Quand une ancienne obligation règlementaire se transforme en simple recommandation pédagogique

  • Publication publiée :19 juillet 2022
  • Post category:Avis d'expert
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Pas facile de refermer la parenthèse durant laquelle le respect du mantra relatif à l’information exacte, précise et sincère du public s’imposait systématiquement aux sociétés cotées, sous peine de lourdes amendes, tandis qu’il ne s’agit plus aujourd’hui que d’une invitation à ne pas se précipiter pour communiquer au marché des informations qui seraient incomplètes ou insuffisamment vérifiées, de manière à refléter correctement la situation d’un émetteur, mais sans qu’il soit question de mensonge ou de tromperie (abus de marché). Chronique juridique de Frank Martin-Laprade, avocat à la Cour, partner du cabinet Jeantet. 

Dans sa consultation publique sur les modifications à apporter au règlement général (RG) et à sa propre doctrine en vue de l’entrée en application – le 3 juillet 2016 – du règlement européen n°596/2014 relatif aux abus de marché (MAR), l’Autorité des marchés financiers (AMF) justifiait le maintien des dispositions selon lesquelles « l’information donnée au public par l’émetteur doit être exacte,précise et sincère», en raison de l’importance de « l’effet pédagogique de l’article 223-1, qui n’est pas exprimé comme une interdiction mais comme une règle de conduite des émetteurs» (1)

Pour autant, il ne fait pas de doute qu’en pratique la commission des sanctions de l’AMF avait bel et bien pris l’habitude de sanctionner les manquements aux dispositions de l’article 223-1 du RGAMF, en lui reconnaissant une portée impérative que confirmait du reste son éventuelle association avec l’article 632-1 du même RGAMF réprimant la diffusion (volontaire) d’informations fausses ou trompeuses sur le plan administratif, là où l’(ancien) article L 465-2 du code monétaire et financier s’occupait aussi d’un tel « abus de marché » mais sur le plan pénal.

Application rétroactive

Il est par conséquent logique que la commission des sanctions de l’AMF décide – postérieurement à l’entrée en vigueur de MAR – que les nouvelles dispositions de son article 12.1 c) devaient désormais s’appliquer de manière rétroactive, compte tenu du fait qu’elles apparaissaient moins sévères que celles des articles 223-1 et 632-1 du RGAMF (2), indépendamment des considérations du Collège sur les vertus « pédagogiques » du maintien formel de l’article 223-1 au sein du RGAMF, alors que l’article 632-1 en disparaissait pour ne pas faire double emploi avec l’article 12.1 c)  MAR.

Cette analyse a été récemment confirmée par la cour de cassation, dans un arrêt du 21 avril 2022 (3), la chambre commerciale ayant approuvé la cour d’appel de Paris qui avait retenu que « ce texte est plus restrictif que les articles 223-1 et 632-1 du RGAMF, en vigueur au moment des faits, puisque la diffusion d'informations seulement imprécises ou inexactes ne peut plus caractériser le manquement », sans pour autant reconnaître la nécessité d’une nouvelle notification de griefs pour remplacer celle qui ne visait que des textes inapplicables.

Du reste, on a pu en voir aussi la traduction l’année dernière, lorsque le tribunal de commerce de Paris a débouté d’anciens actionnaires minoritaires de Vivendi (en mettant à leur charge plus de 2 millions d’euros d’article 700 !) qui demandaient une indemnisation à raison des manquements administratifs (au visa du Règlement COB n°98-07 dont les termes ont été repris sous l’article 223-1 du RGAMF) sanctionnés par l’AMF en 2004.

Manquement administratif

Bien que le manquement administratif ait ensuite été confirmé par la cour d’appel de Paris et la cour de cassation, c’est davantage la relaxe octroyée au regard de l’infraction pénale par la cour d’appel de Paris (approuvée en cela par la chambre criminelle de la cour de cassation) qui semble l’avoir emporté, indépendamment de toute autorité de la chose jugée dont les conditions n’étaient pas réunies, mais bien parce que les juges consulaires n’ont pas vu de faute civile dans l’adoption d’une communication résolument « optimiste » qui se fondait sur des données alors exactes. (4)

En réalité, c’est donc plutôt le défaut de « précision » de certains communiqués de presse qui semble être à l’origine de la condamnation de Vivendi, l’AMF ayant expliqué à cet égard que « S’agissant du caractère précis de l’information, il diffère de celui de l’exactitude en ce qu’une information en elle-même exacte pourrait, en effet, être imprécise si l’émetteur a par ailleurs omis de communiquer une autre information ou un élément d’information qui aurait été susceptible de modifier l’appréciation de sa situation par le marché. » (5)

L’obligation autrefois contenue dans l’article 223-1 du RGAMF ayant toutefois cédé la place à un effet exclusivement « pédagogique » de ce texte, dont on comprend qu’il ne fait plus doublon avec l’abus de marché désormais exposé à l’article 12 MAR, mais qu’il est simplement destiné à guider les émetteurs dans la gestion de la diffusion « dès que possible » des informations privilégiées qui les concernent  directement, sachant que l’article 17 MAR les autorise à la différer – par exemple pour s’assurer de leur précision - dès lors que cela n’induit pas le public en erreur, il est assez normal que sa violation – avérée (il y a 20 ans) – ne soit plus susceptible (aujourd’hui) d’engager la responsabilité civile de l’auteur d’un tel manquement administratif : n’est-ce pas une autre conséquence de la rétroactivité in mitius ?

Responsabilité individuelle du dirigeant

En principe, il devrait en aller de même pour la responsabilité individuelle du dirigeant (personne physique) de la société (personne morale) accusée d’avoir diffusé des informations de mauvaise qualité : cette responsabilité « par ricochet » ne devrait plus pouvoir être automatiquement engagée sur le fondement de l’article 221-1 2° du RGAMF, selon lequel « Les dispositions du présent titre sont également applicables aux dirigeants de l'émetteur, de l'entité ou de la personne morale concernés ».

En effet, l’article 12 MAR ne figure pas au nombre des dispositions visées par l’article 221-1 du RGAMF et l’article 12.4 MAR fait clairement apparaître que les personnes physiques « participant » à la diffusion – par une personne morale pour le compte de laquelle elles agissent - d’informations fausses ou trompeuses ne sont pas les (co)auteurs de l’infraction définie par l’article 12.1 c) MAR, puisqu’il a fallu un texte spécifique pour traiter de leur cas (voisin).

Il est regrettable que la cour de cassation ne soit pas arrivée à cette conclusion, fondée sur l’absence de portée rétroactive des dispositions de l’article 12.4 MAR, qui n’avaient pas leur équivalent sous l’ancien article 632-1 du RGAMF, celui-ci étant silencieux sur l’imputabilité d’un manquement (connexe) aux personnes physiques impliquées, si bien que seule la personne morale auteur de la diffusion litigieuse devrait encourir une sanction.

Au contraire, la chambre commerciale a décidé, dans son arrêt (précité) du 21 avril 2022, que « les dispositions de l'article 12 de ce règlement [MAR]ne sont pas moins sévères, en ce qu'elles sont relatives au régime d'imputabilité aux dirigeants du manquement en cause, que celles des articles 221-1, 2°, et 632-1 du RGAMF, dans leurs versions applicables à l'époque des faits litigieux. »

(1) https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/consultations-publiques/consultation-publique-de-lamf-sur-les-modifications-apporter-au-reglement-general-et-la-doctrine

(2) CDS, 2 novembre 2017 (SAN n°2017-09)

(3) Pourvoi n°G 20-21.753

(4) F. Martin Laprade, Quels enseignements peut-on tirer des derniers soubresauts de l’affaire Vivendi ? Note sous TC Paris, 7 juillet 2021, Option Finance n°1639, lundi 24 janvier 2022

(5) Position-recommandation : Guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée DOC-2016-08

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