Chronique juridique de Valentine Baudouin, Partner Compliance & Regulatory au sein de Regvantage.
L'Autorité des marchés financiers (AMF) a réalisé une campagne de contrôles SPOT auprès de cinq sociétés de gestion de portefeuille afin d'appréhender la manière dont elles organisent le suivi des dépassements de ratios d'investissement et traitent les réclamations en la matière.
Les résultats de ces contrôles, qui ont porté sur la période 2021-2023, ont été publiés le 19 février 2025 et apportent plusieurs éclairages sur les bonnes pratiques en matière d'organisation, de gouvernance, de corpus procédural, de robustesse des processus, d'information des porteurs et des régulateurs, ainsi que sur le dispositif de contrôle interne que le régulateur français met notamment en perspective avec les règles luxembourgeoises de manière exploratoire aux fins de vérifier les différences pouvant exister, dans les politiques d’indemnisation mises en œuvre par les sociétés de gestion testées entre les fonds français et luxembourgeois.
Une thématique faisant partie des priorités de supervision 2024 venant évaluer une obligation mise en place depuis 2021
Rappelons que depuis 2021, l’AMF a instauré de nouvelles exigences de reporting trimestriel à destination des sociétés de gestion concernant (i) les indemnisations versées aux actionnaires ou porteurs de parts des placements collectifs, français ou étrangers, qu'elles gèrent et (ii) les cas de non-respect des règles d'investissement.
Ces obligations de reporting s’appliquent aux organismes de placement collectifs français ou étrangers gérés en passeport ou en délégation par les sociétés de gestion françaises et aux sociétés de gestion étrangères gérant des organismes de placement collectif français en passeport. La mise en place de ces nouvelles règles découlait du constat que l’AMF était très imparfaitement et très tardivement informée des problématiques touchant les restrictions d’investissement et uniquement via les procédures d’escalade des dépositaires ou via les rapports avec observation des commissaires aux comptes des fonds, encore plus tardifs et peu qualifiés. Les sociétés de gestion devant déjà disposer d’un suivi et de procédures afférentes au suivi des restrictions d’investissements, des dépassements et de leurs éventuelles conséquences, établir le reporting demandait essentiellement des travaux de mise en forme et non de fond.
Les dépassements actifs, explicitement concernés par cette obligation (cette notion existait déjà pour les FCPR), résultent directement des décisions prises par les sociétés de gestion (investissement, désinvestissement ou absence d’action préventive). Les dépassements passifs, dus à des mouvements de marché indépendants, ne sont pas soumis à l'obligation de déclaration.
Par ailleurs, le rapport doit depuis 2021 inclure :
- Les cas précis de non-respect actif des règles d’investissement définies dans les documents constitutifs ou prospectus, quel que soit leur montant ou leur durée.
- Le montant exact des indemnisations versées par les sociétés de gestion aux investisseurs concernés.
À noter que même en l'absence de dépassements ou d'indemnisations durant la période concernée, les sociétés doivent tout de même transmettre un rapport négatif à l’AMF afin d’en confirmer explicitement l’absence. Ces dépassements de ratios sont également repris dans la FRA-RAC annuelle.
Quelques années après la mise en place de ces reporting, la synthèse des contrôles indique que les dispositifs existants sont généralement bien structurés, notamment grâce à l’utilisation d’outils automatisés pour les contrôles pré-trade et post-trade. Toutefois, plusieurs axes d’amélioration sont mis en évidence.
Les contrôles révèlent notamment que les processus de gestion des dépassements restent en grande partie manuels, entraînant un risque opérationnel significatif. Une faiblesse identifiée par l’AMF réside dans l’absence fréquente de distinction claire et rapide entre les dépassements actifs (consécutifs à une décision du gestionnaire) et passifs (conséquence d’événements externes tels que les fluctuations de marché ou mouvements de souscriptions et rachats). Cette absence de distinction précise affecte directement les décisions d’indemnisation des porteurs, car les seuils d’indemnisation utilisés sont souvent similaires à ceux destinés aux erreurs de valorisation, alors que les conséquences financières peuvent être très différentes.
Par ailleurs, les contrôles montrent des insuffisances dans la gouvernance interne des sociétés de gestion analysées. Par exemple, certaines sociétés manquent d’un contrôle croisé rigoureux (« contrôle des 4 yeux ») dans le paramétrage opérationnel des ratios d’investissement. Cette pratique, pourtant essentielle pour prévenir les erreurs, n’est pas systématique. Ainsi, dans certains cas, la même personne est chargée à la fois du paramétrage opérationnel et de son contrôle ultérieur, ce qui pose la question de la réelle séparation des tâches et de l’indépendance nécessaire à l’efficacité du dispositif de contrôle interne.
Un autre aspect souligné concerne les processus internes de gestion des alertes et des dépassements. Les sociétés analysées ne documentent pas toujours suffisamment leurs procédures internes ni les preuves des opérations correctives réalisées. Cette carence dans la documentation interne limite la transparence et réduit la capacité des équipes de contrôle et des autorités à suivre précisément les mesures correctives mises en œuvre.
En matière d’indemnisation, l'AMF constate que les pratiques françaises présentent certaines « ambiguïtés » lorsqu'elles sont comparées aux normes luxembourgeoises. L’autorité relève notamment que les seuils d’indemnisation français ne sont pas toujours adaptés au contexte spécifique des dépassements actifs, c’est-à-dire ceux résultant directement d’une décision du gérant. En effet, les dépassements actifs peuvent entraîner des préjudices financiers plus importants pour les porteurs, justifiant une approche distincte des erreurs ponctuelles liées à la valorisation des fonds. Ainsi, une clarification de ces pratiques semble nécessaire pour harmoniser les approches européennes et garantir une meilleure protection des investisseurs.
Une approche exploratoire et comparative avec les règles luxembourgeoises
Fait suffisamment intéressant pour être relevé, l’AMF indique avoir « pris en considération, sur le périmètre des fonds luxembourgeois gérés par les SGP du panel, la circulaire n°24/856 de la CSSF, publiée le 29 mars 2024 » avant d’ajouter que « cette prise en compte exploratoire a été réalisée aux fins de vérifier les différences pouvant exister, dans les politiques d’indemnisation mises en œuvre par les SGP testées (en cas de dépassement de ratios actifs) entre les fonds français et luxembourgeois ».
Au Luxembourg, historiquement, la Circulaire CSSF 02/77 relative à la protection des investisseurs en cas d’erreurs de calcul de la valeur nette d’inventaire et à la correction des conséquences résultant de violations des règles d’investissement applicables aux organismes de placement collectif (OPC) surveillés par la CSSF, définissait les règles minimales de conduite à suivre. Cette circulaire fixait notamment les critères essentiels, comme les seuils de détection en cas d'erreurs de calcul de la valeur liquidative, déterminant la matérialité de ces erreurs et les actions correctives ou compensatoires à engager. Cette dernière a été complétée par des orientations supplémentaires fournies dans les rapports annuels, FAQ et communications de la CSSF. Ces orientations ont évolué en réponse aux changements réglementaires et aux nouvelles pratiques du secteur.
La nouvelle circulaire CSSF 24/856 publiée le 29 mars 2024 est venue abroger la circulaire 02/77 et consolider ces orientations complémentaires.
En matière de ratios d’investissement, la nouvelle circulaire indique que lors de la correction d'un cas de non-respect d'une règle d'investissement, l’impact financier doit être évalué selon deux méthodes :
- La méthode comptable qui consiste à calculer le gain ou la perte réalisé effectivement dans la comptabilité de l’organisme de placement collectif du fait du non-respect de la règle d’investissement.
- La méthode économique qui consiste à comparer l’impact financier du non-respect, calculé selon la méthode comptable, avec la performance qui aurait été réalisée si les investissements irréguliers avaient subi les mêmes variations que le portefeuille investi conformément à la politique d’investissement et aux restrictions prévues par la réglementation applicable et les documents constitutifs ou le prospectus de l’’organisme de placement collectif.
Selon la circulaire, la méthode comptable doit être privilégiée par défaut. L’utilisation de la méthode économique est possible uniquement si elle est prévue par les politiques internes de l'OPC et si la référence comparative permet de déterminer une performance représentative de la politique d’investissement.
Ces règles détaillées peuvent ainsi être mises en perspective avec les intentions que formulaient le régulateur français lors de l’instauration des reporting dépassement de ratios et indemnisation en 2021 en indiquant que ce n’était pas une volonté pour l’AMF de réinterpréter les restrictions découlant de la règlementation/ doctrine étrangère applicable pour les remontées concernant des fonds étrangers gérés en passeport ou par délégation et que cet exercice ne normait pas non plus à ce stade les méthodes de calcul d’impact et d’indemnisation (avec application éventuelle de seuil de minimis), avec toutefois une attente de la part du régulateur de voir ces sujets couverts par des procédures écrites au niveau de la société de gestion, établies en amont de la réalisation des calculs en question.
Conformément à ses intentions, l’AMF conclut à une bonne pratique visant à « définir une politique interne de chiffrage d’impact et d’indemnisation en cas de dépassement actif, notamment pour les fonds domiciliés en France, traitant équitablement et avec loyauté les investisseurs et respectant la réglementation des pays de domiciliation des fonds ».
Une évolution de la doctrine à la suite de ce contrôle SPOT à venir ? L’avenir nous le dira.