NFT et droit européen : un encadrement encore incomplet

  • Publication publiée :14 août 2023
  • Post category:Avis d'expert
You are currently viewing NFT et droit européen : un encadrement encore incomplet

L’adoption du Règlement MiCA esquisse les contours d’un cadre harmonisé au niveau européen pour les crypto-actifs. Toutefois, l’encadrement des NFT (non-fungible tokens) par ce texte laisse un goût d’inachevé, faute notamment de définition juridique de la fongibilité. La règlementation LCB-FT peine à pallier ce manque. Eclairage et chronique juridique par Sébastien Praicheux, docteur en droit, avocat au Barreau de Paris, associé (Norton Rose Fulbright LLP) et chargé d’enseignement.

Le « marché » posait une question pourtant simple : les NFT sont-ils soumis ou non à « MiCA » et dans l’affirmative lesquels? En réponse, le législateur européen a emprunté une voie audacieuse  : se fonder sur le critère de la fongibilité, issu d’un droit fondamentalement non harmonisé dans l’Union Européenne : le droit des biens.

Ces produits ont bien d’ailleurs failli être les « grands oubliés » de MiCA : la première version du projet de règlement n’en faisait pas mention. Ils ont finalement été introduits dans la version publiée par le Conseil européen en octobre dernier, le principe étant leur exclusion dès lors qu’ils sont uniques et non fongibles. Le législateur français, quant à lui, semble avoir préféré il y a cinq ans, ne pas faire de la fongibilité un critère de classification des actifs numériques. Sage décision?

Les enjeux de la question

Il faut d’abord bien poser les enjeux de cette question : si un NFT est soumis à MiCA, émetteurs et prestataires de services sur crypto-actifs (PSCA) (les plateformes d’actifs numériques, par exemple) seront soumis à des exigences organisationnelles, voire prudentielles. A titre d’illustration, les PSCA devront être agréés pour proposer des services régulés sur ces actifs. Il faudra aussi vérifier si le NFT n’est pas un instrument financier, une monnaie électronique, etc., car chaque qualification entraîne bien entendu l’application de son propre corpus de règles.

La logique de « sectorisation » ou de « taxonomie » semble avoir gagné MiCA : en sont exclus les NFT liés à l'art numérique et les objets de collection, dont la valeur est attribuable aux caractéristiques uniques du NFT et à l'utilité qu'il confère à son détenteur, tout comme ceux représentant des services ou des actifs physiques (sous réserve qu’ils soient uniques et non fongibles), tels que les garanties de produits ou les biens immobiliers. Selon les considérants de ce texte, l’exclusion est justifiée par le fait que le risque que ces NFT feraient courir aux investisseurs et au marché serait « limité ».

Bien sûr, le règlement reconnaît qu’ils peuvent être acquis à des « fins spéculatives »  ; ils ne sont cependant pas « facilement interchangeables » - nouveau concept d’application pratique bien complexe ...- . On lit aussi dans MiCA que de toutes façons, l’utilisation financière de ces produits serait limitée faute de référence possible à un actif équivalent ou un marché existant, chaque NFT étant alors par hypothèse unique. Pourtant il existe des marchés de biens non fongibles qui permettent d’en apprécier la valeur, comme précisément le marché de l’art. Ce constat relatif aux risques est d’ailleurs à nuancer en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Plus en avant, les considérants de MiCA précisent que l'émission de crypto-actifs sous forme de jetons non fongibles dans une grande série ou collection devrait être considérée comme un indicateur de leur fongibilité. Par conséquent, restent soumis à MiCA les NFT qui semblent uniques et non fongibles, mais dont les caractéristiques de fait ou celles liées à leur utilisation les rendraient soit fongibles soit non uniques (à l’instar des NFT fractionnés). Par où l’on comprend qu’un actif peut donc être non fongible en soi mais le devenir en fonction de l’emploi auquel on le destine…

Problème récurrent du droit européen

En réalité, la méthodologie employée repose sur un problème récurrent du droit européen : l’absence de fondements conceptuels solides. Ce n’est pas sans rappeler la directive européenne concernant les contrats de garantie financière qui a cherché à établir un régime applicable à certaines sûretés sans socle commun des sûretés en Europe, jusqu’à ce que la rattrapent les inévitables questions de fond dont la cause se situe dans des notions insuffisamment définies (le critère du « contrôle » par exemple). Ne prend-on pas alors le risque d’ « abandonner » aux législations nationales le soin de définir si tel NFT est fongible, voire aux autorités nationales? Et partant, qu’un produit soit éligible à MICA en Allemagne, par exemple, mais pas en France, au rebours des objectifs initiaux de construction d’un marché unique des crypto-actifs ?

La difficulté que le législateur européen a eu à appréhender les NFT se vérifie à l’aune du rapport présenté par la Commission européenne portant sur une évaluation du « développement des marchés des crypto-actifs uniques et non fongibles et de l'adéquation du traitement réglementaire de ces crypto-actifs, y compris une évaluation de la nécessité et de la faisabilité de réglementer les offreurs de crypto-actifs uniques et non fongibles ainsi que les fournisseurs de services liés à ces crypto-actifs », dix-huit mois après l’entrée en vigueur du règlement. L’intérêt de cette mesure résidera dans les suites qui seront données à ce rapport.

A l’heure actuelle, le traitement des NFT par MiCA reste encore incertain et pourrait être source d’une certaine insécurité juridique. Dans ce cadre, se pose alors la question de savoir si d’autres pans de la règlementation européenne ne permettraient pas de mieux appréhender les NFT, à l’instar du dispositif de LCB-FT. Ce corps de règles a été le premier à encadrer les crypto-actifs en imposant des obligations aux prestataires de services de conservation et d’échange de monnaies virtuelles, transposées en droit français notamment par la loi Pacte.

Risques croissants

Les risques croissants que les NFT et plus généralement les actifs numériques, présentent en matière de financement du terrorisme et de contournement des sanctions internationales, soulignés récemment par le Comité d’orientation de la lutte contre le blanchiment (COLB) sont bien réels, et notamment à l’origine de la révision des directives anti-blanchiment et de l’élaboration du Paquet LCB-FT.

Toutefois, force est de constater qu’à ce stade des projets, les NFT n’y font pas l’objet d’un encadrement spécifique. A titre d’illustration, le projet de règlement anti-blanchiment inclut dans son champ les PSCA nouvellement introduits par MiCA, mais aucune référence n’est faite à des actifs qui seraient non fongibles ou uniques. Par conséquent, les NFT ne seront encadrés par ce règlement que dans la mesure où ils entrent dans le champ de MiCA. L’incertitude demeure donc pour les NFT qui sont exclus de MiCA et qui d’après le COLB, peuvent présenter des risques accrus en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Le même constat peut être fait s’agissant de la révision du règlement sur les informations accompagnant les transferts de fonds, imposant la fourniture d’informations sur le donneur d’ordre et le bénéficiaire avec le virement (travel rule).

Article achevé avant la publication au JOUE du Règlement MiCA. L’auteur souhaiterait remercier Me Clémence Durand et Mme Amira Jimissi de l’équipe Règlementation bancaire de Norton Rose Fulbright LLP pour leur aide.

Partager cet article