MiCA : Décentralisation et sollicitation inversée, la grande échappée des acteurs crypto

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Alors que la réglementation MiCA (Markets in Crypto-Assets)[1]  se prépare à révolutionner le paysage des crypto-actifs au sein de l’Union Européenne, de nombreuses entreprises cherchent à échapper à ses contraintes. Entre l'utilisation de la sollicitation inversée[2] et la décentralisation complète de leurs projets, les acteurs crypto innovent pour continuer à prospérer. Chronique juridique d'Arnaud Touati, avocat associé du cabinet Hashtag Avocats

MiCA et la sollicitation inversée : Un cadre réglementaire controversé

L'entrée en application du règlement MiCA suscite de nombreuses interrogations parmi les entreprises crypto. Conçu pour harmoniser le marché des crypto-actifs au sein de l’UE, ce règlement a déjà commencé à s'appliquer pour ce qui concerne les dispositions relatives aux stablecoins depuis le 30 juin 2024 et il s'étendra à compter du 30 décembre 2024.

Alors que l’UE souhaite protéger ses citoyens et renforcer la transparence du marché, certaines entreprises voient dans ces nouvelles règles une menace pour leur modèle économique et cherchent activement des moyens de contourner ces restrictions.

Une des méthodes les plus discutées est celle de la sollicitation inversée. Ce concept repose sur la possibilité pour un client européen de solliciter de manière volontaire et proactive un service crypto auprès d'une entreprise située en dehors de l'UE, évitant ainsi l’obligation pour celle-ci d’être agréée en Europe en tant que Prestataire de Services sur Crypto-Actifs (PSCA).

Cependant, l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a rapidement identifié cette stratégie comme une tentative de contournement, mettant en garde les régulateurs nationaux contre son utilisation abusive[3].

L'ESMA recommande même la création d'une présomption de sollicitation illégale dans les cas où les ordres des clients européens sont systématiquement exécutés sur des plateformes offshores appartenant au même groupe que l'entité de courtage, ce qui est du reste pour le moins contestable. L'UE montre ainsi clairement son intention de limiter les interactions de ses citoyens avec des plateformes non régulées.

En outre, l'ESMA a également insisté sur le risque de conflits d'intérêts inhérent à cette pratique. Si un broker n'exécute les ordres de ses clients que sur la plateforme d'échange appartenant à son propre groupe, cela est présumé être un conflit d'intérêts, et les demandes d'agrément PSCA pourraient être refusées pour cette raison.

Cette approche soulève de sérieuses questions sur l'avenir des acteurs crypto en Europe, car beaucoup se retrouvent face à un dilemme : se conformer à des régulations contraignantes ou risquer de perdre leur accès au marché européen.

La décentralisation : une stratégie pour échapper à MiCA

Face à ces nouvelles exigences réglementaires, de nombreux projets Web 3 cherchent non pas à se réguler à l’étranger mais tout simplement à s'affranchir des contraintes de MiCA en optant pour la décentralisation complète.

Le règlement lui-même offre une échappatoire à ce type de projet. En effet, selon le considérant 22, "lorsque les services sur crypto-actifs sont fournis de manière entièrement décentralisée sans aucun intermédiaire, ils ne devraient pas relever du champ d'application du présent règlement". Cette disposition offre un terrain fertile pour les fondateurs de projets Web 3 qui souhaitent se soustraire à l'emprise de MiCA.

La décentralisation est souvent vue comme un pilier de la blockchain, mais sa définition exacte fait l’objet de débats. Pour certains, c’est l’absence de point de défaillance unique, pour d'autres, c'est la résistance à la collusion et l’anonymat des participants.

On distingue plusieurs formes de décentralisation[4]:

Décentralisation architecturale : Le système n'a pas de point de défaillance unique, ses composants sont distribués.

Décentralisation politique : Aucun individu ou groupe ne contrôle le système; les décisions sont prises collectivement.

Décentralisation logique : Le système agit comme une entité unique, mais sans contrôle central.

En somme, un système est véritablement décentralisé lorsque personne ne dispose du pouvoir discrétionnaire unilatéral pour en modifier les règles.

Par conséquent, pour qu'un projet soit considéré comme entièrement décentralisé, il doit éviter toute forme de centralisation, qu'elle soit technique ou organisationnelle. Voici quelques-unes des mesures clés qui peuvent être prises pour atteindre ce niveau de décentralisation[5] :

  1. Anonymat des fondateurs : En restant anonymes, les fondateurs réduisent le risque d'être identifiés comme des cibles potentielles pour l'application des règles de MiCA.
  2. Multi-Signature (Multi-Sig)[6] : Un smart contract multi-sig permet d'assurer que les décisions ne sont pas prises par une seule entité mais nécessitent l'approbation de plusieurs adresses. Cela dissocie les actions de l'entreprise de tout individu ou entité unique.
  3. Absence d'entité légale centrale et gouvernance collective : La mise en place d'une DAO (Decentralized Autonomous Organization) permet de transférer la gouvernance à la communauté, évitant ainsi toute centralisation du pouvoir décisionnel. Par ailleurs, la distribution équitable des tokens de gouvernance peut être perçue comme un indice de décentralisation effective.
  4. Opérations automatisées par smart contracts : Les smart contracts doivent être conçus pour fonctionner sans nécessiter d'intervention humaine. Cela serait de nature à démontrer la transparence totale des transactions et des décisions.
  5. Infrastructure technique distribuée et code open-source : En rendant le code open source, les fondateurs s'assurent que personne ne détient les droits de propriété intellectuelle, renforçant ainsi la décentralisation et la transparence. De plus, le développement du projet sur une blockchain publique contribue également à ces objectifs. En effet, plus un système nécessite le consensus de parties diverses pour modifier ses règles fondamentales, plus il est décentralisé. C’est ce qui rend les blockchains publiques comme Bitcoin ou Ethereum si résistantes à la centralisation, contrairement aux blockchains privées.

Bien que ces mesures n'assurent pas une décentralisation totale, elles peuvent contribuer à respecter les critères de décentralisation, tout en renforçant la résilience des projets Web 3, les rendant ainsi moins vulnérables aux interventions réglementaires.

Sollicitation inversée vs. décentralisation : vers une crypto-Europe dépeuplée ?

Alors que l'ESMA intensifie ses efforts pour limiter l'utilisation de la sollicitation inversée et que la décentralisation complète reste un défi technique et organisationnel pour de nombreux projets, une question clé se pose : l'Europe de la crypto va-t-elle disparaître ?

L'innovation est déjà en train de migrer vers des juridictions plus clémentes, comme les États-Unis ou l'Asie, où les régulateurs adoptent une approche plus flexible vis-à-vis des crypto-actifs. Le risque est réel que l'Europe, en régulant à outrance, finisse par repousser les acteurs les plus innovants de l'industrie.

Pour autant, l’Europe résiste tant bien que mal. C’est le cas des entreprises établies dans l'UE et déjà enregistrée, telles que les Prestataires de Services sur Actifs Numériques (PSAN) en France, qui bénéficient d'une période de transition de 18 mois pour se conformer aux nouvelles règles, ce qui leur donne un avantage concurrentiel par rapport aux nouveaux entrants. Cependant, pour ces nouveaux venus, les barrières à l'entrée deviennent de plus en plus difficiles à surmonter, et la pression pour se délocaliser hors UE ou adopter des stratégies de décentralisation est forte.

Alors que l’UE vise à protéger ses citoyens et à structurer le marché des crypto-actifs, elle pourrait involontairement précipiter un exode des talents et des capitaux vers des régions où l'innovation est encore encouragée.

La question de savoir si l'UE parviendra à retenir ces acteurs ou si elle les poussera vers la sortie reste ouverte. Ce qui est certain, c'est que la réglementation MiCA aura un impact profond sur l'avenir de la crypto en Europe et il est impératif pour les entreprises de s'adapter rapidement à ce nouveau cadre, qu'elles choisissent de se conformer ou de se décentraliser.

[1] Règlement (UE) 2023/1114 sur les marchés de crypto-actifs (MiCA)

[2] Article 61-1 (MiCA)

[3]ESMA-« Opinion to support the convergent application of MiCA »-31 juillet 2024

[4] Vitalik Buterin -The Meaning of Decentralization -6 février 2017-https://medium.com/@VitalikButerin/the-meaning-of-decentralization-a0c92b76a274

[5]

[6]5Abdoulaye Diallo Docteur en Droit- Comment échapper au règlement MiCA ? Guide de décentralisation d’un projet web3.-13 août 2024

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