Le 27 septembre, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a mis à jour ses chartes en matière d’enquête et de contrôle. L’une des modifications apportées concerne la consécration d’un « droit au silence » devant l’AMF au stade des enquêtes et des contrôles. Reste à savoir comment ce droit va s’articuler, en pratique, avec l’application du manquement d’entrave ou avec la possibilité pour un mis en cause de coopérer avec l’AMF. Chronique juridique de Muriel Goldberg-Darmon, docteur en Droit, avocate associée du cabinet Cohen & Gresser, avec Guillaume Guérin et Pierre Wolman de Cohen & Gresser
Le droit au silence, qui est la conséquence directe du droit pour une personne mise en cause de ne pas participer à sa propre incrimination, a été reconnu par la Commission des sanctions de l’AMF depuis une décision du 21 septembre 2009. La Commission des sanctions avait estimé qu’une personne poursuivie devant elle pouvait « refuser de répondre lorsqu’elle estime cette attitude plus conforme aux intérêts de sa défense ».
L’application d’un droit au silence dès le stade de l’enquête ou du contrôle était néanmoins jusqu’à présent plus incertaine. La Commission des sanctions de l’AMF estimait que « le droit de ne pas être contraint de contribuer à sa propre incrimination [devait] être respecté dans le cadre de l’enquête qui précéd[ait] la saisine de la Commission des sanctions » (1). En revanche la position du Conseil d’Etat (2) et de la Cour d’appel de Paris (3) était au contraire de considérer que ce droit au silence, et plus largement certains droits relatifs à un procès équitable, ne s’appliquaient pas au stade de l’enquête.
La consécration d’un droit au silence en phase d’enquête et de contrôle
L’AMF a finalement consacré ce droit au silence dans les nouvelles versions des chartes de l’enquête et du contrôle rendues publiques le 27 septembre 2021, en faisant référence à l’arrêt rendu le 2 février 2021 par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Cet arrêt a jugé qu’une personne physique suspectée de manquement d’initié ne pouvait être « sanctionnée pour son refus de fournir à l’autorité compétente […] des réponses qui pourraient faire ressortir sa responsabilité pour une infraction passible de sanctions administratives à caractère pénal ou sa responsabilité pénale ».
Cette consécration du droit au silence par l’AMF n’a ainsi été faite qu’a minima.
D’une part, l’obligation pour les enquêteurs ou contrôleurs de l’AMF de notifier le droit de se taire aux personnes convoquées en audition n’est toujours pas prévue dans les chartes, contrairement à ce qui existe en matière pénale. Sur ce point, la Commission des sanctions a déjà souligné que « ni le code monétaire et financier, ni le règlement général de l’AMF, ne font obligation aux enquêteurs de signifier à la personne auditionnée qu’elle a le droit de se taire lors de son audition (4) » .
D’autre part, le contour du droit au silence n’est pas précisé. Sur ce point, la CJUE a indiqué dans l’arrêt précité que le droit au silence « ne saurait raisonnablement se limiter aux aveux de méfaits ou aux remarques mettant directement en cause la personne interrogée, mais couvre également des informations sur des questions de faits susceptibles d’être ultérieurement utilisées à l’appui de l’accusation ».
Un droit au silence à l’épreuve du manquement d’entrave
Le droit au silence consacré par l’AMF n’est pas sans limite, ainsi que le rappelle l’AMF dans ses chartes : « le droit au silence ne saurait justifier tout défaut de coopération avec les autorités compétentes, tel qu’un refus de se présenter à une audition prévue par celles-ci ou des manœuvres dilatoires visant à en reporter la tenue ».
De telles pratiques seraient, non pas assimilées à l’exercice du droit au silence, mais constitutives d’un manquement d’entrave, susceptible d’être sanctionné par la Commission des sanctions de l’AMF, indépendamment de toute autre manquement à la réglementation financière.
Aussi le droit au silence ne saurait en aucun cas faire obstacle aux pouvoirs d’investigation des enquêteurs et contrôleurs de l’AMF qui peuvent notamment se faire communiquer tous documents (quel qu’en soit le support), convoquer et entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations, ou encore accéder aux locaux à usage professionnel.
Un droit au silence à l’épreuve de la coopération avec l’AMF
Il convient de rappeler que « le degré de coopération » avec l’AMF de la personne mise en cause doit normalement être pris en considération pour déterminer le quantum de la sanction qui sera éventuellement prononcée à son encontre.
Si ce principe est clair, les modalités de sa mise en œuvre le sont beaucoup moins car aucun texte ne définit de façon positive le degré de coopération susceptible de diminuer le montant de la sanction. Le simple fait de fournir les informations demandées et de répondre aux questions posées n’a jamais été considéré par l’AMF comme un degré suffisant de coopération pour être pris en considération.
Ainsi, la question qui se pose est celle de savoir dans quelle mesure la Commission des sanctions pourra considérer que le droit au silence est compatible ou non avec la reconnaissance d’une coopération.
A cet égard, la Commission des sanctions de l’AMF a, de longue date, considéré qu’en refusant de répondre, le mis en cause s’expose à ce que les membres de la Commission des sanctions « tir[ent] de cette attitude de silence […] toute conséquence utile à la formation de leur jugement (5)».
(1) Commission des sanctions, décision du 24 novembre 2011
(2) Conseil d’Etat, arrêt du 12 juin 2013
(3) Cour d’appel de Paris, arrêt du 9 juillet 2020
(4) Commission des sanctions, décision du 6 août 2012
(5) Décision précitée du 24 novembre 2011