fournir des explications permettant de contextualiser ces indicateurs et préciser leurs méthodologies de calcul.
La directive CSRD, adoptée par le Parlement européen au cours du mois de novembre 2022 et qui entrera progressivement en application entre 2024 et 2028, viendra également renforcer les exigences en matière de reporting extra-financier en introduisant des obligations de reporting plus détaillées sur l’impact environnemental, social et sur les droits humains. Le texte précise que l’information fournie par les entreprises devra être qualitative et quantitative, ainsi que prospective et rétrospective.
Une mise en œuvre complexe pour les entreprises
La mise en œuvre pour les entreprises de ces nouvelles obligations va s’avérer difficile, ce d’autant plus qu’elles viennent s’ajouter à un ensemble existant déjà complexe.
A cet égard, le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP), dans un rapport paru en novembre 2022, a dressé un état des lieux sévère sur la « diversité et [le] désordre des champs d’application des dispositifs de prévention des risques extra-financiers » existants au niveau national et européen, recourant à des seuils, des définitions, des obligations et des sanctions différents alors même qu’ils poursuivent des objectifs similaires. Le HCJP a formulé le vœu qu’un soin particulier soit apporté à la transposition de la directive CSRD afin de « ne pas ajouter du désordre à la complexité ».
Consciente de la complexité de ce cadre réglementaire pour les sociétés cotées, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a indiqué dans ses priorités d’actions 2022 vouloir les accompagner dans leur nouvel exercice de transparence.
Vers un accroissement du risque contentieux pour les sociétés cotées
Face à la multiplication des obligations en matière de reporting extra-financier, les sociétés cotées se retrouvent confrontées à un accroissement de leurs risques contentieux.
Il ne fait aucun doute que dans les prochaines années, l’information extra-financière en matière de durabilité publiée par les sociétés cotées sera examinée avec attention par l’AMF et qu’elle fera l’objet de procédures d’enquêtes et de sanctions.
A cet égard, l’AMF et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ont d’ores et déjà mis en garde les acteurs du marché. Dans un rapport commun publié en octobre 2022 sur le suivi et l’évaluation des engagements climatiques des acteurs de la place de Paris (les banques, les assureurs et les sociétés de gestion de portefeuille), les régulateurs ont ainsi prévenu que les professionnels devaient « combler rapidement l’écart entre le degré de transparence actuellement observé sur les engagements volontaires et les exigences réglementaires en cours d’application et à venir ».
Notons qu’aux Etats-Unis, la SEC, l’autorité de marché américaine, a récemment infligé des amendes, dans le secteur de la gestion d’actifs, à Goldman Sachs et BNY Mellon en matière d’ESG (Environnement, Social et Gouvernance).
En outre, les contentieux pourraient également émaner des investisseurs et des fonds activistes qui exigent plus de transparence et d’engagements de la part des sociétés. On peut en effet s’attendre à ce que les prochaines campagnes activistes portent sur la thématique de la finance durable.
Dans ce contexte, on constate d’ailleurs que pour réduire le risque d’être accusés de « greenwashing», certains acteurs du marché préfèrent limiter au strict nécessaire l’information délivrée en matière de durabilité .